Réactions : après le feu vert donné à Oracle, l’Open Source français critique la décision de l’UE

Au lendemain de l’approbation bruxelloise du rachat de Sun par Oracle, la communauté Open Source française s’interroge sur les arguments de la Commission, qu’elle considère assez peu convaincants, voire non représentatifs de la réalité du marché. Réactions.

Une semaine avant la date butoir, fixée initialement au 27 janvier, la Commission européenne a donné hier son fer vert : Oracle a l’autorisation de racheter Sun en Europe, et d’empocher dans la foulée MySQL. Et ce en dépit de la pression exercée par la communauté Open Source, qui avait trouvé en Monty Widenius - père fondateur de la base de données - un chef de file pour mener la lutte anti-rachat, en créant notamment une pétition en guise de campagne de lobbying.

Aujourd’hui, alors que le dernier verrou vient de sauter - les autorités américaines ayant très vite donné leur approbation -, la communauté Open Source est déçue et s’interroge sur la décision de Bruxelles. Une décision qui, selon elle, ne suit pas vraiment la réalité du marché et ignore les rouages de l’Open Source. “Même si finalement, on s’y attendait, résume Cyril Pierre de Geyer, co-fondateur de LeMug.fr, le groupe d’utilisateurs français de MySQL. La pétition nous a permis d’espérer, on pensait que ça passerait, mais le lobbying [celui d’Oracle, NDLR] a été trop fort”.

Dans un e-mail, Florian Muller, farouche opposant aux brevets logiciels et bras droit de Monty dans sa campagne de sauvetage, explique qu'Oracle ne doit pas crier trop vite victoire et a encore besoin de la réponse des autorités chinoises et russes [la pétition avait aussi été envoyée à ces deux pays, NDLR]. Avant d’expliquer que la décision de Bruxelles ne doit pas servir de base à toute autre décision en matière de fusion liée à l’Open Source.

Pour la Commission, PostgreSQL est une alternative crédible

Pour mémoire, dans un communiqué, Neelie Kroes, commissaire chargée de la Concurrence, explique notamment que MySQL et Oracle ne sont en concurrence que sur certains segments de marché, mais ne le sont pas sur d’autres, “comme celui du haut de gamme”. Elle explique également : “l’enquête de la Commission a montré qu’une autre base de données ouverte, PostgreSQL, est considérée par de nombreux utilisateurs de ce type de logiciels comme une alternative crédible à MySQL et pourrait dans une certaine mesure remplacer la force concurrentielle que cette dernière représente actuellement sur le marché des bases de données. La Commission a aussi constaté que des « forks » (logiciels construits sur la base du code de MySQL), autorisés sur le plan juridique étant donné que MySQL est une base de données ouverte, pourraient également être développés à l’avenir et exercer rapidement une pression concurrentielle suffisante sur Oracle.” Parmi ces forks, figure notamment MariaDB, le nouveau projet de Monty Widenius, principal opposant à la prise de contrôle d'Oracle.

A la rédaction de cet article, Monty Widenius n’avait pas encore réagi sur son blog. Marten Mickos, ex-pdg de MySQL, qui s'était déclaré en faveur du rachat -  l’inverse de Monty donc - se dit “satisfait de l’approbation inconditionnelle de la Commission européenne sur le rachat de Sun par Oracle”, par la voie de Twitter. Rappelons que l'Open Source est apparue divisée dans ce dossier. Cette semaine, par un billet de blog, le Français Marc Fleury, ex-patron de Jboss, avait par exemple critiqué vertement l'attitude de Monty Widenius.

Fork : un argument illusoire pour les utilisateurs

Du côté des utilisateurs, on considère que la décision de la Commission est logique : "elle réagit en tant que juriste”, constate Mickaël Rémond, Pdg de la société Process One, spécialisée dans une plate-forme de messagerie instantanée Open Source qui s’adosse à MySQL. Même si ce dernier a évidemment des interrogations - “on ne sait pas comment va évoluer le produit”. - il se dit optimiste pour la suite des événements car “Oracle doit se servir de MySQL pour le positionner comme un outil de référence et a plus d’intérêt à conserver une réussite comme MySQL que de le revendre”.

Si, pour lui, un fork demeure une “réelle possibilité”, il engendre un réel problème de crédibilité au niveau des entreprises. Un sentiment partagé dans le milieu de l’Open Source : le fork peut bien exister, certes, mais il sera extrêmement difficile pour lui de fédérer une communauté. “Ce qui fait la force de MySQL, c’est surtout sa marque”, résume Fabien Potentier, Pdg de Sensio, société qui développe le framework PHP Symfony. S’il confirme qu'un fork est une alternative possible à un etouffement de MySQL par Oracle, les entreprises quant à elles ne feront confiance qu’à une marque, pense-t-il. “Qui connait aujourd’hui MariaDB [le projet de Monty Widenius, NDLR] dans les entreprises ?”, lance-t-il. Bref, quel que soit le fork, il mettra des années à s’imposer, laissant du coup les mains libres à Oracle.

PostGreSQL, une alternative uniquement sur le papier ?

Si la Commission a statué de façon purement juridique sur l’état de la concurrence, elle n’a pas (ou très peu) pris en considération l’aspect entreprise, explique en substance Fabien Potentier. L’argument de PostgreSQL comme alternative à MySQL est ” hallucinant”, selon lui. Car ce produit est très peu présent dans les entreprises. La base de données Open Source constitue en effet une alternative à MySQL en termes de performances et fonctionnalités, mais pas en matière commerciale. Même son de cloche chez Mickael Rémond, pour qui PostgreSQL manque d’assise : “Avec MySQL AB, on disposait d’un vrai interlocuteur pour répondre aux questions. Ce qui fait défaut à PostgreSQL”. Florian Muller, de son côté, explique que si PostgreSQL existe bien depuis des décennies, elle n’a jamais connu le succès de MySQL et "la Commission ne peut sérieusement pas affirmer que PostgreSQL pourrait remplacer MySQL".

Un écosystème autour de MySQL destabilisé

Malgré tout, reconnaissent nos interlocuteurs, la décision de la Commission a au moins le mérite de dégeler la situation. “Il fallait en prendre une”, constate Cyril Pierre de Geyer, qui rappelle combien le marché autour de MySQL souffrait de l’incertitude planant sur le rachat du Sun (notamment le marché de la formation à MySQL, où les demandes ont radicalement chuté depuis 6 mois). Reste encore à savoir ce que fera réellement Oracle et surtout les résultats que l'intégration produira dans 1 ou 2 ans, souligne-t-il. Même son de cloche chez Fabien Potentier, qui affirme se trouver désormais dans une position délicate en tant qu’hébergeur MySQL et doit clarifier sa position face à ces clients.

Tous les regards sont donc tournés vers le 27 janvier. Date à laquelle Oracle devrait officiellement annoncer une feuille de route d’intégration des technologies de Sun. Et donc détailler (peut-être) un peu plus ses intentions quant à MySQL. Histoire de valider les promesses de Larry Ellison sur la poursuite des investissements dans la base de données Open Source.

En complément sur LeMagIT.fr :

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