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« Les entreprises veulent des solutions de bout en bout », Jean-Pierre Tournemaine (Interoute)

Dans un entretien avec LeMagIT, Jean-Pierre Tournemaine, le directeur général d’Interoute France, fait le point sur la vision du marché télécom de l’opérateur, après son rachat d’Easynet en 2015. il revient aussi sur les transformations en cours sur le secteur et sur l’évolution de la demande des entreprises.

LeMagIT a récemment pu s’entretenir avec Jean-Pierre Tournemaine, le directeur général d’Interoute en France. L’occasion de faire le point sur la vision du marché télécom de l’opérateur, après son rachat d’Easynet en 2015, mais aussi de discuter des transformations en cours sur le secteur et de l’évolution de la demande des clients.

LeMagIT : Les opérateurs télécoms d’entreprises voient leurs revenus menacés par la baisse des prix continue des services IP, l’évaporation des revenus de la voix, la concurrence d’acteurs « over the top » dans des domaines autrefois chasse gardé comme la visioconférence, les communications unifiées, les VPN (avec le SD-WAN). Comment se comporte Interoute sur ce marché ?

Jean-Pierre Tournemaine : Le monde des télécoms est un monde qui change avec une forte pression sur les prix. On y voit émerger de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies qui font que si l’on n’y prend garde, le réseau peut être ramené à sa plus simple expression.

Interoute est aujourd’hui un gros opérateur d’infrastructure, avec un réseau de près de 70 000 km de fibre optique déployé dans le monde. Mais, nous restons petits en termes de taille et d’effectifs, avec 2 000 salariés après le rachat d’Easynet. Ce qui fait de nous un acteur agile dans le secteur. Gartner nous voit comme le 4e acteur paneuropéen derrière BT, Orange ou Verizon et devant Colt.

Parce que nous avons anticipé les mutations en cours, nous avons décidé de migrer d’un métier d’opérateur vers celui de fournisseur de plates-formes digitales. Nous entendons mêler nos offres de réseau de niveau 2 et 3 avec les services offerts par notre plate-forme d’IaaS, baptisée VDC (Virtual DataCenter). Nous allons proposer à nos clients des offres hybrides mêlant SDN, avec caching WAN, optimisation de trafic, firewall, etc., afin de délivrer des solutions clé en main avec un avantage considérable : des SLA de bout en bout, avec également la possibilité de s’interconnecter avec les offres des grands fournisseurs de services cloud du marché comme Amazon, Microsoft…

Les entreprises se recentrent sur leur cœur de métier et recherchent des partenaires capables de leur fournir des engagements de qualité de service plus que des services eux-mêmes tout ce qu’ils veulent est que ça marche. Elles ne veulent plus segmenter leur solution, avec un fournisseur pour ci un pour ça et du ping-pong permanent entre le fournisseur d’infrastructure, le fournisseur de réseau et celui de la solution. Elles veulent une solution de bout en bout. On propose par exemple des solutions Microsoft Lync couplées à de la ToIP et intégrées avec notre solution « Interoute One bridge » et notre plateforme VAAS (video as a service) et on administre tout cela pour le client final. On assure une intégration parfaite entre ces services qu’ils soient hébergés ou pas dans le cloud.

Les opérateurs ont longtemps parlé avec mépris des services de commodité. Pour eux, la commodité était synonyme de baisse de marges et faisait peur. Mais elle est aussi synonyme de simplicité pour les utilisateurs. Et la simplicité est aujourd’hui l’un des critères de choix principaux des utilisateurs.

LeMagIT : 2015, justement, a déjà été marquée par une transformation suite à l’acquisition d’Easynet. Comment s’est passée cette année, dans un contexte où l’activité entreprise des opérateurs a continué à reculer ?

Jean-Pierre Tournemaine : 2015 aura été une bonne année avec de bons résultats. Nous sommes en croissance organique et externe. Nous avons mené une grosse acquisition, celle d’Easynet. Elle a été faite sous le signe de la complémentarité. L’offre de services managés d’Easynet est très complémentaire de celle d’Interoute. Leur géographie est aussi complémentaire de la nôtre avec plus de business en Asie et Amérique. L’acquisition d’Easynet est vertueuse pour aller chercher des compétences digitales. C’est un gros virage pour nous, d’autant qu’elle a coûté près de 550 M€.

LeMagIT : En France, vous êtes historiquement très présent sur Paris via votre boucle optique mais finalement peu déployé en province. L’acquisition change-t-elle cela ?

Jean-Pierre Tournemaine : En France, nous avons un réseau fibre très dense à Paris, mais nous avons aussi des points de collectes un peu partout en France qui nous permettent de monter des offres de niveau 2 et 3 à l’échelle du territoire.

La problématique du raccordement du dernier kilomètre intervient chez tous les opérateurs. Lorsque nous ne pouvons adresser certains sites en propre, nous nous appuyons sur l’infrastructure SFR ou Orange. Dans certaines zones, nous bénéficions aussi du développement des RIP (réseaux d’initiative publique) qui offrent une alternative aux opérateurs historiques pour raccorder les entreprises.

Notre stratégie aujourd’hui est de cibler des entreprises qui ont des vrais problématiques de transformation digitale et des vrais projets de communication, d’interconnexion de leurs sites avec leurs fournisseurs. Nous leur proposons notre plateforme digitale pour supporter cette transformation tout en restant compatible avec leur IT interne existant.

LeMagIT : Vous évoquiez la possibilité pour Interoute d’agir comme plate-forme d’interconnexion vers les grands offreurs cloud. Mais sur ce métier, vous risquez de vous trouver en concurrence frontal avec de nouveaux concurrents comme les grands offreurs de datacenters, qui a l’instar d’Equinix, se positionnent comme des hubs vers les services clouds. On voit même des grands comptes commencer à utiliser directement les plates-formes de peering comme France-IX pour se connecter aux services cloud tout en abaissant leurs coûts de transit IP.

Jean-Pierre Tournemaine,
Directeur Général, Interoute France

Jean-Pierre Tournemaine : C’est vrai, les acteurs du datacenters sont à la fois complémentaires de notre métier et des concurrents. Un acteur comme Equinix aborde le marché comme nous, mais pas par le même bout. Ils s’appuient sur leur force d’hébergement pour devenir une plaque d’interconnexion vers leurs clients. Interoute maîtrise l’interconnexion et le réseau. Ce qui nous différencie est le fait qu’en tant qu’opérateur d’infrastructure, nous maîtrisons le réseau.

Le peering intéresse les multinationales et les très grands comptes qui ont les ressources internes pour gérer cela. Mais il n’affecte pas les PME qui préfèrent sous-traiter ces opérations à un acteur global comme nous. Nous gérons un portefeuille de clients de taille moyenne dont le CA va de 50 M€ à 3 ou 4 Md€. Nos clients veulent un acteur capable de maîtriser et donc de garantir l’infrastructure de bout en bout. La seule difficulté est qu’ils veulent le meilleur prix par composant et le service de bout en bout en plus.

LeMagIT : Justement, on voit que la situation dans le secteur des opérateurs d’entreprises est tendue. Les revenus sont de façon générale en baisse et on voit se multiplier les rumeurs de cessions, comme c’est le cas pour les datacenters d’acteurs comme Verizon ou AT&T. Un acteur comme Colt a même décidé l’arrêt de ses activités de services IT, jusqu’alors vues comme un relais de croissance et de marge.

Jean-Pierre Tournemaine : Dans le cas de Verizon, il y a même des rumeurs de vente complète de Verizon Business et pas seulement de la branche datacenter. Cela permettrait sans doute à la firme de se recentrer sur le sans-fil. Le marché des opérateurs d’infrastructure est un marché très compliqué. Les prix se sont effondrés depuis 2001 et la rentabilité de l’investissement dans MCI est sans doute jugée insuffisante. De mon point de vue, cela ressemble à un découpage en morceau de l’activité entreprise.

Colt est détenu par des fonds, ce qui n’est pas le cas d’Interoute qui est détenu par deux actionnaires dont l’un majoritaire et stable depuis plus de 10 ans [La fondation Sandoz contrôle 70% du capital, le solde étant détenu par le fonds Aleph Capital, NDLR]. Cela nous permet d’avoir une logique long terme en matière d’investissements. De mon point de vue, il est bizarre de voir Colt sortir d’un marché rentable pour se relancer sur un marché télécoms où les prix sont à couteaux tirés. C’est une course à la croissance du chiffre d’affaires à court terme qui ne se pose pas la question de la rentabilité et du long terme.

Nous nous plaçons dans une stratégie à long terme avec notre offre de IAAS. L’offre VDC a la plus grosse croissance dans notre portefeuille et sa rentabilité est bonne. Le développement plus lent du cloud en Europe nous a laissé le temps de nous développer et maintenant, l’accélération est là.

LeMagIT : Interoute a goûté aux acquisitions. Le groupe entend-il aussi poursuivre sa croissance en procédant à de nouveaux rachats ?

Jean-Pierre Tournemaine : Interoute a toujours de l’appétit pour des acquisitions, mais le rapprochement post-acquisition nécessite du temps. Il est donc peu probable que nous procédions à une grosse acquisition dans les jours à venir.

 

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