Dématérialisation de factures dans le secteur public : beaucoup de volontarisme

Dans moins de deux ans, l'Etat devra être à même d'accepter les factures dématérialisées provenant de ses fournisseurs. Sauf que ce chantier colossal doit encore venir à bout de bien des obstacles : définition d'un format adapté à tous les secteurs, modalités pour les fournisseurs traitant de faibles volumes ou encore adaptation des processus de l'administration. Pas simple surtout que la base comptable - les progiciels Helios pour les collectivités et Chorus pour l'Etat - n'est pas encore stabilisée.

C'est un chantier gigantesque que commence à étudier l'administration française. Celui de la dématérialisation de ses actes comptables. Une première pour l'administration centrale. "L'UGAP est la seule expérimentation à grande échelle que je connaisse à ce jour dans l'administration d''Etat", explique Cyrille Sautereau, Pdg de Deskom, société qui possède en revanche des références dans les collectivités (notamment la Mairie de Paris, où il est co-traitant avec CSC). De facto, le sujet apparaît comme une suite logique à la mise en place progressive d'applications comptables mutualisées tant pour les collectivités (Helios) que pour l'administration centrale (Chorus). Lors d'une conférence organisée fin janvier par Deskom, prestataire spécialiste de la dématérialisation de factures, Mike Buteux Van des Kamp, un Néerlandais qui a travaillé sur des sujets similaires à Bruxelles et recruté par la DGFIP à l'été 2009, évoquait les volumétries concernant cette administration, fruit de la fusion entre la direction des impôts et la direction générale de la comptabilité publique. "Pour les besoins internes et externes, cela représente 2 milliards de feuilles A4 par an, soit l'équivalent d'un jardin d'acclimatation coupé chaque mois", explique-t-il. Et un budget (papier, imprimantes, toner) de 40 millions d'euros par an.

Une place à prendre pour les opérateurs de démat'
Si les très grands fournisseurs de l'Etat géreront probablement leurs échanges avec l'administration en direct, les PME ou les fournisseurs plus occasionnels devraient passer par des tiers, chargés à la fois de préparer les factures au bon format et de gérer les informations renvoyées par les services comptables (refus ou validation, mise en paiement, etc.). "La transmission directe ne vaut que pour les gros volumes", admet Nicolas Botton, de l'AIFE.
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Dans cette masse, les 250 millions de factures entrantes font, avec les feuilles de paye et les processus internes aux ministères, figure de candidats naturels à la dématérialisation. "Dans le privé, avec 1,5 million de factures, on considère qu'il s'agit d'un projet énorme. Là c'est presque 200 fois plus !", note Mike Buteux Van der Kamp, même si l'administration prévoit d'abord de se concentrer sur les factures transitant entre les ordonnateurs (les collectivités donc) et le comptable, soit 120 millions de documents. Dès 2010, les comptes de gestion par collectivités doivent également être passés en version numérique, pour leur transfert aux Cours régionales des Comptes, chargées de vérifier les comptabilités de ces entités. "Ceci afin d'éviter les transports de documents, par camions entiers, entre les trésoreries et les Cours des comptes", précise Mike Buteux Van der Kamp.

Chorus : EDF et ses 400 000 factures essuie les plâtres

Et il ne s'agit là que des factures provenant des marchés passés par les collectivités (et gérées dans Helios donc). La même problématique se posera avec Chorus, un fois l'outil totalement déployé et exploité (la v4 vient d'être mis en service et vise environ 50 % de la totalité des 35 000 utilisateurs de l'outil). "Dans Chorus, la dématérialisation est un levier important d'économies, puisqu'il y aura un seul système pour le workflow de la dépense publique", note Nicolas Botton, chef de projet dématérialisation à l'AIFE (l'Agence pour l'informatique financière de l'État, chargée de piloter le système d'information financière de l'État). Avec, comme pour les collectivités, des expérimentations prévues avec les factures entrantes dès 2010. Selon Nicolas Botton, un pilote est en cours avec EDF, qui émet à lui seul 400 000 factures par an en direction de l'Etat.

Deux formats XML
Selon le blog Dématériel, L’AIFE (l'Agence pour l'informatique financière de l'État) spécifiera deux formats XML pour les fichiers EDI renfermant les données de facturation. Le premier, pour les ministères, sera basé sur le message Invoice de l’UBL (Universal Business Language) de l’Oasis (Organization for the Advancement of Structured Information Standards). Le second, pour les collectivités territoriales, reposera sur le format e-Invoice de l’UN-Cefact. Même si ces dernières seront libres d'employer d’autres formats.
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Dans les faits, ce volontarisme affiché, matérialisé par des projets pilotes, est poussé par une obligation légale. La loi de modernisation de l'économie (LME), suite à un amendement de l'Assemblée précisé par le Sénat, prévoit en effet dans son article 25 que l'administration centrale accepte les factures électroniques dès le 1er janvier 2012. Sur la base du volontariat pour les entreprises (contrairement à la Suède ou au Danemark qui, eux, imposent le passage au numérique). Pas sûr toutefois qu'elles se bousculent au portillon. Car, pour l'heure, le décret d'application - en cours de rédaction à la DGME (Direction générale de la modernisation de l'État) - n'est pas sorti, et le format de transmission en EDI n'est lui non plus pas arrêté. Alors que, fin 2008, l'AIFE promettait des précisions sur ce sujet dès le premier semestre 2009... Comme l'ont montré les questions et remarques de la salle lors de la conférence de fin janvier, le temps nécessaire à la mise en place de ce type de processus rend plus qu'hypothétique une ruée vers le sujet. "Je ne suis pas convaincu que le dispositif soit prêt au 1er janvier 2012", résume Cyrille Sautereau, Pdg de Deskom.

Un seul format, des blocs de données facultatives

D'autant qu'il faudra gérer l'adaptation du format aux multiples contextes des fournisseurs, imposant sur les factures des données différentes d'un métier à l'autre. "Il y aura un seul format, avec des blocs de données facultatives. Et les factures envoyées à Chorus contiendront des informations permettant de les router automatiquement", promet Nicolas Botton. Concrètement, les fournisseurs de l'Etat se verront fournir un fichier de description de structure (XSD, pour XML Schema Definition), assorti d'adaptations pour chaque type d'industrie. "C'est autant une question de format, qu'un sujet fonctionnel consistant à définir les données pertinentes", alerte Cyrille Sautereau, Pdg de Deskom.

Et Nicolas Botton d'assurer que, via des contacts avec de grands fournisseurs, dès la mise en œuvre de la loi, Chorus recevra plus d'un million de factures (en rythme annuel), après des pilotes permettant de roder les organisations des deux côtés, un point essentiel dans les projets de dématérialisation. Une accélération de calendrier clairement dicté par la volonté du ministère de l'Economie de mettre en place le dispositif au plus vite pour laisser le temps aux fournisseurs de s'y préparer, Christine Lagarde souhaitant voir précisés modalités et formats avant l'été. Sauf que, tant côté Helios que Chorus, les projets en matière de dématérialisation viennent se greffer sur une base encore instable. Douze très grandes collectivités (représentant autant de pièces que le reste de l'administration territoriale) doivent ainsi encore basculer dans Helios en 2010. Et Chorus vient juste de franchir son premier déploiement massif - celui correspondant à la version 4 du progiciel -, sur d'importantes volumétries. Avec les difficultés qui en résultent.

En complément :

- Projet Chorus : tout se passe aussi mal que prévu

- Dématérialisation de factures : un marché de 400 millions d'euros en 2009

UGAP, seule expérimentation à grande échelle
Centrale d'achat publique de biens banalisés (sous tutelle des Finances), l'UGAP a géré 465 000 factures par an, dont 170 000 dématérialisées (sur 11 fournisseurs). Michel Pauchet, directeur financier de cet établissement public, explique que ce projet mené en interne nécessite une phase de rodâge pour chaque fournisseur : "nous démarrons par quelques lots de factures fictives pour tests, avant de passer à une phase où factures papier et dématérialisées sont envoyées en doublon, puis à la généralisation. Quand tout marche bien, un fournisseur peut être intégré en trois mois. Mais nous ne recevons pas de facturation sur des produits élaborés", prévient-il. Une façon d'avertir les services de l'Etat de l'importance de la tâche qui les attend, face à des fournisseurs livrant eux des produits ou services bien plus complexes.

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