e-G8 : Nicolas Sarkozy cherche à ramener les États au premier plan

En ouverture du forum e-G8, qui se déroule en ce moment à Paris, Nicolas Sarkozy a lourdement flatté les industriels de l’Internet conviés à l’événement avant de leur signifier tout en finesse que les États n’ont pas l’intention de laisser Internet échapper à leurs prérogatives et qu'ils entendent bien reprendre la main sur un territoire dont le développement doit s’inscrire dans une «dynamique de civilisation ». Et d’en appeler à leur «responsabilité», à «la raison».

«Tous sont présents », commence Maurice Levy, Pdg de Publicis, pour évoquer les acteurs de l’Internet participant au forum de l’e-G8. Un ensemble rassemblant largement les fournisseurs de services et d’infrastructure et ne laissant que peu de place à la société civile et aux internautes. Et cela donnera bien le ton de l’événement : comme le regrettent ouvertement depuis plusieurs jours des acteurs comme La Quadrature du Net, ici, on va débattre entre puissants. Mais ceux-ci sont, à entendre Maurice Levy, investis d’une «responsabilité historique [...] pour imaginer comment Internet se développera demain ». Et notamment sur le plan de la création de richesse, avec la question du partage de la valeur - et peut-être en filigrane celle de la neutralité du Net et du coût des tuyaux. 

«Historique»

capture cran 2011 53Le ton était donné car, pour Nicolas Sarkozy aussi, cette réunion a une «dimension historique», en cela notamment qu’elle réunit «pour la première fois tous ceux qui ont changé le monde » et donné naissance à une «nouvelle forme de civilisation». Le mot, emblématique du regard du Président de la République sur Internet est lâché. Il ne sera guère repris par la suite mais transparaîtra en filigrane au travers de l’ensemble de l’intervention. Les références convoquées pour l’occasion l’illustrent parfaitement : Magelan, référence d’une première mondialisation, qui a légué un monde «achevé, cartographié»; la révolution industrielle, qui a laissé derrière elle un monde «domestiqué voire asservi ». Internet est alors présenté comme une troisième mondialisation «qui a changé la perception que le monde a de lui-même [...] changé la notion d’espace [...] de temps [...] changé le champ des possibles et la perception de l’histoire ». Mais pour Nicolas Sarkozy, la révolution induite par Internet est plus profonde encore. Elle s’est «imposée aux Etats eux-mêmes», avec une nouvelle exigence de transparence «parfois contestable dans la méthode et l’objet», souligna-t-il en une référence à peine voilée à Wikipedia. Changées, aussi, «la notion de connaissance - le rêve vieux comme l’antiquité d’une bibliothèque universelle est une réalité», les règles de «la vie économie». Bref, sans craindre de verser dans l’emphase suspecte, le Président de la République élève Internet au même rang que les révolutions induites par les découvertes de Christophe Colomb, de Galilée, de Newton ou encore d’Edison.   

Ramener les États dans le jeu

Mais voilà, si Nicolas Sarkozy souligne que les révolutions arabes ont «montré qu’Internet n’appartient pas aux États», il apparaît clairement que le faible rôle dévolu à ces derniers en ligne ne lui sied guère. Pour lui, si Internet est une «révolution porteuse d’une promesse immense», elle doit «s’inscrire dans une dynamique de civilisation ». Et ça, c’est la «responsabilité», selon lui, des acteurs réunis à l’e-G8, avec des États qui «doivent reconnaître votre rôle dans la marche l’histoire ». Et tant pis si, pour certains, cette simple tournure de phrase pourrait s’apparenter à une inversion des rôles. Car pour Nicolas Sarkozy, l’enjeu semble bien de ramener un peu des prérogatives des États dans Internet : «l’univers que vous représentez n’est pas univers parallèle affranchi de la loi, de la morale et plus généralement des règles» qui régissent la vie des États. Et d’insister : «les gouvernements sont, dans nos démocraties, les représentants légitimes de la volonté populaire.» Bref, pas question de laisser le modèle représentatif de la démocratie et l’organisation traditionnelle des sociétés développées se laisser déborder plus longtemps : «nous avons besoin de vous entendre mais vous avez besoin d’entendre nos limites, nos lignes rouges.»

...pour garantir la stabilité

La justification suit plus loin; les français la connaissent désormais bien tant elle a servi à alimenter les débats autour d’Hadopi ou de la Loppsi 2. A une liberté d’expression «sans équivalent», Nicolas Sarkozy oppose le respect de l’ordre. A une transparence «totale», le «principe même de la liberté individuelle ». A l’absence de territorialité, on sent poindre en filigrane la question de l’optimisation fiscale. Puis viennent la protection de l’enfance et plus généralement la sécurité : «ne laissez pas cet instrument (Internet, NDLR) servir à ceux qui voudraient porter atteinte à notre sécurité.» Et c’est enfin au tour du droit d’auteur d’être évoqué, opposé cette fois-ci à l’indépendance et à l’autonomie des artistes : «ce que j’exprime ici, vous devez tous pouvoir le comprendre; avant tout chose, vous êtes des créateurs [...] ces algorithmes, ces technologies qui changent le monde sont votre propriété.» Et pour appeler les industriels du Net présents à la responsabilité, «à la raison», le Président de la République va plus loin, agitant l'épouvantail de la dernière crise financière : «ne faites pas comme les puissances financières...» 

capture cran 2011 05Mais Nicolas Sarkozy aura presque réussi à esquiver la question de la liberté d’expression et de la cyber-dissidence, malgré une question de Jean-François Julliard, de RSF, se contentant tout juste de présenter Internet comme un «indicateur avancé de démocratie ou de dictature », mais sans préciser la position de «la ligne de partage» entre ouverture et contrôle. 

Au final, le Président de la République a exprimé le souhait de faire de l’e-G8 un rendez-vous récurrent, avant l’espère-t-il, de l’élargir au G20 et même à l’Assemblée des Nations Unies - «parce qu’il faut un socle de règles au niveau mondial, sinon cela n’a pas de sens.» Mais il faut croire que tout cela n’aura pas eu pour effet de rassurer les tenants d’une certaine vision d’Internet, à commencer par ce participant venu de l’Université de New York et qui a demandé : «je voudrais que les gouvernements fassent une sorte de serment d’Hippocrate et s’engagent à ne pas nuire à Internet.» 

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