L'état du monde IT : l'antitrust européen fait plier Microsoft et Intel…

Dernière année très IT pour Neelie Kroes, la Commissaire européenne à la concurrence, qui s'est frottée en 2009 à trois ténors du secteur. Intel, qui a hérité d'une amende record, Microsoft, qui a plié aux pressions de Bruxelles après 10 ans de guérilla, et Oracle, qui a fini par donner des gages à une Commission qui bloque sa fusion avec Sun.

Finalement, pour sa dernière année comme commissaire à la Concurrence (elle est devenue fin novembre commissaire à la Société de l'information), Neelie Kroes sera parvenue à faire plier deux des ténors américains de l'IT. Intel d'abord, assommé par une amende record de 1,06 milliard d'euros en début d'année. Bien sûr, le fondeur américain a fait appel. Mais, déjà condamné en Corée du Sud pour des pratiques similaires et poursuivi dans son propre pays sur les mêmes sujets (dont une procédure ouverte mi-décembre par l'état fédéral), Intel aura bien du mal à se dégager de ce guêpier. Malgré les dénégations de l'industriel - qui parle de "concurrence saine" et "d'avantages normaux" (pour qualifier les rabais accordés aux constructeurs de PC contre la garantie qu'ils limitent la part de machines AMD à la portion congrue), l'accord signé avec son concurrent dans le x86 en fin d'année sonne presque comme un aveu. Contre 1,25 Md$ versé à AMD, Intel obtenait de son concurrent l'arrêt des poursuites. Tout en réaffirmant l'innocence de son groupe, le patron d'Intel expliquait alors qu'un procès antitrust pourrait lui coûter plus cher. Autrement dit, nous ne sommes pas coupables mais la justice pourrait conclure l'inverse ! Jolie contorsion sémantique.

Windows-IE : Microsoft suit les préconisations de Bruxelles

Mais c'est sûrement le cas Microsoft qui restera comme le dossier le plus abouti de la Commission. Déjà condamné pour des questions d'interopérabilité de ses logiciels (avec des amendes atteignant au total 1,6 milliard d'euros), le premier éditeur mondial était de nouveau en bisbille avec Bruxelles au sujet des liens qui unissent son OS Windows à son navigateur IE. Mi-décembre, la Commission clamait sa satisfaction dans ce dossier : l'éditeur a finalement accepté de mettre en œuvre un système (appelé Ballot screen) permettant à l'utilisateur de choisir le navigateur qu'il souhaite employer au premier lancement d'IE, parmi une liste de 11 possibilités.

Objet d'une nouvelle enquête depuis janvier 2009 - par laquelle l'UE demandait à l'éditeur de fournir une solution technique pour donner aux consommateurs le choix de leur(s) navigateur(s) - Microsoft avait d'abord répondu par l'absurde : la suppression d'Internet Explorer dans Windows en Europe (avec une version dite E). Avant de finalement baisser pavillon en optant pour le système préconisé par Bruxelles. Proposé en juillet par l'éditeur, ce principe a été amendé et affiné au fil des allers-retours entre Redmond et la Commission, avant que Bruxelles ne crie victoire il y a quelques jours et ne stoppe ses poursuites. Il faut dire que, après le bide Vista et en plein lancement de Windows 7, le premier éditeur mondial ne pouvait guère se payer le luxe d'un nouveau bras de fer avec l'Europe, qui aurait débouché sur une période d'incertitude pour les utilisateurs.

Oracle droit dans ses bottes, puis plus conciliant

L'incertitude, c'est précisément l'état dans lequel est plongé Oracle depuis quelques mois. Ayant mis la main sur le gestionnaire de bases de données Open Source MySQL au printemps, via le rachat de Sun pour 7,4 milliards de dollars, Oracle a rapidement obtenu le feu vert des autorités américaines... avant de tomber sur un os à Bruxelles. Le 10 novembre, après ouverture d'une enquête, la Commission européenne a officiellement émis des objections sur le rachat de Sun par Oracle. Les remarques de l'Europe portent uniquement sur les conséquences de l'absorption de MySQL par le géant mondial des SGBD. Après avoir bombé le torse - Oracle parlant d'une "incompréhension profonde tant de la concurrence dans les bases de données que des dynamiques de l'Open Source" pour qualifier la position bruxelloise -, l'ombrageux Larry Ellison a finalement choisi de composer. Mi-décembre, l'éditeur s'est engagé auprès de la Commission sur 10 points (poursuite des développements d'API autour du moteur MySQL, garanties sur l'édition Community, création de comités impliquant les utilisateurs, etc.). Des engagements qui ont rendu la Commission "optimiste" quant à l'issue des négociations avec Oracle - au grand dam de Monty Widenius le co-fondateur de MySQL qui voudrait voir l'éditeur de 11g se défaire de la base de données libre. Même si, pour l'heure, Bruxelles bloque toujours de facto l'absorption de Sun par l'éditeur.

Rappelons d'ailleurs qu'Oracle n'a pas manqué de mettre en exergue les conséquences pratiques de ce blocage sur la situation de Sun. En septembre, Larry Ellison expliquait que le constructeur californien perdait en l'état 100 millions de dollars par mois. Soit environ deux fois plus que dans la période précédant l'annonce du rachat. Un façon de pointer la responsabilité de Bruxelles. Message encore plus clair en octobre, quand Sun annonce la suppression de 3 000 postes dans le monde d’ici septembre 2010. Un chantage à l'emploi qui ne doit pas faire oublier que, une fois le feu vert de Bruxelles obtenu, des "synergies" post-fusion seront inévitablement identifiées, qui elles ne devront rien au rôle d'un quelconque régulateur.

Tout le feuilleton en une trentaine d'articles publiés sur LeMagIT :

- Décembre

L’Europe victorieuse stoppe ses poursuites contre Microsoft

L'éditeur français Open Source Nexedi propose de racheter MySQL pour 1 euro

Sun / Oracle : Oracle s’engage sur MySQL, Monty appelle à la révolution

Pour Oracle, les objections de Bruxelles sont le fruit de mauvaises interprétations

La commission "optimiste" sur la fusion Oracle/Sun

Oracle / Sun : un 2ème groupe d’utilisateurs soutient Oracle auprès de Bruxelles

- Novembre

Europe : Neelie Kroes devient commissaire à la société de l'information

Monty Widenius, co-fondateur de MySQL : "Oracle n'a aucun intérêt à faire vivre MySQL"

Intel achète la paix avec AMD pour 1,25 Md$

Fusion Oracle / Sun : la Commission européenne s'oppose à l'absorption de MySQL

Oracle / Europe : SAP n'est pas le médiateur

Oracle / Commission européenne : un négociateur qu'on appelle SAP

- Octobre

Découplage entre IE et Windows : Microsoft satisfait enfin la Commission européenne  

Sun licencie 3 000 salariés et accuse l’Europe de ralentir son rachat par Oracle

Rachat de Sun : l’Europe accuse Oracle de traîner des pieds

- Septembre

Choix du navigateur dans Windows 7 : une ruse de Microsoft, selon un groupe de pression

Ellison : "Sun perd 100 millions par mois"

Bruxelles retarde la fusion Oracle-Sun

- Août

Oracle-Sun : la justice américaine donne son feu vert

- Juillet

Windows 7 donnera le choix du navigateur, comme le souhaitait l’Europe

- Juin

Antitrust : Microsoft va commercialiser un Windows 7 sans IE en Europe

L'Europe enquête sur les relations entre Microsoft et les constructeurs

- Mai

Amende de Bruxelles : Intel, décidé à se battre, fera appel

AMD et Intel : 35 ans de concurrence exacerbée

Antitrust : Bruxelles condamne Intel à plus d'un milliard d'euros d'amende

Rachat de Sun : comment Oracle a grillé la politesse à IBM et HP

- Avril

Oracle / Sun : L'Open Source, vigilant, craint quelques dégâts

Avec Sun, Oracle change encore de dimension

IBM-Sun : les négociations achoppent sur le prix

- Janvier

Microsoft à nouveau dans le collimateur de la Commission européenne

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