Exclusif : face à la crise, les services rêvent de transformer l'intercontrat en chômage partiel

Déjà expérimenté par les sous-traitants de l'automobile, le recours au chômage partiel suscite l'intérêt de toute la branche Syntec, qu'il s'agisse des SSII ou des sociétés de conseil en technologies. Mais la mise en oeuvre du dispositif suscite la colère des syndicats. Un conflit sur le sujet est en germes.

A situation exceptionnelle, dispositif qui ne l'est pas moins. Afin de répondre à la montée rapide des intercontrats dans les sociétés de conseil en technologies et dans les SSII, quelques entreprises ont demandé à l'administration - en l'occurrence aux Directions départementales du travail et de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) - de placer un certain nombre de salariés en chômage partiel. Pour l'instant, ces demandes concernent des sociétés de conseil en technologies (R&D externalisée) affectées par la crise du secteur automobile.

Selon nos informations, Akka, Assystem et Segula, trois prestataires en R&D externalisée, ont déjà recours au dispositif. Contactée, la dernière a décliné notre proposition d'interview. Tandis qu'Assystem s'est dit dans l'impossibilité de répondre à nos questions dans les délais impartis. D'autres prestataires, comme Alten - qui a évoqué le sujet en marge de la présentation de ses résultats annuels - et Astek, y réfléchiraient. Il s'agit d'une première dans le secteur du conseil en technologies. Selon la CFDT, la mesure concernerait déjà 4 000 salariés. De son côté, sans fournir de chiffres précis, le Geicet (un groupement professionnel réunissant des sociétés d’ingénierie et de conseil en technologies) affirme que le dispositif ne touche qu'une fraction des 3 000 ingénieurs qui ont vu leurs prestations stoppées du fait de la crise dans l'automobile.

Eviter les licenciements, conserver les compétences

Certes, pour l'heure, il s'agit de mesures exceptionnelles liées à la récession brutale que traverse l'industrie automobile. Dans ce secteur, les sous-traitants (réalisant plus de 50 % de leur CA dans cette industrie) bénéficient d'un contingent de 1 000 heures annuelles indemnisées par l'état. Tout en restant sous contrat avec leur employeur, les salariés perçoivent une indemnité égale à 60 % de leur rémunération brute.

Mais si le dispositif concerne pour l'heure un secteur particulier, c'est bien toute la branche Syntec qui réfléchit à l'utilisation de ce dispositif. Président du Geicet, Emmanuel Arnould explique : "nous encourageons le recours à ce dispositif de chômage partiel. Il permet d'éviter les licenciements, tout en conservant, dans nos organisations, les compétences en ingénierie qui restent difficiles à trouver en France. Nous avons sensibilisé nos membres sur le recours au chômage partiel. Et nous ne pouvons que nous montrer favorable à l'extension de ce dispositif aux SSII". Côté Syntec, des contacts ont été pris au niveau politique pour réclamer un amendement assouplissant les critères permettant de bénéficier de ce régime lors de montées massives des intercontrats.

Des demandes illégales en l'état, pour les syndicats

Selon Ivan Béraud, secrétaire national de la F3C (Fédération Communication, Conseil, Culture) CFDT, l'utilisation du chômage partiel, comme amortisseur de la crise, a été proposé par son syndicat, associé sur ce dossier à la CGT, dès décembre dernier. "Nous avons fait une proposition d'accord cadre sur la branche pour articuler chômage partiel et formation". Ce qui passe notamment par des bilans individuels de compétences et des parcours de formation adaptés à chacun. Une proposition, transmise formellement au syndicat patronal mi-février, qui prévoit également une indemnisation des salariés concernés portée à 100 % de leur salaire, la différence avec le régime minimum devant être assumée par les employeurs. "Depuis silence radio de Syntec qui engrange les autorisations des DDTEFP suite aux demandes des entreprises de la branche", tonne le syndicaliste. Pour Noël Lechat, de la fédération CGT des sociétés d'études, le coût des formations proposées dans l'accord - des dispositifs assez lourds permettant par exemple un changement de filière - pourrait expliquer l'absence de réaction côté patronal. D'autres part, la proposition des syndicats se limite pour l'heure au seul secteur de l'automobile. "Mais, en cas de difficulté dans un autre pan de l'économie, par exemple dans les services financiers, nous sommes prêts à étendre rapidement l'accord", assure Noël Lechat.

Pour l'instant donc, les partenaires sociaux se regardent en chien de faïence. Et le ton monte. "En l'état de la convention collective, je suis très dubitatif sur la légalité du recours au chômage partiel par les entreprises du secteur", explique Ivan Béraud. La CFDT dit étudier la possibilité d'attaquer en justice les décisions des DDTEFP qui ont autorisé les sociétés de R&D externalisée à avoir accès au dispositif. Une menace qui fait peser un risque financier important sur ces prestataires. Même volonté chez Noël Lechat : "nous nous réunirons le 20 mars pour examiner ce dossier. Et nous attaquerons en justice les autorisations déjà obtenues partout où c'est possible".

Utilisation opportuniste ?

Selon Ivan Béraud, les entorses à la légalité sont multiples : "la plupart des salariés du secteur sont sous le régime du forfait jour : le chômage partiel ne s'applique qu'en cas de fermeture totale d'un établissement. Or, nous ne sommes pas dans ce cas. Les autres salariés sont annualisés, et, comme nous sommes en début d'année, on ne peut pas préjuger du niveau d'activité sur l'ensemble de l'exercice. Sur ces bases, on fera casser les décisions de l'inspection du travail"

CFDT et CGT redoutent également une utilisation opportuniste de la législation : "le patronat mise sur une reprise économique en septembre, explique ainsi Ivan Béraud. Ce qui me semble utopique. On va donc se retrouver fin 2009 avec des salariés qui vont sortir sans perspectives du dispositif de chômage partiel. La seule solution alors sera un licenciement." Au-delà de l'aspect conjoncturel, les syndicats craignent aussi de voir les SSII pérenniser le système et transformer le chômage partiel en mode de gestion durable de l'intercontrat.

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