Lilian Prud'homme, Thin-Track : « pour l'Internet des objets, il faut tout repenser »

Les développements et les technologies qui entourent l'Internet des objets et la RFID sont encore loin d'atteindre les standards requis pour une mise en production efficace. Et pour cause, les développements qui servent aujourd'hui de base n'ont peut-être pas pris un bon départ, semble dire Lilian Prud'homme, directeur technique de Thin-Track. Freinant ainsi les mises en production. Portrait en demi-teinte de l'Internet des objets et de son avancement actuel.

LeMagIT : Dans quel état se trouve aujourd'hui l'Internet des objets?

Lilian Prud'homme : Les choses se sont déroulées dans le désordre avec l'Internet des objets (...). On a déjà implémenté des technologies avant de se poser la question essentielle : quels sont ces événements que l'on veut tracer ? Parce que qui dit événements dit informations qui transitent sur le réseau. Ce qui implique de les récupérer pour les agréger. Et de se poser la question de quel impact cette récupération va avoir sur le réseau.

Cette absence d'interrogations sur des notions essentielles pose un vrai problème. Des études statistiques ont ainsi révélé que l'Internet dans sa configuration actuelle ne supportera pas l'Internet des objets tel qu'il est pensé. Historiquement, Internet a été créé pour communiquer et faire transiter des informations entre humains. La SOA a ouvert une brèche avec le dialogue entre applicatifs. L'Internet des objets franchit une nouvelle étape. Et amène un degré de complexité supérieur. Car l'objet y devient un peu intelligent. Il est capable de dire où il est, dans quel état il se trouve, de façon à dialoguer à la fois avec d'autres objets, mais aussi avec des applicatifs pour apporter un service aux humains, notamment la traçabilité.

LeMagIT : Faut-il en passer par le développement d'autres protocoles que TCP/IP ?

L.P. : Pas en partant de rien. En fait, des solutions existent. L'IPv6 permet davantage de codifications sur IP. Mais ne répond qu'en partie au problème, car il permet seulement de multiplier les identifiants uniques attribués aux objets. Or ce protocole n'est pas pas le seul concerné. Si, par exemple, dans l'agro-alimentaire, on emploie des standards de codification par des codes à barres (EPC), d'autres standards existent. Ce qui pose aujourd'hui un problème au niveau des technologies EPC Global qui ne reposent que sur les identifications EPC.

Donc, l'IPv6 peut servir à étendre le schéma IP, mais oblige tous les acteurs à standardiser un mode de représentation. Une approche qui n'est pas partagée par tous. En revanche, le principe qui spécifie que l'objet doit avoir sa propre représentation interne, ou externe, mais pas forcément IPv6, fait son chemin.

Les technologies d'Internet peuvent répondre au défi posé jusqu'à un certain point, mais sont trop contraignantes pour l'Internet des objets, qui n'a pas vocation à imposer des standards.

LeMagIT : Se dirige-t-on vers un standard unifié pour décrire les objets?

L.P. : Non. La représentation d'un objet doit rester telle quelle. Cette codification répond à un besoin métier. Si on pense un objet comme un élément unique dont la représentation est standardisée, sa spécificité est oubliée. C'est ce qu'a compris la SOA : une abstraction complète des technologies utilisées pour permettre à ces objets de communiquer entre eux, sans partir de la représentation interne de l'objet.

Il faut considérer cette question comme le développement Java dans lequel un objet a ses propres propriétés qu'il peut faire évoluer et mettre à jour, tout en étant capable de communiquer avec l'extérieur, ou d'être interrogé. Donc, on se dirige vers un système d'encapsulation, pour ne pas obliger à une refonte des applicatifs afin de se conformer à un standard.

Aujourd'hui, on utilise une solution bancale. Parce qu'il faut répondre aux besoins de traçabilité dès maintenant.

LeMagIT : Qu'en est-il alors de l'exploitation des données et de la couche applicative?

L.P. : L'Open Source a fait avancer les choses par son ouverture. Auparavant, les expérimentations étaient entre les mains de personnes et on capitalisait sur ces découvertes. Tous les projets européens sont désormais ouverts. Donc, tous les acteurs travaillent à des prototypes Open Source. EPCIS (Information Service) est par exemple Open Source. Pourtant, il existe encore des besoins qui ne sont pas traités dans les projets européens. Aujourd'hui, EPC Global, c'est la publication puis la récupération des informations, mais rien en ce qui concerne l'exploitation de données en production.

Les objectifs des standards EPC consistent à rester le moins possible collé à un métier. Il s'agit davantage de répondre à une problématique très ouverte sur la gestion événementielle. Pour les besoins métier (et le traitement des données associées au métier, ndr), on s'appuie sur des vocabulaires spécifiques qui restent encore le terrain de chasse de sociétés tierces.

LeMagIT : Cela veut-il dire que l'offre est cloisonnée dans des offres métier propriétaires ?

L.P. : On se rend compte que les géants de l'industrie réagissent et implémentent les technologies qui sont développées, participent aux projets européens, mais profitent indirectement de ces projets.

Un groupe de réflexion travaille sur un standard ; les éditeurs vont immédiatement réagir en ajoutant une brique à leur offre implémentant cette spécification. Ils fonctionnent en réaction, pas en termes de refonte globale.(...) Mais, finalement, il n'existe pas de solutions pour traiter les données de façon globale.

Aujourd'hui, on ne répond qu'à une toute petite partie de la problématique de production. On sent qu'il y a une avancée technologique, mais peu d'éditeurs s'y risquent. L'industrie (des distributeurs et de logistique, ndlr) ne jouera pas le jeu tant que tout le monde ne s'y mettra pas, notamment les éditeurs.

LeMagIT : Quel pourrait alors être le déclencheur ?

L.P. : La Commission européenne a son rôle à jouer. Quand les politiques embrassent la problématique de l'Internet des objets, des acteurs qui ne s'y intéressaient pas revoient leur position. Car on dépasse désormais le cadre de la recherche universitaire, pour atteindre une dimension mondiale, et impacter tous les acteurs du secteur, tant au niveau des fournisseurs de technologies et de services que des distributeurs.

L'implication de l'UE va surtout structurer les réflexions et imposer un cadre aux recherches. Des projets parallèles pourront ainsi être évités et gaspillés. Par exemple, comment développer commercialement une puce, s'il reste en suspens des problèmes sociaux, comme le respect de la vie privée ?

De plus, la traçabilité n'est pas qu'un problème européen, mais mondial. Carrefour a un réseau qui va jusqu'en Chine. Donc si des sociétés comme Carrefour y prennent part, elles vont faire avancer plus rapidement les développements. (Le géant de la grande distribution envisage d'équiper en RFID l'ensemble de sa chaîne logistique. Il devrait rendre son verdict en 2008, ndlr).

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