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La ZA de Chambéry se sauve toute seule de l’inaction publique

En se donnant jusqu’à 15 ans pour installer la fibre, les opérateurs menacent d’étouffer les zones d’activité qu’ils préemptent. Heureusement pour celle de Chambéry, ses PME sont à la manœuvre.

2015, le site d’e-commerce Ekosport.fr, qui vend en ligne des équipements de ski, cartonne. Au point que son propriétaire, le groupe Frasteya, décide de construire un grand magasin physique de 17.000 m2. Évidemment, celui-ci sera situé aux pieds des pistes, en Savoie, dans la ville de Chambéry, là où les touristes arrivent de toute l’Europe par avion. Ou plus exactement sur la zone d’activité de la ville, dans la banlieue Est, sur la commune de Saint Alban-Leysse, où se trouvent déjà les centres commerciaux de Decathlon, Carrefour ou la Foir’Fouille.

Problème. Saint Alban-Leysse n’a pas Internet.

« Outre proposer un magasin physique dans la zone de chalandise des sports d’hiver, Saint Alban-Leysse a aussi un intérêt logistique pour l’e-commerce. Depuis cette zone, nous rayonnons vers Lyon, Grenoble, Albertville et Genève. Mais encore faut-il avoir accès au haut débit pour recevoir les commandes. Nous avions donc une importante difficulté à résoudre et, ce, même si notre site web est lui, hébergé à Paris chez OVH », raconte Thierry Hay, le responsable des systèmes d’information du groupe Frasteya.

Comme cela était déjà le cas pour le Pays Voironnais avant que ses entreprises ne se chargent d’installer elles-mêmes la fibre, il n’y avait à Saint Alban-Leysse qu’un ADSL anémique : la moitié des immeubles n'atteint pas les 3 Mbits/s.

« Les professionnels d’ici communiquent plutôt par Internet en partageant la connexion de leur mobile qui est plus rapide. Mais nous n’avons que la 3G, et la réception est difficile dans les bureaux », constate, dépité, Kévin Besson, président de la SSII locale BIS Solutions.

La fibre, une affaire de très gros sous

La zone d’activité qui couvre Saint Alban-Leysse et sa commune voisine, Bassens, a été préemptée par Orange.

C’est une zone AMII (Appel à Manifestation d’Intentions d’Investissement) : l’opérateur s’est engagé en 2011 à y déployer la fibre dans les immeubles... d’ici à 2025. Normalement.

En attendant, rien ne se passe.

Ou presque : le nœud de raccordement existe déjà (il relie la zone au nœud d’échange de trafic Internet de Lyon, LyonIX), mais il ne sert qu’à vendre des lignes spécialisées - à 20.000 € l’installation de la prise haut débit et dans les 1500 € l’abonnement mensuel à Internet.

D’après l’enquête menée par LeMagIT, Carrefour aurait souscrit cette offre pour connecter son centre commercial à son SI national. En revanche, le tarif aurait refroidi la plupart des autres entreprises, plus modestes.

En fait, Orange n’a fibré dans le département que les villes de Chambéry, Aix-les bains et Alberville. En juillet 2016, Hervé Gaymard, le président du Conseil départemental de la Savoie, décide donc d’attribuer à une filiale de Bouygues Energies & Services - Axione -, une « délégation de service public (DSP) » qui consiste à fibrer tout le reste du territoire.

L’espoir naît alors qu’Axione, par sa filiale locale créée pour l’occasion (THD73) s’entende avec Orange pour fibrer aussi la zone d’activité sur Saint Alban-Leysse.

Espoirs déçus. Les élus de la région freinent dès le départ des quatre fers lorsqu’ils apprennent que les 133 millions d’euros d’argent public que coûtait le projet du département devaient en partie venir de leurs caisses. Une somme qui, notent les élus dans le No 766 de Lyon Capital Magazine paru le 28 avril 2017, n’était pas justifiée et qui avait de surcroît été décidée juste après la nomination de l’épouse d’Hervé Gaymard, Claire Gaymard, au conseil d’administration de Bouygues.

Selon La Tribune et France Bleue, le département a finalement été contraint de rompre la DSP le 20 octobre dernier, moyennant un indemnité de 6,8 millions d’euros payés à Bouygues par la Savoie.

Modulo C, le fournisseur tout-en-un

Fin 2016. Chez Ekosport on se demande comment résoudre ce problème de haut débit, mais aussi comment installer un datacenter qui exécute tout le SI du groupe sur le site de Saint Alban-Leysse. En effet, Frasteya a entretemps décidé d’y déménager son siège.

« Nous faisions construire le bâtiment, mais nous n’avions pas de connaissance suffisante pour aménager une salle blanche. D’autant plus qu’en regroupant nos activités, nos besoins en systèmes collaboratifs (ERP, téléphonie sur IP, etc.) augmentaient et, avec eux, la complexité de sécuriser électriquement et physiquement l’ensemble des serveurs », se souvient Thierry Hay.

C’est alors que par le truchement des réseaux de connaissances arrive Modulo C, le même fournisseur qui avait aidé le Pays Voironnais à déployer sa propre fibre depuis un datacenter en container, la Modulo Box.

L’offre de Modulo C intéresse le groupe Frasteya à double titre. D’une part la Modulo Box dispose clés en main de tout le nécessaire en matière d’électricité redondante, systèmes anti-incendie et autre climatisation autorégulée. D’autre part, Modulo C a, depuis l’expérience du Pays Voironnais, tout le savoir-faire pour relier lui-même cette ModuloBox au nœud de raccordement Orange.

Passer par un acteur privé pour se libérer des contraintes de la commande publique

C’est une manière de contourner la commande publique : si la zone AMII signifie que les pouvoirs publics n’ont plus le droit de commanditer l’installation d’une autre fibre, cela n’empêche pas un acteur privé comme Modulo C (ou comme l’était THD73) de le faire de son propre chef.

En revanche, à lui de trouver comment faire passer des fibres sous la chaussée sans se ruiner dès le départ en gros travaux de voirie.

« Cela n’est pas un problème, puisque nous savons depuis l’expérience du Pays Voironnais qu’un prestataire disposant de la licence Orange peut construire un réseau en passant par les fourreaux qui existent déjà pour l’ADSL. Nous avons donc tout simplement fait intervenir à Saint Alban-Leysse les sociétés licenciées avec lesquelles le Pays Voironnais a travaillé pour déployer sa fibre », confie Martine Parent, chargée de clientèle chez Modulo C.

Modulo C ne facturera pas la liaison entre la Modulo Box et le noeud de raccordement Orange, mais revend au détail les abonnements Internet du fournisseur d'accès local AIC. Ekosport paie ainsi tous les trimestres dans les 1700 EUR HT pour une connexion 100 Mbits/s symétriques et seize adresses IP publiques.

La Modulo Box est livrée avec sa première fibre en mai 2017, soit six mois à peine les premières discussions et, surtout, dès que le bâtiment Ekosport a fini de sortir de terre.

Fibrer un territoire depuis un datacenter, la solution bien moins chère

La Modulo Box est démesurée par rapport aux besoins du groupe Frasteya. Pour un prix d’achat de 200.000 €, la solution propose deux étagères de rack pleine hauteur (42U) plus huit tiers de rack (14U), alors que Thierry Hay n’utilisera qu’un seul rack pleine hauteur.

« Nous avons donc proposé à Ekosport de louer pour eux les emplacements libres aux entreprises alentour, ce qui leur rapporte un loyer mensuel de 3000 €. Ce n’est pas si mal, si l’on compare cela à la rentabilité locative d’un appartement acheté 200.000 € », expose Cédric Ortega, le président de Modulo C.

En vérité, Modulo C saute ici sur l’opportunité de copier-coller à Saint Alban-Leysse l’activité de PVNum, la SCIC montée par le Pays Voironnais pour commercialiser sa fibre. Plus que louer des tiers de racks, le fournisseur propose aux entreprises de la zone de les relier au haut débit, en tirant dans les fourreaux existants des fibres entre leurs immeubles et à la Modulo Box du bâtiment Ekosport, laquelle devient de fait un nœud de raccordement.

Et Modulo C a un argument qui fait mouche : il suffit qu’il raccorde une vingtaine d’immeubles pour que le coût d’une prise haut débit tombe à 1850€, soit dix fois moins cher que le tarif pratiqué par les opérateurs pour installer une ligne spécialisées.

Ensuite, les entreprises clientes ont deux choix : soient elles contractent pour une centaine d’euros par mois un abonnement Internet haut débit auprès de l’un des trois prestataires télécom que Modulo C a fait venir (AIC, Alpésys et Atelcom). Soit elles prennent un package complet, avec abonnement Internet haut débit et location d’un tiers de rack dans la Modulo Box, directement commercialisé par Modulo C pour 300 €/mois la première année, puis 450 €/mois les suivantes.

Les municipalités, locomotives de la fibre

L’objectif des coûts bas est d’autant plus rapidement atteint que les premiers à passer commande sont justement les mairies de la zone d’activité, Saint Alban-Lyesse et Bassens.

« La municipalité occupe plusieurs sites sur le territoire et nous étions en peine d’attendre excessivement longtemps la fibre d’Orange pour moderniser notre SI », témoigne Eric Melquiot, le directeur général des services à la municipalité de Saint Alban-Leysse.

« Grâce à la solution de Modulo C, nous avons pu passer en téléphonie sur IP entre les bâtiments que nous occupons et mettre à niveau nos outils collaboratifs pour une diffusion de l’information plus efficace. Nous avons même installé tous nos serveurs chez Ekosport, pour bénéficier d’une sécurité physique bien meilleure que lorsqu’ils fonctionnaient à la mairie », se félicite-t-il.

Bassens de son côté, demande de raccorder à la fibre son centre hospitalier et tout son réseau de caméras de vidéosurveillance. Avec, là aussi à la clé, l’hébergement de ses serveurs vidéo dans la Modulo Box d’Ekosport.

« Cette solution fibre apportée par la Modulo Box d’Ekosport a subitement résolu notre plus gros problème, à savoir l’incertitude totale dans laquelle nous plongeait le projet d’Orange. Comprenez que tant que nous ignorerions quand, comment et pour quel budget Orange nous fibrerait, nous ne pouvions plus voter aucun budget de modernisation de nos SI ! Pire, notre réseau de vidéosurveillance et notre centre hospitalier nécessitent des conditions très particulières de sécurité. Or nous ne savions même pas si la fibre de haut débit public que poserait Orange répondrait in fine à ces exigences », lance Alain Thieffenat, le maire de Bassens.

Selon lui, la solution qui s’offre à présent à la municipalité propose au contraire un haut débit, tout de suite, au meilleur prix et avec la sécurité d’une boucle en réseau local en amont d’Ekosport. « C’était inespéré », ajoute le maire.

En quelques semaines, le maillage des sites municipaux se dessine autour des lieux névralgiques de l’activité locale, séduisant à leur tour les propriétaires des centre commerciaux qui voient dans la fibre un moyen de valoriser leur bien immobilier. Depuis août dernier, point de départ du déploiement de la fibre urbaine autour du bâtiment Ekosport, Modulo C dénombre une quarantaine de prises haut débit installées ou en cours d’installation.

Une zone d’activité redynamisée huit ans avant la date officielle

Et le business ne s’arrête pas là, car cette situation est du pain béni pour des SSII comme BIS Solutions, la société de Kévin Besson. Il raconte avoir loué un tiers de rack dans la Modulo Box dès qu’elle fut installée, en mai 2017.

« Le modèle est d’inciter les entreprises locales à utiliser la fibre, pour ensuite leur proposer les services que j’héberge dans la Modulo Box : de la sauvegarde, des machines virtuelles, ou encore des suites collaboratives en SaaS, comme NumSys de Numvision, dont je suis revendeur. L’intérêt technique est que tout ce qu’ils utiliseront dans la Modulo Box se fera sur un réseau privé, puisqu’entre les entreprises de la zone et Ekosport, on ne passe même pas par Internet », dit-il.

Les premiers abonnements haut débit n’ayant commencé que ce mois-ci, il est trop tôt pour savoir si la stratégie fonctionnera. Modulo C a en tout cas fourni à BIS Solutions la liste des entreprises susceptibles de souscrire à ses offres.

En attendant, la Modulo Box intéresse tous les infogéreurs situés autour de Chambéry. « Il n’y a aucun autre datacenter équipé de fibre sur le secteur, si bien que je ne pouvais jusqu’ici proposer aux PME, pour lesquelles j’assure une fonction de DSI, que d’héberger leur SI chez un opérateur parisien. Désormais, j’ai la possibilité de mettre leur informatique dans le tiers de rack que je loue chez Ekosport, à deux pas de chez eux. La proximité les rassure et il est probable que cela incite les acteurs locaux à moderniser leur SI », témoigne pour sa part Thomas Pouey, gérant de la SSII My-IT qui, elle, ne siège même pas à Saint Alban-Lyesse.

Fin octobre 2017, ce sont à présent 70 entreprises sur Saint Alban-Lyesse et Bassens qui n’ont plus qu’à signer un contrat pour être connectées en haut débit. Voire pour profiter en sus de l’hébergement de leur SI dans un datacenter aussi sécurisé qu’à Lyon ou à Paris. Et, ce, huit ans avant la date butoir à laquelle Orange était censé livrer quelque chose.

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