Dossier : l'Etat s'attaque de front à la mutualisation de ses infrastructures IT

La seconde étape de la Réforme générale des politiques publiques (RGPP II) présentée fin juin fait la part belle à l'informatique. Tant comme une fonction support qu'il faut rationaliser via des mutualisations que comme un outil permettant de rendre l'administration plus productive. Ouf de soulagement pour Syntec Informatique qui redoutait un brutal exercice de "cost-cutting".

Dossier sponsorisé par IBM

Un pas plus loin. Devant l'urgence en matière de déficits publics - ces derniers ont augmenté, selon la Cour des comptes, de 4,2 points en 2009 pour atteindre 7,5 % du PIB -, le Budget serre la vis. Présenté en conseil des ministres la semaine dernière, la seconde phase de la Réforme Générale des Politiques Publiques (RGPP II) vise, au travers de 150 mesures, à économiser 10 milliards d'euros par an d'ici à 2013.

Un véritable inventaire à la Prévert où l'informatique est souvent citée. Tant comme une enveloppe que l'on peut amincir, que comme un facteur de gain de productivité. Toutefois, par rapport à la première mouture de la RGPP, la voie de la mutualisation non seulement des achats mais aussi des moyens se dessine bien plus clairement. Le document publié par le Budget précise ainsi que, à la suite de quatre ministères pilotes en 2010, tous les ministères devront "d'ici à mi-2012 atteindre certains "standards de qualité" en matière de systèmes d'information, incluant une plus grande transparence sur leurs coûts. Un alignement qui annonce des formes de mise en commun, voire d'externalisation. D'ailleurs, sans même attendre cette échéance, le gouvernement presse les ministères de définir d'ici à la fin de l'année "un objectif de mutualisation des infrastructures techniques (centres de calcul et hébergement)" et d'identifier les "services qu'ils pourraient proposer aux autres ministères ainsi que les besoins qu'ils pourraient satisfaire grâce à une mutualisation avec d'autres ministères".

Economiser 10 % sur un budget IT de 3 Md€

Bref, les chapelles informatiques qui se sont constituées dans chaque ministère (avec des budgets, effectifs, contrats de prestation et infrastructures propres) sont appelées à se rapprocher pour réduire les dépenses globales de l'Etat. Notons d'ailleurs que la dépense globale de l'administration d'Etat en matière d'informatique reste nébuleuse : dans son document de cadrage de la RGPP II, le Budget se contente d'indiquer que "près de 3 milliards d’euros sont aujourd’hui consacrés aux systèmes d’information". Le Budget espère économiser environ 300 M€ par an sur cette enveloppe. Signalons que la rémunération des informaticiens, à elle seule, est proche de 1 Md€ par an.

Pour conduire cette réforme, la RGPP II prévoit de créer une fonction de DSI interministériel, qui sera expérimentée sous la forme d'une "mission de préfiguration" dès l'été avant de devenir effective dès la fin de l'année. Un DSI qui doit notamment conduire les opérations de mutualisation. La consolidation de serveurs et le partage de ressources entre ministères étant directement évoqués dans le document du Budget. "C'est un gisement naturel d'économies. L'infrastructure est la voie de mutualisation la plus simple, comme l'ont montré les expériences des grandes entreprises", relève David Gelrubin, président du cabinet de conseil Fontaine Consultants. Et de citer des ratios d'économies sur la consolidation des datacenters dans le privé situés entre 15 et 20 %, plus même si la situation de départ repose sur un grand nombre de centres. "Les 14 ministères ont chacun leurs infrastructures, leurs masters pour les postes de travail, leur production. Dans les grands groupes privé, la situation était moins disparate", relève-t-il.

Une confirmation de l'intérêt de l'Etat pour l'IT, selon Syntec

Bref, après avoir tenté de dégager des gains de productivité par la mutualisation des applicatifs (via les projets Chorus - pour le volet comptable - et ONP - pour la paie des fonctionnaires -) avec des résultats encore largement contestables, l'Etat prend le problème de front, en tentant de décloisonner les baronnies informatiques des différents ministères. Une voie dans laquelle se sont déjà engagés d'autres états dont les comptes sont sous pression, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.

Cloud et mutualisation des "infras" : heureuse concordance des temps

D'un côté, le gouvernement entend mutualiser les infrastructures, de l'autre, via le Grand Emprunt, il entend stimuler (à hauteur de 700 M€) la construction de grands centres de données dans l'Hexagone, datacenters qui constitueraient le socle de futures offres de Cloud Computing nationales. Deux sujets qui pourraient bien se rejoindre très vite. David Gelrubin, président du cabinet Fontaine Consultants, estime ainsi :"Pourquoi l'Etat ne serait pas le premier client du Cloud français, qu'il contribue à bâtir via le Grand Emprunt ?" Une question qui semble également légitime pour Guy Mamou-Mani, le président de Syntec Informatique : "réfléchir au sujet de la mutualisation dans le cadre du Cloud Computing semble une démarche intelligente. Cela permettrait aux administrations - et aux contribuables - de sauter une étape".

La France ne va pas aussi loin que la Grande-Bretagne en la matière - outre-Manche, le gouvernement a annoncé le gel de tout projet supérieur à un million de livres et l'arrêt brutal de certains programmes comme celui de la carte d'identité électronique. "Cette RGPP II est globalement une confirmation de l'intérêt des outils informatiques pour la transformation de l'Etat, estime Guy Mamou-Mani, le président de Syntec Informatique qui a livré ses premières impressions sur ce texte au MagIT. Le scénario à l'anglaise, que les acteurs du service redoutaient, s'éloigne". Le dirigeant du syndicat patronal des SSII et éditeurs voit plutôt cette réforme comme un mélange entre des rationalisations raisonnables - côté infrastructures - et la poursuite de projets visant, via les outils IT, à trouver de nouveaux gains de productivité pour l'Etat. "Voilà des années que, dans les entreprises, on se posent ces questions de la rationalisation, de la performance des investissements IT, juge Guy Mamou-Mani. La crise a eu le mérite de mettre ces sujets sur le tapis dans les administrations".

D'autres se montrent moins optimistes, comme Pierre Chiarelli, directeur de la branche secteur public de GFI : "Cette réduction des dépenses, on la vit déjà au jour le jour. Un certain nombre d'appels d'offre lancés ont été différés. Des missions que nous avions à Bercy ou à l'Education Nationale n'ont pas été renouvelées". Et de parler d'une vague de restriction budgétaire majeure, touchant tant l'administration d'Etat que les collectivités : - 20 % en quatre mois, estime-t-il. "Je pense qu'il s'agit d'un mouvement de fond : toute collectivité, quelle qu'elle soit, se doit de montrer l'exemple." Un phénomène qui ouvre toutefois la porte, selon Pierre Chiarelli, à des solutions auparavant écartées d'emblée, comme le Saas, l'externalisation du personnel, la dématérialisation des bulletins de paie, ou l'emploi du centre nearshore de GFI au Maroc. "Le recours aux centres dans les pays à bas coût n'est plus tabou, explique le dirigeant de GFI. L'administration pose pour seule condition de travailler avec des francophones."

Réforme des SI de la "Sécu", lutte contre la fraude, etc. : les chantiers fourmillent

Si toutes les inquiétudes ne sont pas levées, le volet investissement de la RGPP II livre quelques pistes qui promettent de nouveaux chantiers pour les SSII de la place. Une nouvelle plutôt rassurante pour le secteur, comme le note Guy Mamou-Mani. De facto, le secteur public a été le principal facteur de résistance des services informatiques durant la crise, la croissance des dépenses dans ce secteur ayant compensé pour partie le coup de frein des entreprises. Les pistes dessinées par la RGPP II fourmillent, à ce titre, de futurs chantiers - parfois trapus - qui devraient bénéficier au secteur IT. Citons pêle-mêle : la réforme des systèmes d'information des organismes de sécurité sociale (dont les coûts IT ont déjà fait plusieurs fois l'objet de débats et de critiques de la Cour des comptes), une généralisation des contrôles et audits sur les systèmes d'information des ministères, la poursuite de la réforme des SI au ministère de la Défense - un des grands chantiers du moment en lien avec le regroupement de l'administration centrale de ce ministère sur le site parisien de Balard -, le développement des applications au sein du ministère de l'Immigration (notamment AGDREF 2 pour la délivrance de titres de séjour biométriques) ou encore une accentuation de la lutte contre la fraude aux aides sociales.

Sur ce terrain, le Budget envisage la création d'outils de profilage des fraudeurs et de cotation des risques, "de manière à mieux cibler les contrôles". Et de citer en exemple le Royaume-Uni, qui utilise un outil d’évaluation de la gravité des fraudes potentielles dans le domaine social (FRISC). "Le recours à ce type d’outil devra être expertisé courant 2010", précise le document du Budget. L'administration accentuera également le croisement de fichiers pour repérer les fraudeurs (sept opérations de ce type ont été menées en 2009, dix autres sont prévues pour 2010).

Des budgets stables en 2009

Selon le cabinet Markess International, qui a sorti en début d'année une étude sur les dépenses informatiques des administrations (centrale et territoriale), 2009 a été marqué par une stabilisation des budgets IT. Une tendance qui devait se poursuivre pour le première semestre 2010, selon Aurélie Courtaudon, chargée d'études au sein du cabinet. En moyenne, selon Markess, les administrations centrales (y compris les organismes sous tutelle), consacrent 4 % de leur budget global à l'informatique. "On observe une très légère contraction entre 2008 et 2009", note l'analyste. La part des dépenses IT dans le budget des collectivités est en revanche stable, autour de 2 %. Ce contexte de stabilisation n'empêche toutefois pas la hausse des dépenses en logiciels et services, estimée par Markess à 6,64 milliards d'euros (+ 1,5 %). "Les grands projets de l'Etat vont de pair avec des prestations massives en amont ou lors de la conduite du changement", note Aurélie Courtaudon. Ce ne sont pas les nombreuses SSII mobilisées sur le projet Chorus qui diront le contraire.

Autre domaine où l'Etat entend poursuivre sur la voie tracée depuis quelques années : la simplification des démarches administratives. Un chantier, piloté par le ministère du Budget et de la Réforme de l'Etat, qui touchera tant les entreprises que les particuliers. Pour les premières, la RGPP II prévoit de mettre en place "un compte en ligne personnalisé fédérant les informations et permettant d’effectuer l’ensemble des démarches administratives". Tout un programme de rapprochement de multiples silos d'information qui s'annonce. Pour les seconds, il s'agit avant tout de poursuivre les efforts entamés autour du site mon.service-public.fr et de la plate-forme téléphonique 39-39. Ainsi, cette dernière sera interconnectée d’ici à fin 2011 "à l’ensemble des centres d’appel spécialisés (CAF…), évitant aux usagers de téléphoner à plusieurs numéros différents pour obtenir un renseignement", promet le document du Budget. De son côté, mon.service-public.fr est appelé à s'étendre pour devenir "le guichet unique des démarches administratives en ligne" - déclaration de revenus y compris -, que la RGPP II entend par ailleurs généraliser. Là aussi, le Budget entend insister sur un vecteur d'économies identifié depuis déjà longtemps : la dématérialisation des procédures.

Quel rattachement pour le super-DSI de l'Etat ?

Si les intentions sont là, reste à les mettre en œuvre, ce qui est largement plus ardu de que compiler des mesures sur un document d'orientation comme le montre - presque chaque semaine - le projet Chorus. Traditionnellement, les chantiers interministériels restant - comme les projets transverses dans une entreprise - les plus difficiles à mener. Une bonne part de la réponse à ce risque majeur réside dans la position et l'autorité dont disposera le futur DSI de l'Etat. Un point sur lequel l'Etat cherche encore la solution. Il faut dire que les précédentes initiatives d'agence de coordination informatique interministérielle - l'Adaé et dernièrement l'AIFE - ont montré leurs limites. Le rattachement de l'AIFE au Budget ayant entraîné la réticence de quelques grands ministères régaliens - Défense et Education Nationale - au projet Chorus. L'Etat semble donc chercher la bonne formule. Comme en témoigne la mission de préfiguration de cette fonction de DSI interministériel, lancée cet été. Un galop d'essai que le Budget a obtenu de garder sous sa coupe, le ministère étant désigné comme l'organisation pilote pour la mise en place de cette fonction. Mais la RGPP II précise aussi, à propos de ce super-DSI : "son rattachement fonctionnel sera défini ultérieurement".

Si l'Etat se retrouve de nouveau confronté à un vieux débat - avec cette fois un degré d'urgence supérieur en raison de l'importance des déficits -, Guy Mamou-Mani se montre optimiste : "une maturité sur ces sujets s'est installée dans les administrations. Je ne vois pas ce qui empêcherait, dans les services publics, de mener à bien les chantiers de rationalisation de la dépense informatique qui ont déjà été menés dans les grands comptes du secteur privé, comme les banques". Pierre Chiarelli de GFI est plus dubitatif : "Les précédentes tentatives ont volé en éclat. Fédérer tout le monde sous une seule structure, je n'y crois pas".

D'autant qu'il faudra compter avec les spécificités du secteur public, notamment celles liées aux statuts des fonctionnaires. "Pour mettre en place ces chantiers, l'Etat va se heurter aux limites touchant à la mobilité des personnels entre administrations. Ce point va devenir encore plus critique", analyse David Gelrubin. Et toute réforme en la matière risque de créer bien plus de remous que la simple publication d'un document technique listant une série de mesures.

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Ce n'est pas la première fois que l'Etat tente de réduire ses dépenses IT via des opérations de mutualisation. Mais plutôt que de s'attaquer aux infrastructures - priorité souvent retenue par les grands comptes du secteur privé -, les précédentes décisions du gouvernement français avaient ciblé l'applicatif. Avec deux projets phares : Chorus bien sûr - pour le volet comptable - et l'ONP (Opérateur national de paye) - pour la paie des fonctionnaires. Tous deux reposent sur la même mécanique : une harmonisation et une rationalisation des processus pour faire diminuer les dépenses de personnels sur ces deux métiers de l'administration.

Ainsi, en dehors de toutes les critiques qui l'accablent ces dernières semaines (retards de paiement, problèmes dans la reprise de données, interrogations sur les interfaces avec les applications ministérielles, assauts répétés de la Cour des comptes), rappelons que le retour sur investissement du colossal projet Chorus (un investissement de près de 690 M€ sur la période 2006-2012) repose entièrement sur la réduction des effectifs comptables. Dans son scénario le plus optimiste, l'Inspection générale des Finances estimait en 2006 que Chorus permettrait d'éliminer 8 000 emplois environ. Sans cette optimisation des back office comptables, même en remplaçant les 80 applications ministérielles prévues, l'Etat laissera sur la table 400 millions d'euros de plus qu'actuellement en 10 ans.

Chorus : le scénario optimiste s'éloigne

Comme l'a montré la récente audition de Philippe Parini, directeur général des finances publiques (le patron de la DGFiP chargée de produire les comptes de l'Etat que certifie la Cour des comptes) et Jacques Marzin, le directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'Etat (AIFE, qui pilote le chantier Chorus au quotidien) par la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale, ce scénario optimiste paraît aujourd'hui plus que fragile, compte tenu des difficultés vécues sur le terrain. Lors de la même audition, Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, relevait ainsi, parmi les insuffisances majeures de Chorus, que la remise à plat des processus comptables n'a pas été menée à son terme et que les agents n'ont pas été suffisamment formés à l'outil, entraînant des dysfonctionnements partout où Chorus est mis en oeuvre (la v5 vient d'être déployée au début juillet). Des constats qui ne plaident pas en faveur de la réalisation des scénarios les plus optimistes de l'Inspection des finances, les seuls aboutissant à un retour sur investissement (courbes verte et jaune du graphique ci-dessous).

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D'ailleurs, dans le document détaillant la RGPP II, dévoilé fin juin, le ministère du Budget est désigné comme l'administration pilote pour le déploiement de services facturiers, visant à regrouper la gestion de la dépense. Hors, la mise en place de ces organisations partagées dans toute l'administration d'Etat était la condition sine qua non pour atteindre le scénario le plus favorable (la courbe verte donc). Vu l'état d'avancement sur ce sujet, nul doute que Chorus restera pendant encore quelques années un investissement non rentable pour l'Etat. Sans oublier les surcoûts que devraient générer, selon la Cour des comptes, les désordres actuels.

Pour la Cour des comptes, Chorus va entraîner des surcoûts

"En 2008, l’objectif affiché était que Chorus tienne toute la comptabilité de l’État en 2010. Fin 2008, cette échéance avait été repoussée à 2011. Début 2010, la bascule de la comptabilité générale est une nouvelle fois décalée d’un an, pour une échéance aujourd’hui fixée au 1er janvier 2012. Le report du déploiement complet de Chorus va entraîner des surcoûts, des études complémentaires et de nouveaux développements [...] nécessaires, en particulier, pour maintenir des applications anciennes", a ainsi indiqué Christian Babusiaux, précisant n'avoir aucune visibilité sur l'importance de ces surcoûts. "Ils dépendront de l’ampleur des modifications qui seront apportées à Chorus dans les semaines qui viennent". Un indice qui montre que le doute s'installe dans l'administration sur la pertinence de Chorus, en tout cas sur la totalité du périmètre fonctionnel ciblé. "Il faut aller au bout de ces chantiers pour en tirer les bénéfices, avertit David Gelrubin, président du cabinet Fontaine Consultants. Arrêter ces projets au milieu du gué serait dangereux".

S'il est trop pour tirer un premier bilan - la construction de la solution technique ne devant s'achever que début 2012 -, l'ONP repose sur la même mécanique : rationalisation des applicatifs et alignement des processus débouchant sur des réductions d'effectifs. L'Opérateur envisage un retour sur investissement sur cinq ans, reposant sur la suppression de 3 000 postes dédiés à la paye dans les ministères et sur celle de 800 autres au Trésor public. Aujourd'hui, le traitement de la paye occupe environ 10 000 fonctionnaires (sans compter les personnels du Trésor public), mais la productivité varie dans des proportions allant de 1 à 10 selon les ministères.

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Tour de vis général en Grande-Bretagne, où le nouveau gouvernement du Premier ministre David Cameron a annoncé en mai de premières coupes claires dans les dépenses publiques (à hauteur de 6,2 milliards de livres, soit 7,2 Md€). Sans surprise, puisque le gouvernement précédent avait déjà pointé dans cette direction, les directions informatiques de l'Etat britannique sont sommées de participer à l'effort collectif. Au-delà des chiffres, la mesure la plus spectaculaire concerne le gel de tout projet supérieur à 1 million de livres et l'audit des principaux programmes IT gouvernementaux. Afin de déterminer ceux qui pourront être rediscutés, voire arrêtés. D'ores et déjà, les projets relatifs à la nouvelle carte d'identité, au passeport biométrique et à la constitution d'une base de données de profils ADN ont été abandonnés (affectant IBM et CSC notamment).

Le travail de passage en revue des projets est confié à une nouvelle instance (Efficiency and Reform Group), composée de fonctionnaires du gouvernement. Ce groupe a le pouvoir de décider de toutes les coupes budgétaires des administrations. Les gels de dépenses, qui concernent tant les achats, que les projets ou les dépenses de conseil, touchent les exercices 2010 et 2011. Le ministre des Finances britannique, Georges Osborne, a affirmé que le plan de réduction des dépenses incluait près de 2 milliards de livres d'économies provenant des projets IT, des fournisseurs et de l'immobilier.

17,6 milliards d'euros de dépenses IT

Selon les données fournies dans le rapport "Government ICT strategy" du précédent gouvernement, le secteur public britannique dépense 16 milliards de livres (17,6 milliards d'euros) chaque année en IT, soit environ 4,6 % de la dépense totale du plus grand donneur d'ordre d'outre-Manche. Un secteur où nos voisins font massivement appel à des prestataires. Le même document estime ainsi que 65 % du SI du gouvernement britannique est externalisé. Invité fin 2009 à Paris, John Higgins, directeur d'Intellect, le syndicat patronal de l'IT et des télécoms, expliquait : "nos adhérents font face à une intense pression sur les coûts. Le gouvernement prévoit de réduire de 20 % ses dépenses dans les trois ans". Les récentes décisions du nouveau gouvernement britannique ne font donc que confirmer - et surtout amplifier - les orientations entrevues dans ce document.

Même si les grandes lignes restent identiques, la démarche envisagée par l'administration Cameron semble en effet bien plus brutale que celle dessinée dans le rapport "Government ICT strategy". "La nouvelle administration a un agenda de réduction des coûts nettement plus serré", confirme Dominic Trott, analyste en charge du secteur public pour le cabinet Pierre Audoin Consultants (PAC) à Londres. Des grandes lignes de transformation de l'IT public (Cloud gouvernemental, consolidation des datacenters, magasin applicatif, standardisation des postes de travail...), il n'est aujourd'hui plus fait mention. Tout juste l'actuel gouvernement parle-t-il d'un recours plus systématique à l'Open Source et aux formats de données ouverts. "Ces sujets restent toutefois sur le radar de l'administration, mais plutôt dans une perspective de moyen à long terme", précise Dominic Trott.

Plutôt un trou d'air

Pour Jean-Christophe Bodhuin, responsable des opérations de PAC pour la Grande-Bretagne, les pays nordiques et les  Pays-Bas, "tous les grands contrats de l'administration britannique vont être rediscutés. On observera certainement en parallèle un temps de latence dans les prises de décisions concernant les nouveaux projets. Ce qui aura des conséquences sur les SSII, même si certaines, comme Logica, ont anticipé en renégociant leurs contrats dès l'année dernière". Pour l'analyste, il faut donc avant tout s'attendre à un trou d'air : "Car, à partir de la fin d'année, il y aura forcément des nouveaux projets IT remis sur la table. Sur le long terme, la seule façon d'économiser sur la dépense publique consiste à automatiser les processus, donc à voir l'IT comme une réponse à la question des déficits publics".

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En période de vaches maigres et de restrictions budgétaires, la technologie peut apparaître comme une planche de salut. Parmi ces technologies miracles trône le Machine-to-Machine (M2M), un concept fondu dans le très vaste programme de l’Internet des objets, qui consiste à faire dialoguer ensemble des objets et des machines via les ondes radio essentiellement.

C’est dans ce contexte que les projets démarrent et que le marché s’organise. Si, en avril dernier, les professionnels du secteur mettaient en avant la croissance et la “massification” du M2M, les observateurs tombaient quant à eux unanimes sur un point : un des moteurs principaux du M2M résidera dans les projets financés, même partiellement, par l’Etat, ou dans le cadre de PPP (Partenariats Public Privé).

Le concept de M2M s’inscrit aujourd’hui dans nombre de projets - très tendances - liés à l’éco-responsabilité, au développement durable et à l’écologie, tout en permettant de réduire les dépenses publiques en matière de gestion globale et de ressources humaines notamment, rappelle en substance Jean-Noël Georges, directeur de recherche chez Frost & Sullivan.

M2M, la cisaille des coûts énergétiques

Dans ce marché promis à un bel avenir, les projets abondent. C’est notamment le cas du Smart Grid, un vaste projet de grille électrique qui doit réguler et contrôler intelligemment la distribution d’électricité vers les particuliers. Un projet épaulé par une partie des 250 millions d'euros du gouvernement alloués au GreenIT dans le cadre du Grand Emprunt, rappelait Nathalie Kosciusko-Morizet (secrétaire d'Etat à l'Economie numérique) à nos confrères du Journal du Net en avril dernier. Aujourd’hui encore en phase pilote à Lyon notamment, le projet  de compteurs intelligents Linky - qui demeure aujourd’hui la partie visible du Smart Grid -, s’il ne semble pas complètement abouti techniquement, rappelle que les télé-relevés électrique devraient améliorer la gestion de la consommation des particuliers. Et l’installation limitera les investissements dans la maintenance technique des compteurs ainsi que l’intervention de techniciens chez les particuliers. Les belles intentions en faveur de la préservation de la planète cachent donc des motifs plus prosaïques...

Autre exemple orienté développement durable, celui de l’éclairage public dans les villes. Le M2M permet de détecter les pannes d’éclairage et de livrer des informations sur la consommation. "Un point très positif pour les mairies", souligne Olivier Beaujard, vice-président Market Dévelopment chez Sierra Wireless, l’un des acteurs clés du marché M2M en France. "L’éclairage représente un gros poste de dépenses des villes", constate-t-il. D’ou l’idée de trouver des leviers pour économiser sur cette enveloppe. C’est aussi pour cette raison que l’on retrouve le M2M dans la gestion des flottes de véhicules municipaux, afin notamment "de simplifier la gestion du parc et de disposer d’informations en temps réel sur la maintenance et l’usure dans le but d’anticiper les interventions et ainsi, protéger les investissements". 

Les revenus supplémentaires du M2M

Cette philosophie, on la retrouve - à une plus grande échelle - avec les projets de péages urbains et de télépéages, deux principes issus du Grenelle de l’environnement. Par exemple, le projet éco-taxe - un des plus emblématiques pour le M2M en France -, vise à la mise en place d’une taxe (dès 2011) sur les camions (à partir de 3,5 tonnes) circulant sur l’essentiel du réseau routier national (soit environ 15 000 km). Le principe : taxer les poids lourds (selon leur degré de pollution et leur poids notamment) afin de financer l’infrastructure et la gestion du réseau routier - tâche auparavant réalisée par les concessions d’autoroutes, tombées depuis dans le secteur privé. L’idée bien sûr est également de favoriser le recours à d’autres moyens de transports, comme le train par exemple, et de réduire ainsi les dégagements de CO2. 

"Le but premier des pays lors de l'implémentation des systèmes ETC (Electronic Toll Collection - la perception électronique de péage) est de soulager les gouvernements des investissements réalisés dans l’entretien des routes", rappelle le cabinet Frost & Sullivan. A la clé, l’éco-taxe devrait générer 1 milliard d’euros par an, affirmaient nos confrères des Echos, citant l'entourage de Dominique Bussereau, le secrétaire d'Etat aux Transports. Pour les gouvernements, ces systèmes visent bien à générer des flux de revenus additionnels, confirme Olivier Beaujard, dont la société Sierra Wireless a participé au déploiement d'un projet de ce type en Allemagne (400 000 véhicules ont été équipés des solutions du Canadien).

Télépéage : un retour sur investissement rapide

Selon les chiffres de Frost & Sullivan, la mise en place de cette taxe aura certes nécessité un lourd investissement technologique (même si la voie choisit par le gouvernement français - le PPP - fera peser ces investissements sur les prestataires, qui les répercuteront dans leurs coûts), mais le ROI serait très rapide. "A condition que les volumes soient au rendez-vous", note Olivier Beaujard. Reste que les exemples à l'étranger plaident en faveur de ce type de projets. "Les revenus estimés sur 10 ans, jusqu’à fin 2017, pour quelque 2 000 km de route à péages en République Tchèque [qui avec l’Allemagne a servi de pilote au niveau européen, NDLR ] est estimé à 4,6 milliards d’euros", indique le cabinet d’analyse. "Avec un coût d’infrastructure dégressif porté aujourd’hui à 12 %", poursuit-il. 

Ces projets, qui devraient se généraliser à tous les membres de l’UE en 2014 - y compris pour les particuliers -, sont donc dans le viseur des secteurs publics. Car ils permettent non seulement de mobiliser un personnel minimal pour collecter la taxe, mais également d’ajuster à la volée les grilles tarifaires (en fonction de la saison par exemple).

Si les initiatives M2M pullulent dans l'espace urbain, elles s'intéressent  également au premier chef à la santé. Un segment clé pour les acteurs du marché des objets communicants, comme le confirmait la dernière édition du Forum Ocova à Gap. Si, aujourd’hui, les projets de traçabilité de déchets médicaux ou encore de télé-diagnostic semblent être au coeur des développements, les secteurs publics pourraient y voir une formule adaptée contre le vieillissement de la population. Et une éventuelle solution qui, parmi d'autres, permettrait de moderniser le système de santé français.

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EETS : un projet de télépéage interopérable en Europe

L’éco-taxe hexagonale (projet de taxation des poids lourds fréquentant l'espace routier français) prend sa source au niveau européen au sein de la directive EETS (European Electronic Toll Service) finalisée en mars 2009, dont "l’objectif est de normaliser le réseau routier en Europe", explique Jean-Noël Georges, directeur de recherches chez Frost & Sullivan. Cette initiative est née de deux réussites en Allemagne et en République Tchèque. Leur principe : faire payer aux automobilistes une taxe en fonction de leur heure de circulation (heure de pointe ou pas), de la route empruntée (fréquentée ou pas) et du type de véhicule. Ce tour de force est notamment réalisable via un système M2M comportant un boitier GSM / GPS et un sticker RFID, comme peut le proposer NXP avec sa solution Atop (Automotive Telematics On-board unit Platform) - une solution qui a été par ailleurs retenue en Hollande. Déjà bien positionné sur les projets M2M - avec la mise en place de Taxi Expert à l’aéroport de Roissy CDG et Lyon St Exupéry -, Steria propose de son côté une technologie identique de boîtier baptisée "Kilometrix". Selon Frost & Sullivan, EETS aurait dû être déployé à partir de 2014 - particuliers compris -, mais le cabinet fait état de plusieurs décalages dans le temps.

Mi-septembre 2009, le gouvernement américain a lancé Apps.gov. Un site Web hébergeant, en mode Saas, des applications et des services dûment approuvés, à destination des administrations du pays, et proposés notamment par Salesforce.com ou encore Google. Stockage, hébergement et provisionnement de machines virtuelles doivent suivre. Les premiers pilotes sont programmés pour cette année. Peut-on imaginer un Apps.gouv.fr sur ce modèle ? Pourquoi pas… mais peut-être pas pour l’intégralité du secteur public. Et peut-être pas encore à l’échelle nationale.

Trop de spécificités dans les grandes administrations

Pour Jean-Claude Lamoureux, directeur associé du groupe Sopra en charge du conseil au secteur public, une telle perspective n’est pas crédible pour les grandes administrations, en raison de trop « fortes spécificités métiers. » Pour les fonctions de support, « on assiste déjà à une mutualisation, avec l'ONP ou Chorus. » Mais là, le client est unique, d’où un marché étroit ne justifiant pas la création d’une plateforme Saas mutualisée. Même chose pour la Justice, où Sopra assiste le ministère dans la refonte de chaîne pénale. D’autres administrations encore sont dans une situation comparable, à l’instar de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie : là, encore un marché étroit et de fortes spécificités métiers, alors que les projets de mise en place de systèmes comptables à base d’ERP commencent à peine. En outre, sur le secteur de la protection sociale, Jean-Claude Lamoureux relève que « l’on se regarde pour voir comment se copier les uns les autres » plus que pour chercher une forme de mutualisation…

Collectivités territoriales : « ça bouge déjà »

Pour autant, la perspective de plateformes applicatives et de services mutualisés n’est pas complètement incongrue. Dans le domaine de la santé, par exemple, « le marché n’est pas encore très structuré. Cela pourrait être une solution pour les hôpitaux de petite ou moyenne taille. Mais ils n’y a pas encore d’initiative dans ce sens. Et puis, il faut ajouter des spécificités réglementaires, une gestion qui relève de la comptabilité publique, etc. » Bref, on est loin du marché du siècle, mais les perspectives semblent exister.

Des initiatives parfois déjà anciennes

Si, en 2008, IDC estimait que la mutualisation des infrastructures informatiques entre collectivités locales restait limitée, certaines initiatives remontent à bien avant. En 2006, la communauté d’agglomération du Grand Nancy s’est lancée dans une telle démarche, associant neuf villes en tout, sur la base d’un premier essai réussi entre Nancy et Vandoeuvre - une initiative remontant à 1999. Plus généralement, les structures de type communautés de communes ont souvent été l’occasion d’une mutualisation de la fonction informatique sur le périmètre des compétences transférées par les communes à la structure intercommunale. Par exemple, à Chelles, le DSI s’occupe également du SI de la communauté d’agglomération Marne et Chantereine ; à Drancy, le DSI a aussi la charge des infrastructures informatiques de la Communauté de Communes de l’aéroport du Bourget, etc.

En fait, c’est du côté des collectivités territoriales que les perspectives paraissent les plus prometteuses : « il y a déjà des offres de type ASP pour la dématérialisation des marchés publics, par exemple. » Et Jean-Claude Lamoureux de citer l’exemple du groupement d’intérêt public e-Bourgogne. Lequel « mutualise des équipements informatiques et des services pour déployer l’administration électronique », comme l’indique son site Web, avec, au programme, des services au citoyens, aux collectivités et aux entreprises. Un projet dans lequel Sopra est intervenu en assistance au pilotage ; l’exploitation et la maintenance de la plateforme ayant été confiés à Atos Worldline dans le cadre d’un partenariat public-privé de dix ans.

Le projet breton Megalis s’appuie sur la même logique, avec services applicatifs et « services d’e-administration ». Des idées qui essaiment : « Sopra est intervenu avec la commission européenne pour l’extension de ces dispositifs à des collectivités territoriales d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie ou encore la République Tchèque », explique Jean-Claude Lamoureux. Pour lui, le terrain de ces collectivités promet d’être fertile : « elles ont énormément de métiers différents, mais toutes ont les mêmes. On peut imaginer construire des offres en ASP, pour chaque métier différent. » Une diversité des métiers qui ne manque toutefois pas de générer des difficultés, comme l’évoquait récemment le DSI du Pays Voyronnais dans nos colonnes.

Une impulsion de la force publique

Ce qui n’empêche pas les initiatives. L’Adullact (Association des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres pour l'administration et les collectivités territoriales), en particulier, pousse à la mutualisation des outils pour les collectivités et l’administration, en Open Source. L’association, organisée autour de groupes de travail thématiques, organise la création et la mise à disposition d’outils dédiés aux préoccupations des collectivités. Pour 2010, elle se concentre ainsi sur la dématérialisation, proposant une chaîne complète d’outils intégrant la gestion du courrier, des actes administratifs, de la signature électronique, etc. Jusqu’aux marchés publics, en passant par l’instruction des installations d’assainissement, ou encore l’espace de travail numérique pour l’enseignement. Et, justement, l’Adullact regroupe des adhérents aux besoins potentiellement très différents les uns des autres : communes, communautés de communes et urbaines, conseils généraux, Sdis... pour un total de 6 931 structures territoriales adhérentes.

Jean-Claude Lamoureux évoque aussi le moteur de portail Lutèce de la ville de Paris – un CMS « produit la ville et versé à la communauté Open Source ». Autant d’impulsions provenant de la sphère publique. Dès lors, Jean-Claude Lamoureux s’interroge sur le rôle des éditeurs privés dans ce mouvement : « dans tous ces projets, le risque est majoritairement porté par la sphère publique. »

La crise, un nouveau catalyseur ?

Reste à savoir quel rôle jouera la crise dans ce contexte. En mai dernier, Gartner indiquait prévoir que le secteur public serait un lourd contributeur à la croissance de la dépense informatique en 2010. Mais, il y a quelques jours, le cabinet a choisi de revoir à la baisse sa prévision de croissance de la dépense IT mondiale pour cette année, sous l’effet, en particulier, de la crise de la dette souveraine en Europe. De quoi accélérer les efforts locaux de mutualisation ?

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