HP Moonshot : l'envol des serveurs HP, la fin d'un monde 100% Intel ?

Avec son châssis Moonshot, HP a conçu une plate-forme serveur dense capable d'accueillir 45 "cartouches" serveurs hétérogènes dans 4,3U. Au programme, des "cartouches" serveurs x86 Intel et AMD, ARM, ARM/DSP et FPGA. Le tout avec les environnements logiciels optimisés associés.

Avec son châssis Moonshot, HP a conçu une plate-forme serveur dense capable d'accueillir 45 "cartouches" serveurs hétérogènes dans 4,3U. Au programme, des "cartouches" serveurs x86 Intel et AMD, ARM, ARM/DSP et FPGA. Le tout avec les environnements logiciels optimisés associés.

 

Une rupture avec 15 ans de monoculture x86

Depuis bientôt 15 ans, le monde des serveurs vit dans une monoculture, celle des serveurs x86 Intel Xeon – et dans une moindre mesure celle des serveurs AMD Opteron.  Petit à petit, les constructeurs ont perdu l’initiative et ont du s’aligner sur le rythme imposé par Intel et AMD et surtout, leur marge d’innovation n’a cessé de ce réduire. Les constructeurs n’aiment guère l’entendre, mais les différences entre un serveur x86 HP, IBM ou Fujitsu sont de plus en plus cosmétiques et cela ne devrait guère s’arranger dans les années à venir, Intel et AMD poussant à l’intégration et transformant de plus en plus leurs CPU en SOC intégrant processeur, graphique, réseau… 

Pour les constructeurs, continuer dans cette voie est une impasse. A très court terme, le dernier facteur de différentiation qui leur restera est en effet le prix. Or on a déjà vu l’effet dévastateur que la monoculture a eu sur l’industrie du PC. Coincés entre les contraintes architecturales imposées par Intel et entre les prescriptions d’interface drastique de Microsoft, avec Windows, les constructeurs ont fini par perdre toute initiative au point de ne plus répondre aux besoins des clients. Et il a fallu qu’Apple repense entièrement l’expérience utilisateur du PC en inventant l’iPad pour que l’on voit émerger une génération de terminaux capables de satisfaire les nouveaux des utilisateurs. Depuis, on sait ce qu’il est advenu du marché des PC et surtout des constructeurs américains, peu à peu éclipsés par l’agressivité commerciale de constructeurs chinois et taïwanais, tout aussi peu innovants mais bénéficiant d’une structure de coûts bien plus compétitive.

Le châssis Moonshot

Numéro un mondial des serveurs x86, HP n’a visiblement pas envie que son activité serveurs subisse, à terme, le même sort que son activité PC. « Actuellement la voie que nous suivons n’est pas tenable en terme d’espace occupé d’énergie et de coût » a ainsi expliqué Meg Whitman, la CEO d’HP, en introduction au lancement des serveurs Moonshot. Pour Whitman, l’explosion du nombre de terminaux connectés va nécessiter l’équivalent de 8 à 10 millions de nouveaux serveurs dans les trois prochaines années et 10 à 20 milliards d’investissement dans de nouveaux datacenters si on ne change rien à la façon dont les serveurs sont conçus. Il est urgent de repenser notre façon de construire des serveurs a confirmé Dave Donatelli, le patron de la division entreprise d’HP. D’autant plus urgent d’ailleurs que certains grands clients comme Facebook, Google ou Rackspace, à défaut de trouver les architectures qui leur conviennent conçoivent désormais leurs propres serveurs et les font fabriquer par les Foxconn, Compal et autres grands ODM chinois. Comme nous l’a expliqué un responsable d’HP lors du lancement des serveurs Moonshot à Londres, il était plus que temps que les fabricants de serveurs redeviennent des constructeurs et que les fabricants de processeurs redeviennent ce qu’ils n’auraient jamais du cesser d’être : des fabricants de composants. 

Moonshot : une plate-forme serveur « universelle »

 Le chassis conçu par HP
permet d'accueillir 45 "cartouches" serveur
et deux lames de commutation/routage

Moonshot a pour objectif de radicalement repenser ce qu’est un serveur. Il s’agit en fait d’une plate-forme capable d’accueillir de multiples architectures processeurs et conçue pour les applications internet à grande échelle. Le châssis Moonshot (officiellement Proliant 1500) est un châssis rackable de 4,3 U capable d’accueillir 45 microlames baptisées « cartouches » par HP et deux commutateurs routeurs intégrés pour fournir la connectivité requise par ces cartouches. Ces premiers commutateurs, basés sur la dernière génération de puces Trident de Broadcom (celle qui devrait motoriser la prochaine génération de commutateurs HP attendue dans les mois à venir), permettent de fournir l’équivalent de 2 ports Gigabit Ethernet à chacune des cartouches. En sortie deux modules disposant de 6 ports 10 Gigabit permettent un uplink vers le cœur de réseau. Selon HP des modules avec 4 ports 40 Gigabit sont sur la roadmap. 

Alimentation et refroidissement sont des services partagés fournis par le serveur. Selon HP le budget énergie disponible pour chaque cartouche est de l’ordre de 40 à 50 W par serveur. Pas question donc de rêver de cartouche bi ou quadri socket Xeon, ni de course à la performance brute comme tout le monde l’a fait au cours des quinze dernières années. Toute l’idée est de concevoir des cartouches offrant un rapport performance/watt optimale en fonction du contexte applicatif requis.

Des cartouches serveurs hétérogènes

La première cartouche disponible est une cartouche dotée d’un processeur bi-cœur Atom « Centerton » conçue pour des applications web statiques ou pour le marché de l’hébergement dédié à bas coût. Elle s’appuie sur un processeur consommant environ 7W et affiche, selon LeaseWeb, un hébergeur néerlandais qui l’a testé, environ 50% des performances d’un serveur d’entrée de gamme pour une consommation environ 90% inférieure. Selon HP, une cartouche plus musclée à base du prochain Atom octo-coeur« Avaton » (qui est un vrai processeur serveur x86 avec support de la virtualisation, de la mémoire ECC et semble-t-il un contrôleur Gigabit Ethernet embarqué) devrait arriver au second semestre dès le lancement par Intel de cette puce 

La première cartouche HP est motorisée par une puce Atom bi-coeur Centerton La première cartouche HP est motorisée
par une puce Atom bi-coeur "Centerton"

HP devrait aussi lancer une carte originale équipée de 4 APU AMD et se comportant comme 4 serveurs AMD autonomes. Ces APU pourront par exemple être utilisé pour délivrer des services VDI à bas coût. Un châssis Moonshot pleinement configuré avec des cartes AMD pourrait par exemple supporter 200 postes de travail non virtualisés et plus avec l’aide d’un hyperviseur. Plus classiquement, le constructeur travaille aussi sur une carte Xeon à bas voltage (HP n’a pas dit le mot Xeon mais a parlé de processeur x86 avec 4 canaux mémoire et c’est une caractéristique pour l’instant unique du Xeon E5.

Un écosystème de cartouches bouillonnant

Mais HP promet mieux. Car si le constructeur lance Moonshot avec des cartouches Atom, il a dans sa besace un arsenal de cartouches bien plus diversifiées. HP a ainsi travaillé sur des cartouches à base de FPGA (fournisseur non précisé) programmés spécifiquement pour optimiser memcached, un service de cache de base de données très utilisé dans le monde des applications web à grande échelle. Résultat : un rapport performance/watt 10 fois supérieur aux meilleures solutions memcached du marché. Le constructeur travaille aussi avec Texas Instruments sur une carte équipée de 4 processeurs Keystone, des puces avec 4 cœurs ARM Cortex A-15 et 4 à 8 cœurs DSP de classe C66x, le tout épaulé par des capacités de « network processor » avancées. L’idée de cette cartouche est d’offrir aux opérateurs télécom une plate-forme délivrant des performances DSP élevées à des coûts faibles et avec une densité jusqu’alors inconnue. 

Au second semestre, HP devrait aussi lancer des cartes à base de processeurs ARM en partenariat avec Calxeda et Applied Micro. Les puces ECX-1000 du premier vont être utilisées dans des cartouches quadrisocket (soit un total de 16 cœurs 32 bit Cortex A-9 à 1,4GHz). Celles du second, des puces X-Gene octo-cœur, seront utilisées pour délivrer la première cartouche ARM 64 bit. Il est à noter que le fond de panier passif du châssis Moonshot fournit des liaisons point à point entre rangées de serveurs, ce qui veut dire que l’on peut imaginer relier via un bus point à point plusieurs cartouches pour par exemple assembler un serveur SMP massif (HP s’est refusé à communiquer en détail sur les capacités de communication du châssis, mais au vu des réactions des différents responsables du constructeur à nos questions sur ce point, il y aura des cartouches qui tireront parti des liens point à point fournis par le châssis pour un tel usage). 

D’autres partenaires comme Cavium devraient aussi être utilisés pour produire des cartouches Moonshot destinées au monde des opérateurs télécoms mobiles. Comme l’explique HP, le catalogue de cartouches a vocation à évoluer rapidement. Là où les serveurs traditionnels sont renouvelés tous les 18 mois environ, HP mise sur des cycles de l’ordre de 6 mois du fait de la diversité de son écosystème de partenaires dans les processeurs. Surtout, il n’est pas nécessaire de produire des centaines de milliers de serveurs pour justifier la création d’une nouvelle cartouche. HP estime ainsi qu’un peu moins de 10 000 cartouches suffisent à amortir le développement d’une nouvelle carte. De quoi là aussi changer la donne dans le monde des serveurs si les ventes des châssis Moonshot décollent. 

Dans l’immédiat, HP se veut prudent et vise essentiellement le marché des grands acteurs de l’internet, les hébergeurs et les opérateurs avec Moonshot. Mais une fois que l’écosystème de cartouches se sera musclé un peu, le constructeur estime qu’il pourra aussi satisfaire certains besoins d’entreprises. Comme l’a expliqué Paul Santeler, le patron de la division Hyperscale d’HP (qui à géré l’ingéniering des serveurs Compaq de 1996 à 1998 avant de gérer l’activité serveurs d’entreprise de la marque jusqu’en 2001) au Mag IT lors d’une entretien accordé lors du lancement des serveurs, HP imagine aussi que son châssis pourrait faire une appliance idéale pour délivrer des cloud openstack, des clusters hadoop ou des bases de données en cluster comme NuoDB par exemple. Il sera ainsi intéressant de voir si HP décline une version privée de son cloud public OpenStack sur base Moonshot.

Un lancement sans Intel et sans Microsoft

Le lancement de Moonshot à Londres s’est effectué en l’absence de tout responsable d’Intel ou de Microsoft (mais en présence d’un responsable de Canonical), un autre détail qui en dit long sur le bouleversement que représente Moonshot. Et pour une bonne raison : en l’état de la philosophie de développement de Microsoft, Windows répond bien aux besoins traditionnels des entreprises, mais il est loin d’être assez ouvert ou flexible pour se prêter au jeu de ce qu’HP appelle des « software defined servers ». L’aventure Moonshot n’est en fait possible que parce que Linux, les OS BSD et une kyrielle d’OS embarqués vont permettre à HP et à ses partenaires d’optimiser et de personnaliser des piles logicielles et matérielles spécifiquement pour certains workloads de masse. Il ne s’agit plus de faire le meilleur serveur x86 Windows pour Exchange ou SQL Server, ou le meilleur serveur x86/Linux pour SAP, mais de concevoir le triptyque cartouche/OS/applications le plus optimisé pour délivrer le service attendu, avec un rapport performance par watt optimal – ce que fait par exemple la cartouche FPGA memcached. 

Cela ne signifie pas la mort des serveurs et des environnements traditionnels qui resteront durablement nécessaires pour servir les applications utilisées aujourd’hui par les entreprises. Mais au fur et à mesure de la conversion de ces applications aux nouveaux modèles web, une architecture serveur comme Moonshot pourrait aussi devenir aussi une alternative crédible aux solutions serveurs traditionnelles. 

Pour l’instant, HP insiste sur le fait que Moonshot est complémentaire des serveurs rack Proliant et des châssis lames BladeSystem et qu’il faudra un peu de temps pour que l’écosystème autour de cette nouvelle plate-forme se développe. Mais le constructeur note aussi que les premiers béta-testeurs ont plutôt bien accueilli la machine et qu’environ la moitié d’entre-eux ont émis des idées d’usages qu’HP n’avait pas envisagé. Il était donc difficile hier, à Londres, de ne pas percevoir l’enthousiasme et la fierté des responsables d’HP d’avoir d’une certaine façon rompu avec 15 ans de modèle Wintel.

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