IBM rachète Ilog, un des derniers fleurons du logiciel français

Avec le rachat d'Ilog, IBM s'offre l'un des derniers grands éditeurs de logiciels français disposant d'une carrure internationale. Profitant de la faible valorisation de l'éditeur français, Big Blue fait de plus une bonne opération en s'emparant à vil prix du spécialiste mondial de l'optimisation et de la gestion de règles métiers.

IBM a annoncé aujourd'hui son intention de racheter Ilog, le spécialiste français des outils d'optimisation à base de règle, pour 215 millions d'euros. Un prix qui valorise la société 37 % plus cher que sa valeur en bourse à la clôture des marchés vendredi. Avec ce rachat, c'est l'un des derniers grands éditeurs français internationalisés qui quitte l'Hexagone, après le rachat l'an passé de Business Objects par SAP.

L'aventure Ilog (Intelligence Logicielle) a commencé le 7 avril 1987 lorsque l'Inria a filialisé son activité dans les langages objets et la recherche opérationnelle pour donner naissance à un éditeur dont l'objectif était alors d'établir la suprématie française en intelligence logicielle. Au fil des ans, Ilog s'est imposé comme un spécialiste des composants logiciels embarqués, notamment dans des domaines comme l'optimisation et les moteurs de règles métier.

ilogPlus récemment, la firme a également ajouté à son arc une nouvelle corde, celle des outils de visualisation. Ilog occupait l'an passé la cinquième place des éditeurs français, derrière le leader Dassault Systemes, Axway, Cegid et GL Trade. L'essentiel de sa recherche et développement, un poste important dans les dépenses de la société, était aussi basé en France. Avec l'acquisition, rien ne dit que cette R&D restera durablement en France. Une autre question posée est celle de l'impact de l'acquisition sur les nombreux clients et partenaires d'Ilog, comme EMC, Fujitsu, Microsoft, Oracle/BEA ou SAP.

Un rachat stratégique et à bon compte pour IBM

Côté IBM, Alain Le Corre, le directeur marketing de l'activité Information Management d'IBM France, se félicite du rachat : « C'est une excellente acquisition. La gestion des règles est de plus en plus importante, afin d'assurer l'agilité des processus métier ». Il se veut aussi rassurant en indiquant que  « fidèle à sa politique d'acquisition, IBM conservera l'ouverture des technologies Ilog sur toutes les plates-formes du marché ». Selon Alain Le Corre, « les entreprises qui choisiront de bâtir leurs applications sur la pile logicielle maîtrisée par IBM verront les risques liés à l'intégration et au déploiement se réduire. Tout en bénéficiant de meilleures capacités de négociation ». Cet argument devrait notamment séduire les environnements bancaires ainsi que le secteur de l'assurance et des télécoms où les outils d'Ilog sont largement déployés. 

Reste que l'acquisition est aussi un constat d'échec pour les politiques de développement high-tech françaises. 

« C'est encore un des fleurons de l'industrie du logiciel qui est racheté par un groupe américain », regrette ainsi Bernard-Louis Roques, le directeur général de Truffle Venture, une société de capital-risque qui publie chaque année le classement des 100 premiers éditeurs français de logiciels.

« IBM profite d'un moment de faiblesse d'Ilog, conjugué à la morosité des marchés financiers, pour mettre la main, à un prix de misère, sur une société qui a toujours été pilotée par l'innovation technologique. Au-delà des questions de génération – qui existent pour Ilog -, je crois surtout que tant le management que les investisseurs ne voyaient plus les perspectives qui s'offraient à l'éditeur s'il restait indépendant ». 

La politique d'innovation française dans l'impasse

Pour Bernard-Louis Roques, « cette acquisition a un sens énorme pour IBM, qui devrait la rentabiliser rapidement. Qui plus est, Ilog dispose d'une trésorerie de 70 millions d'euros  ». Et de tirer à vue sur les politiques publiques en matière d'innovation : « nos dirigeants politiques n'ont toujours pas compris que le logiciel est un des meilleurs investissements pour le futur. On continue préférer subventionner un ArcelorMittal qu'un Ilog. Malgré les déclarations d'intention lors des élections présidentielles, rien n'a changé en France : pour répondre à un appel d'offres de l'administration, mieux vaut s'appeler IBM qu'être une start-up du logiciel française. J'espère que ce rachat, qui suit celui de BO, va enfin marquer les esprits. »

Peut-être. Car l'ironie de ce rachat réside dans le fait que ce sont les fruits de l'investissement public et d'années de recherches dans des secteurs de pointe qui partent à vil prix enrichir la veuve américaine... par manque de financements publics et privés pour le développement d'un véritable écosystème du logiciel en France.

En savoir plus :

L'édition de mai 1987 de Code Source, le magazine de l'Inria avec, en une, la création d'Ilog et en page deux une étonnante photo du père du langage LeLisp (Jérôme Chailloux) avec Jean-Marie Hullot. Hullot est l'un des créateurs de l'interface de Next etsurtout l'architecte d'un des premiers ateliers RAD mondiaux, Interface Builder, encore aujourd'hui au coeur des outils de développement d'Apple... (Hullot a récemment quitté la firme à la pomme  pour créer fotonauts, une start-up basée à Paris qui travaillerait sur un concurrent de Flickr)

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