Le ministère de la Défense poursuit sa lune de miel avec Microsoft

Malgré la circulaire Ayrault sur le logiciel libre, malgré la lutte menée par Bercy contre les mécanismes d'optimisation fiscale des grands noms américains du logiciel, la Défense envisage de reconduire son contrat cadre géant avec Microsoft. Qui facturera depuis l'Irlande.

Selon le Canard Enchaîné, le ministère de la Défense s'apprête à reconduire le contrat de quatre ans qui le lie à Microsoft depuis 2009. A l'époque, ce dernier avait suscité de nombreux remous. En raison de sa forme tout d'abord. Signé par la Dirisi (Direction interarmée des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information), cet accord-cadre, d’une durée de quatre ans, portait sur le « maintien en condition opérationnelle des systèmes informatiques avec option d’achat ». Passé sans appel d'offres, il prévoyait pour 100 euros HT par poste et par an l'accès à un vaste catalogue de logiciels (pas moins de 450 000 licences y étaient référencées, pour des technologies tant côté client que serveur). Microsoft se rattrapant sur les volumes puisque le contrat portait sur 188 500 postes la première année (avec des ajustements possibles pendant la durée du contrat entre 170 000 et 240 000 postes). 

Le contrat avait également choqué en raison de ses conséquences éventuelles. En 2010, le député UMP Bernard Carayon s'inquiétait du lien de dépendance que le contrat créait avec le premier éditeur mondial, d'autant que le deal s'est traduit par la création d'un centre de compétences interne, installé dans les locaux de la Dirisi au fort de Kremlin-Bicêtre. Réponse du gouvernement en 2010 : en parallèle de son contrat avec Microsoft, la Défense était supposée travailler à une alternative, basée sur des logiciels libres. Un poste de travail Open Source était même annoncé pour 2011. 

Sauf que, depuis, personne n'a entendu parler de cette soit-disant alternative libre. L'April, association de promotion du logiciel libre, explique ainsi n'avoir aucun "élément concret" permettant d'attester de la réalité de ces développements. Au point d'y voir aujourd'hui "une façon de noyer le poisson". 

Les consignes d'Ayrault ignorées 

Dans une note datant de janvier dernier, le patron de la Dirisi, le général Patrick Bazin, milite ouvertement pour la reconduction du contrat, au nom de "l'interopérabilité avec les alliés". Et d'expliquer, selon le Canard Enchaîné : "l'OTAN a fait le choix des solutions Microsoft pour ses postes de travail". Un argumentaire un peu court alors qu'il suffit de s'entendre sur des formats de fichiers (rappelons qu'OpenXML de Microsoft, PDF de Adobe et le format d'OpenOffice ODF ont été normalisés par l'ISO). Un argumentaire qui fait aussi fi de la volonté du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Dans une circulaire publiée en septembre 2012, ce dernier avait appelé les services de l'Etat à considérer le logiciel libre "à égalité avec les autres solutions". 

Dernier aspect baroque du contrat : celui-ci devrait être signé, comme en 2009, non pas avec la filiale française de Microsoft, située à Issy-les-Moulineaux, mais avec l'entité européenne du premier éditeur mondial. Une entité sise à Dublin, en Irlande, pays bien connu pour la clémence de son fisc. Un détail qui fait tâche à l'heure où Bercy tente de lutter contre les mécanismes d'optimisation fiscale mis en place par les grands du logiciel, dont Microsoft. Pour la seule année 2011, une étude de la Fédération Française des Télécoms, dévoilée hier, estime que Microsoft aurait dû payer 317 M€ d'impôt s'il avait été taxé sur son activité réelle. L'éditeur n'aurait réglé à Bercy que 22 M€ via ses mécanismes d'optimisation fiscale passant, précisément, par sa filiale irlandaise. 

Il y a deux mois, le fisc français a d'ailleurs notifié à Microsoft France un redressement fiscal de 52 M€ motivé par un usage jugé abusif de la pratique des prix de transferts entre Microsoft Irlande et Microsoft France. Pas de quoi émouvoir la Défense qui expliquait hier benoîtement à nos confrères du Nouvel Observateur que la filiale irlandaise de Microsoft est la seule habilitée à signer ce genre de contrat et qu'il était par conséquent obligé d'en passer par cette dernière. Bercy a du apprécier.

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