Pour Equinix « les entreprises n'ont pas vocation à opérer leurs propres datacenters »

Dans un entretien avec LeMagIT, Régis Castagné, le directeur général d'Equinix France, revient sur les rachats des datacenters parisiens de Telecity et Digital Realty, la vision d'Equinix, l'évolution des datacenters et sur le rôle de la France sur le marché mondial de ces infrastructures.

LeMagIT : Après la fusion avec Telecity, Equinix a récemment acheté le datacenter de Digital Realty à Saint-Denis. Pouvez-vous faire le point sur l’offre d’Equinix aujourd’hui en France ?

Régis Castagné : Depuis la mi-janvier, Equinix France a hérité des trois datacenters parisiens de Telecity et nous avons ensuite acheté le datacenter de Digital Realty à Saint-Denis, dont nous étions le premier client. C’est une évolution importante qui se traduit dans nos offres. Nous avons ainsi relié nos sept datacenters parisiens en fibre de telle sorte qu’un client d’un de nos datacenters a désormais accès à l’intégralité des écosystèmes partenaires dans tous nos Datacenters.

LeMagIT : On l’a vu chez certains de vos concurrents, les liens en fibre noire inter-datacenters font l’objet d’une guerre des prix intenses. Chez Free Datacenter à Ivry, certains clients paient ainsi environ 60 € par mois pour des liens entre les eux datacenters de l’opérateur.

Régis Castagné : Dans la stratégie d’Equinix le prix d’un cross-connect à l’intérieur d’un building est le même qu’à l’extérieur. On est sous la centaine d’euros pour ces connectivités, ce sont des prix extrêmement bas. Nous considérons toujours que notre valeur ajoutée reste liée au métier traditionnel du DC, notamment en matière de sécurité et de disponibilité. Mais, de plus en plus, nos clients nous jugent aussi sur un TCO qui incorpore les liens télécoms. En venant chez nous, vous avez le choix entre 145 opérateurs qui proposent des services, en plus des mètres carrés et des mégawatts de puissance.

LeMagIT : De façon générale, on a vu certains grands comptes, notamment bancaires, réinvestir dans leurs datacenters tandis que d’autres se désengagent et viennent chercher de la capacité chez des acteurs comme Equinix, Globalcrossing ou Telehouse. Quelles sont les raisons qui amènent ces clients à venir chez vous ?

Régis Castagné : Une grosse partie des clients type Engie ou l’Oreal sont sortis de leur Datacenter pour des soucis de connectivité. Venir chez un acteur comme Equinix permet d’abaisser le TCO opérateur, mais aussi d’améliorer la sécurité de leurs DC. De façon générale je suis convaincu que les entreprises n’ont pas vocation à opérer leurs propres datacenters, mais à venir chez des acteurs tels qu’Equinix. Aux États-Unis, plus de 50 % des infrastructures des entreprises sont sur des infrastructures de datacenters externalisées. La tendance est la même en Europe et le phénomène s’accélère en particulier en Europe du Sud.

Il faut se souvenir d’où vient Equinix. À l’origine, nous voulions construire une place d’échange neutre pour les opérateurs télécoms. Une fois cet objectif atteint, nous avons fait des points de peering internet, puis nous nous sommes attaqués à certains segments verticaux, comme la finance. Equinix héberge aujourd’hui la plupart des grandes bourses et donc, en cascade, les écosystèmes des grandes banques d’investissement. Nous avons répliqué ce modèle dans le secteur des médias et progressivement à d’autres industries.

Enfin, plus récemment, après avoir construit ces verticaux, on a vu le cloud arriver. On est alors allé chercher des opérateurs de cloud qui sont venus chez Equinix partout dans le monde. On est devenu the house of clouds. C’est pour cela que nos clients viennent à nous.

LeMagIT : Certains de vos concurrents, Interxion pour ne pas le nommer, ont récemment investi hors de Paris, à Marseille en pariant sur l’émergence de besoins « régionaux ». Equinix est aujourd’hui très puissant dans les capitales européennes et en particulier à Paris. Avez-vous vocation à vous développer en régions ?

Régis Castagné : Non. Compte tenu de la qualité des infrastructures télécoms en France, il y a une logique à concentrer son informatique sur Paris. Avoir son informatique proche de soi, n’a pas de sens sauf pour se rassurer. On pense que beaucoup d’acteurs régionaux devraient à terme faire le choix de Paris. L’avenir est le cloud hybride, le big data et c’est sur nos infrastructures parisiennes que le choix est le plus grand. On voit mal un acteur régional des datacenters proposer 145 opérateurs sur son infrastructure ou le niveau d’interconnexion que nous avons avec les acteurs du cloud.

LeMagIT : Pourtant, sur Paris et sa petite couronne, il devient de plus en plus difficile de trouver les capacités électriques nécessaires pour opérer de nouveaux datacenters…

Régis Castagné : Sur la partie électricité, nous opérons de très grosses unités et nous avons sécurisé des approvisionnements énergétiques, qui vont bien au-delà de nos besoins actuels. Cela nous donne une visibilité sur le long teme et nous avons notamment a de la marge à Pantin et à Saint-Denis pour nous développer. Nous estimons aujourd’hui avoir une capacité suffisante pour les dix prochaines années. La pénurie d’électricité n’est donc pas pour nous un sujet d’actualité.

D’ailleurs, nous continuons de faire la différence de par la qualité de nos infrastructures et de par notre capacité à croître. Beaucoup de grands clients viennent chez nous, car ils savent qu’ils auront la capacité de s’étendre.

LeMagIT : Vous évoquiez tout à l'heure votre rôle dans la facilitation de l'accès de vos clients aux clouds. Ne pensez-vous pas qu’à terme Amazon, Azure ou Google seront des concurrents redoutables pour vos métiers, car les productions informatiques de vos clients pourraient quitter vos datacenters pour finir dans les clouds publics de ces géants ?

Régis Castagné : Nous ne sommes pas concurrents des grands clouds. Ces grands opérateurs construisent certes des mégadatacenters, mais ils viennent aussi de plus en plus chez nous pour mettre en œuvre des capacités de production au plus près de leur marché. Le cloud d’Oracle, par exemple, est hébergé dans nos locaux de Londres et Amsterdam.

Amazon et Microsoft ont commencé aussi à faire appel à nous pour répondre aux besoins souverains. On sert de plate-forme de proximité pour ces acteurs. 

LeMagIT : Les opérateurs télécoms, qui ont longtemps été vos principaux concurrents semblent se retirer progressivement du marché des datacenters. En France, Orange s’est largement désengagé et SFR a cédé le NetCenter de Marseille à Interxion. Ce n’est pas forcément le cas aux États-Unis où Verizon, AT&T, CenturyLink ou NTT sont des acteurs puissants, même si certains de ces acteurs semblent aujourd’hui reconsidérer ces investissements.

Régis Castagné : Nous sommes complémentaires des opérateurs, mais nos métiers sont différents. Héberger un POP télécom est plus simple que d’héberger les capacités de grandes entreprises ou de clouds. À mon sens, la logique veut que les opérateurs télécoms désinvestissent de leur métier d’exploitant de Datacenter. BT l’a fait en France à Villeurbanne en venant à Pantin chez Equinix. C’est une tendance lourde sur le marché. Les opérateurs ne sont plus des concurrents sur le marché. Aujourd’hui, la vraie valeur ajoutée des « telcos » est leur métier de fournisseur de connectivité et leur métier d’intégrateur. Le métier d’opérateur de datacenter est particulier, car il nécessite des investissements massifs dans le « property ».

LeMagIT : Historiquement, vos datacenters ont accueilli des productions informatiques qui étaient loin d’être optimisées en termes de PUE et d’exploitation. Vos clients ont-ils fait des progrès dans les années passées ?

Régis Castagné : Nos clients ont bien compris que leurs infrastructures devaient être optimisées. Il y a toujours des architectures « legacy » dans nos Datacenters. Mais nos clients mènent des projets de transformation systématiques. La part des architectures historiques recule rapidement et les productions de type cloud se développent rapidement. D’ailleurs, en termes de croissance des capacités installées, on est toujours sur des croissances très élevées. Il y a un jeu de chaises musicales entre le legacy, qui diminue, et le cloud et le big data, qui explosent.

LeMagIT : On voit émerger chez les entreprises des applications de type HPC qui participent de la transformation numérique de leurs activités, notamment en matière de simulation (Dynamique des fluides, simulation électronique, modélisation génétique…). Cela se traduit-il par une évolution de la demande des clients et par une évolution de vos infrastructures ?

Régis Castagné : On a des applications de très haute densité qui nécessitent des Datacenters à même d’accueillir ces applications qui requièrent souvent de 15 à 20 KVA par rack. On a beaucoup de dossiers avec ce type de densité. C’est une des raisons de notre succès. On a un design qui permet d’accueillir ce genre d’infrastructures. Cela profite à tous : Plus on peut densifier une infrastructure et plus on peut proposer des prix agressifs. Cela va dans le sens de la rationalité économique.

J’ai longtemps travaillé dans le monde des télécoms. Aujourd’hui chez Equinix, je suis heureux d’être au bon endroit et au bon moment, car ce qui se passe dans le monde numérique se déroule dans nos infrastructures. 

LeMagIT : Le CESIT [Comité des exploitants de salles informatiqueset Télécom, N.D.L.R] vient aujourd’hui de se rebaptiser France Datacenter, afin de promouvoir la France comme terre d’accueil de datacenters. Lorsque l’on regarde le secteur de près, la France semble avoir tous les atouts pour accueillir des datacenters. Pourtant les acteurs majeurs des mégadatacenters semblent privilégier l’Irlande et les pays nordiques, et aucun des géants du cloud n’a d’implantation en propre en France.

Régis Castagné : D’un point de vue logique, la qualité des infrastructures télécoms et énergétiques françaises, la qualité des ressources humaines, la situation géographique au cœur de l’Europe (moins de 5 ms vers les grands pays d’Europe) et le prix de l’énergie abordable devraient faire de la France un pays de DC. C’est pour cela que nous relançons le CESIT car nous pensons que les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure de l’importance du rôle des datacenters dans le développement des plates-formes digitales.

Ce que la Hollande a réussi en devenant une place centrale en Europe, la France peut le faire. Le problème est qu’il n’y a jamais eu la volonté politique de le faire. La France devrait avoir une place plus importante en matière de DC et d’Internet. Les Datacenters sont l’endroit où la transformation numérique s’opère. Il y a un travail d’éducation à faire. Nous avons un déficit d’image dans le monde. Et les fluctuations de nos gouvernements successifs, pour rester politiquement correct, font que l’on n’a pas l’image et la place que l’on devrait avoir sur ce marché.

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