Comment Pirelli devient un « data dealer » pour l’assurance

Avec les capteurs embarqués dans ses pneus, Pirelli possède des données sur ses clients B2B qui ouvrent la route au « Pay as you Drive » et à une nouvelle source de revenus.

Quand on évoque les données générées en temps réel par les transports, on pense aux GPS et aux capteurs de véhicules de plus en plus « intelligents » (sondes de maintenance, radars de distances, etc.). Mais rarement aux pneus. Et pourtant. Depuis plusieurs années maintenant, Pirelli commercialise des pneus gonflés à la technologie et à SAP HANA. Depuis peu, le constructeur a poussé plus loin sa réflexion. Avec, à la clef, une nouvelle activité de revendeurs de données pour les assureurs qui souhaitent proposer des offres « Pay as you Drive » à leurs clients B2B. Un nouveau métier pour Pirelli, pour l’instant cantonné à l’Allemagne et au Brésil, mais destiné à se généraliser.

Des pneus « intelligents » depuis 2000

Le projet de pneus « intelligents » germe chez Pirelli dès le début des années 2000 - on parle à l’époque de pneus « instrumentés ». L’idée est d’inclure des dispositifs électriques dans la bande de roulement pour mesurer des facteurs comme la déformation d’une roue ou sa motricité et de communiquer avec l’électronique embarquée pour adapter la suspension ou les systèmes ABS/ESP de la voiture.

Depuis, ces capteurs rudimentaires n’ont cessé de progresser : Schrader Electronics - avec qui la R&D de Pirelli travaille depuis les années 2010 – a mis au point une technologie beaucoup plus complexe (TMS pour Tyre Mounted Sensor) pour mesurer les pressions sur la jante et sur la valve, la pression globale, la température et l’usure du pneu.
Résultat de cette collaboration, Pirelli sort en 2012 un nouveau système global (« Cyber Fleet »), qui s’appuie sur ces micro-capteurs de Schrader Electronics. En parallèle, Pirelli a passé un deuxième accord, avec une autre société italienne, Magneti Marelli, pour réaliser un terminal capable d’envoyer au chauffeur et au responsable logistique toutes les données collectées en temps réel par le système.

Aujourd’hui, en plus de diagnostiquer leurs pressions et leurs températures, ces « Smart Tyres » communicants permettent également d’enregistrer la charge du véhicule, ses accélérations, son adhérence, ou la vitesse de rotation de la roue. Autant de nouveautés qui ont un sens pour les partenaires B2B de Pirelli (transporteurs routiers) qui les ont testées – sous forme de prototype - pendant deux ans sur les camions de flottes en Allemagne, en Suède et au Brésil.

Des bénéfices métiers pour les clients B2B et pour la qualité produits

Le premier bénéfice métier d’une meilleure connaissance de l’usage et du comportement des pneus touche quatre domaines : la maintenance prédictive, la sécurité, l’optimisation de la gestion de flottes (côté clients) et un feedback amélioré sur les produits (pour Pirelli). Concrètement, « les résultats obtenus en Amérique Latine [montrent qu’une] surveillance en temps réel des pressions de pneus et du programme d’entretien, grâce aux capteurs Cyber Fleet embarqués dans les pneus et reliés à un terminal, permettent une économie de carburant de 1 000 € par véhicule et par an », avance Pirelli qui rappelle qu’un pneu à la pression inexacte augmente la résistance (et vieillit plus vite).

« Cyber Fleet garantit une économie d’exploitation », promet le constructeur. « En surveillant en temps réel les pressions, le système maintient la résistance au roulage à un niveau parfait, en ligne avec les valeurs définissant le nouveau label européen obligatoire ». L’autre source d’économie vient de l’anticipation du vieillissement, voire de l’éclatement, d’un pneu qui permet d’optimiser le réapprovisionnement et d’éviter les incidents d’exploitation, tout en augmentant la sécurité pour les conducteurs.

Toujours côté sécurité, Pirelli souligne également que son système (capteur et console de contrôle) a un autre bénéfice. Il augmente la précision de la conduite. Une pression pneumatique correcte garantit en effet une meilleure adhérence, aussi bien sur le sec que sur le mouillé, et réduit les distances de freinage.

Grâce à la remontée en temps réel des indicateurs à un central opérationnel – informations qui peuvent également être transmises au conducteur si celui-ci est équipé d’un smartphone ou d’une tablette (« ce qui est de plus en plus souvent le cas nativement dans les camions », constate Jean-Michel Jurbert de SAP France) –, un responsable logistique peut au final établir des diagnostics de maintenance prédictive et de sécurité sur sa flotte et « par le biais d’une connexion à distance […] agir comme une fréquence d’identification radio (RFID) sur chaque pneu ».
A noter qu’en fonction du choix du client, les données sont transmises en continue par le réseau téléphonique, ou par batch, après-coup, lorsque le camion est arrivé à destination. Ces données peuvent être traitées sur site (par l’entreprise cliente) ou chez Pirelli (en mode prestation).

Côté Pirelli, ces « données objectives » - dixit le constructeur - permettent de mieux comprendre le comportement de ses pneus en fonction des conditions d’utilisation. Et donc d’améliorer leur qualité.

Une collecte de données et une modélisation avec SAP HANA

La multiplication des données n’a pas été sans conséquence pour une entreprise qui n’était pas spécialement préparée au Big Data. Cette multiplication a donc été un des facteurs qui l’a poussé à utiliser de nouvelles technologies IT. Car une fois les données générées par les capteurs, Il s’agit de les rendre intelligibles pour apporter de la valeur aux métiers.

Pirelli a finalement porté son choix sur HANA, la base In-Memory de SAP. « SAP HANA répond à ces deux propositions de valeur », commente Jean-Michel Jurbert, responsable Business Development Big Data et EIM chez SAP, contacté par LeMagIT. D’une part, la base permet l’enregistrement en temps réel pour la collecte de données diverses (structurées ou non). D’autre part, « HANA permet l’instantanéité ». Autrement dit, la modélisation dans des délais très courts (quelques secondes au lieu de plusieurs minutes, voire plusieurs heures précédemment) grâce non plus à la seule base mais à la plateforme HANA dans son ensemble. « Il faut aussi voir HANA comme un supercalculateur qui embarque des jeux d’algorithmes optimisés », nous explique le porte-parole de l’éditeur.

Pour la petite histoire, Pirelli utilise également SAP HANA pour son ERP. Notamment pour optimiser ses clôtures trimestrielles : une période où « traditionnellement, sur les trois derniers jours de l’exercice, les clients de Pirelli comme Euromaster passent des commandes groupées massives pour bénéficier de prix bas », compliquant ainsi la réalisation des bilans financiers de Pirelli et sa gestion des stocks.

« Data Dealer » pour le « Pays as You Drive », nouveau métier pour Pirelli

Au-delà de ces nouveaux usages métiers, Pirelli a également vu l’opportunité d’une transformation encore plus profonde. Fort des 700 000 camions équipés de ses pneus communicants, l’entreprise possède en effet aujourd’hui logiquement une connaissance pointue des comportements routiers.
D’où l’idée de proposer ces données aux assureurs pour qu’ils adaptent l’évaluation du risque et diminuent leurs polices en fonction des comportements réels de conduite des entreprises qui optimisent leur sécurité avec « Cyber Fleet ».

Cette activité, qui ne repose pas à proprement dit sur les capacités de SAP HANA mais qui en est le prolongement, a débuté cette année dixit Jean-Michel Jurbert. Là encore, les données brutes sont stockées par le client s’il le souhaite (dans son centre de données s’il en a un) ou remontées directement à Pirelli. Dans un deuxième temps, et dans les deux cas, le constructeur italien consolide les données déterminées pour faire des « abstracts pertinents », les anonymise (mis à part le nom du transporteur) et les transmet à l’assurance de l’utilisateur de « Cyber Fleet » pour qu’elle puisse disposer d’un « modèle adapté, au plus près, au risque d’une société (pas de dépassement du temps de roulage par exemple) » et procéder ainsi à une facturation au « Pay as you Drive ». Dit autrement, Pirelli n’est plus, depuis début 2014, un simple constructeur de pneus. Il est aussi « data dealer », un fournisseur de données pour l’écosystème global du transport routier et diversifie ses sources de revenus.

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