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Pourquoi quitter l’UE serait désastreux pour le numérique en Grande-Bretagne

Ministre et start-ups britanniques évaluent les risques encourus à quitter l’UE et de l’impact possible sur l’industrie IT

Les Britanniques voteront ce jeudi 23 juin pour s’exprimer sur la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Une sortie qui serait alors un désastre pour l’ensemble de  l’écosystème du numérique en Grande-Bretagne ;  baisse des investissements et accès verrouillé aux compétences les plus en pointe seraient deux conséquences dramatiques.

C’est en effet ce que pensent les start-ups locales. Lors d’une conférence qui s’est récemment tenue à Londres et qui réunissait des jeunes pousses du secteur, Ed Vaizey, ministre de la Culture et de l’Economie numérique a confirmé que quitter l’UE aurait pour conséquence de diminuer le taux d’attractivité de la Grande-Bretagne face aux investisseurs et créerait au final des frictions dans les procédures de recrutements des entreprises.

Résultat, les talents de l’IT et du numérique, ainsi que les investisseurs, iraient plutôt chercher des destinations alternatives.

«Dans une certaine mesure, j’ai toujours été un Eurosceptique, observant les régulations, ne souhaitant pas que l’Europe en fasse trop. Mais à travers cette campagne, je suis de plus en plus convaincu que quitter l’UE serait un vrai désastre pour notre pays », a-t-il expliqué. Et ce, sous trois angles différents.

Le Grande-Bretagne est un pays puissant dans l’UE

Pour répondre à l’argument des supporteurs du « Vote Leave » (ceux qui souhaitent donc que le UK quitte l’UE) qui affirment que l’UE empêche la Grande-Bretagne de prendre ses propres décisions, il soutient que « la conviction que le pays est Gulliver retenu prisonnier par les Lilliputiens est complètement fausse ».

A l’inverse, soutient-il, les ministres de toutes l’Europe travaillent de concert. Même si cela repose parfois sur des compromis, ajoute-t-il, les pays peuvent insister pour faire appliquer certaines modifications, comme la Grande-Bretagne a pu le faire en abaissant les coûts du roaming ; « ce qui était contre la volonté de certains états-membres ».

Tout comme les lois sur la neutralité du Net, également soutenues par le pays, a rappelé Ed Vaizey : « Cela est pareil dans le numérique, la Grande-Bretagne est considérée comme un leader dans la création de loi qui aident les consommateurs et les entreprises. »

Brexit, une menace pour la puissance économique

D’un point de vie économique, « toutes les études affirment que quitter l’UE aura un impact considérable sur l’économie du pays ». Selon le ministre, la Grande-Bretagne tire le marché technologique en Europe, mais la France et l’Allemagne ont la volonté affichée dattirer les investisseurs. « Si vous êtes un gros investisseurs américains cherchant à investir en Europe et que la Grande-Bretagne n’est plus dans l’UE, des endroits comme Berlin ou Paris seront préférés à Londres, qui est aujourd’hui l’endroit par défaut. Hors de l’UE, il sera difficile d’attirer les entreprises à forte croissance. »

Les  entreprises technologiques ont besoin de travailleurs migrants

En matière d’immigration, Ed Vaizey assure que la majorité des personnes entrant en Grande-Bretagne viennent hors de l’Europe, et de fausses informations ont été maintes fois répétées par les supporters du Brexit.

« Il existe une légende selon laquelle quelques 500 millions d’Européens attendent à la frontière pour entrer en Grande-Bretagne, mais ce n’est clairement pas le cas, car la circulation est libre depuis des années », affirme-t-il. « Un autre mythe consiste à dire que ces personnes entrantes sont des parasites et des criminels alors qu’elles ne sont en fait que des personnes souhaitant participer à notre économie. »

Selon lui, si la Grande-Bretagne quitte l’Europe, les citoyens britanniques doivent s’attendre à une politique plus rude en matière d’immigration qui compliquera la tâche des entreprises ; celles-ci doivent en effet importer des talents si précieux en Grande-Bretagne pour pouvoir travailler.

Alex Burton, le CTO de la start-up Sup, basée à Londres – elle propose une application pour localiser ses amis et établir des relations dites sociales - confirme qu’un des avantages pour sa société d’être dans l’UE est justement d’avoir accès à ce pool de compétences. « Les meilleurs viennent à Londres. Si nous quittons l’UE, je crains qu’ils partent directement aux Etats-Unis. Nous assistons déjà à une fuite des cerveaux vers les US. Je ne veux pas que cela se passe vers le reste de l’Europe. »  La société a recours à des développeurs français, allemands ou danois. Si les Etats-Unis ne les recrutent pas, d’autres pays sont à la recherche de ces compétences. Cela comprend par exemple les Pays-Bas.

Ce que Kajsa Ollengren, mairesse adjoint d’Amsterdam, avait confirmé à nos confrères de Computerweekly (groupe TechTarget, propriétaire du MagIT). La ville avait pour ambition d’attirer ces talents nécessaires aux start-ups.

Des investissements en péril

Pour Richard Pleeth, le CEO de Sup, il sera bien plus difficile de faire venir les investisseurs si sortie de l’UE il y avait. Ayant intégré un accélérateur européen, Sup reçoit des fonds destinés aux start-ups. « Si la Grande-Bretagne quitte l’UE, les investisseurs injecteront probablement leur argent dans des entreprises localisées dans d’autres pays. L’accès au capital va chuter, ce qui est une vraie inquiétude », a-t-il partagé lors cette conférence.

Tugce Bulut, quant à elle, est fondatrice et CEO de la société Streetbees, qui fournit des données aux entreprises. Elle est turque de naissance, mais a choisi d’installer sa société à Londres. « J’avais le choix de m’installer n’importe où. J’ai regardé Berlin, Istanbul, New York, Lisbonne, mais j’ai choisi Londres. »

En 18 mois, Streetbees est passé de 2 personnes à 22 aujourd’hui, dont 14 n’ayant pas la citoyenneté britannique, mais originaire d’Europe. La société emploie également des personnes du monde entier. « Nous sommes à Londres  car cela nous permet d’avoir accès aux meilleures compétences. Il n’y a pas meilleur endroit au monde pour faire tourner une société qui repose sur la diversité culturelle et le multilinguisme ».

La société a un portefeuille de grandes entreprises, comme Unilever et Vodafone. Même si elle rayonne dans le monde entier, il s’agit d’une société britannique qui paie des impôts britanniques. « Si la Grande-Bretagne quitte l’UE, il sera difficile d’avoir les bonnes ressources et nous devrons nous délocaliser. Cela est sans appel car nous ne pouvons pas perdre ces talents. »

Mais il n’y a pas que les start-ups et les entrepreneurs qui réfléchiront à deux fois avant avant d’injecter des capitaux en Grande-Bretagne, en cas de sortie.

Lors de l’inauguration d’un centre à Paris, Bill Ruh, en charge du numérique chez General Electric, a expliqué que ce centre faisait partie d’une série de nouveaux centres numériques. Un site en Grande-Bretagne était également au programme, mais son ouverture pourrait être retardée si le pays devait quitte l’UE, car toutes les entreprises, y compris les clients de GE, auraient à réévaluer leurs programmes d’investissements sur le court et le moyen terme.

Les organismes IT ainsi que leurs membres semblent toutefois être en faveur d’un maintien dans l’UE. Par exemple, l’association professionnelle TechUK est fermement engagée dans ce camp. Elle pense qu’en quittant l’UE, les entreprises IT seraient privées d’accords commerciaux qui leur donnent l’avantage de cibler un marché de 500 millions de personnes. Cette même association a réalisé un sondage en mars 2016 auprès de 277 entreprises britanniques, dont trois-quarts des PME. 70% affirmaient souhaiter rester dans l’UE. Les 30% restants étaient divisés entre deux camps : quitter l’UE et celles qui ne savaient pas.

76% des responsables IT souhaitent que la Grande-Bretagne reste dans l’UE, car cette appartenance rend le pays plus ouvert et attractif aux investisseurs internationaux. A peu près la même proportion pense aussi qu’en tant que membre de l’UE, la Grande-Bretagne est plus compétitive dans le monde (71%) et se positionne mieux dans les relations commerciales au sein de l’Europe (75%).

Toutes les entreprises IT ne sont pas pro-Europe

Il reste toutefois des entreprises IT britanniques qui supportent Brexit. C’est par exemple le cas de Peter Chadha, CEO de DrPete, une société de conseil, qui explique que quitter l’UE et changer les choses profitera au final au pays. « Je ne pense pas que les difficultés (évoquées par ceux souhaitant que le UK reste dans l’UE) soient insurmontables, et je crois que ces changements seront bons pour la Grande-Bretagne », soutient-il.

A la publication de cet article, les supporters de la campagne Vote Leave, interrogés par ComputerWeekly sur l’impact éventuel d’une sortie de l’UE sur les investissements, n’avaient pas répondu.

Pour approfondir sur SSII, ESN

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