Nicolas Sekkaki (IBM France) : « Nous sommes dans une phase de transformation majeure »

Lors d’une rencontre avec LeMagIT, le patron d’IBM France revient sur la transition du groupe, sur son positionnement dans l’écosystème français et sur le rôle qu’il compte jouer dans l’Hexagone.

LeMagIT : IBM a entamé une phase de transition. Pouvez-nous nous expliquer les grands axes de cette transformation en France ?

Nicolas Sekkaki : Le numérique a bouleversé la donne. Généralement, on met quelques années à le développer, puis on va sur le marché. Il existe ensuite un temps de latence. Tout cela prend quelques années. Aujourd’hui, nous avons mis en place des processus de co-création avec les clients. Il s’agit d’abord de produits, établis donc en co-innovation, mais aussi de méthodologies.

Celles-ci, comme le Studio, sont des méthodologies pour mettre en œuvre la transformation digitale chez nos clients. Depuis 12 mois, nous nous sommes demandés ce qu’il leur fallait pour réussir leur transformation digitale. Et par conséquent, ce qu’il nous faut à nous. Parfois nous sommes en avance de phase par rapport à nos clients, parfois, ce sont nos clients qui ont des besoins nouveaux que l’on détecte. Cela crée un cercle très vertueux, la plupart du temps, sur des cycles très courts de quelques mois.

Nous avons aussi travaillé avec des cabinets de conseils. Mais cette capacité à traduire en informatique est un plus chez nous. L’ambition est certes de développer des plateformes et des applications, mais le véritable enjeu pour les entreprises avec lesquelles nous discutons est qu’elles ont aussi un système existant. Vous pouvez également développer  une informatique à côté, mais à un moment donné, il faut connecter l’ensemble. Et sur ce point, nous apportons un véritable plus, car nous sommes très présents dans l’IT de nos clients.

Leur informatique actuelle est vitale et notre objectif est de leur montrer qu’il faut renforcer ce cœur car il va être beaucoup plus sollicité de l’extérieur. Et donc qu'il faut dans le même temps être capable de l’ouvrir. Si vous créez votre partie digitale (la nouvelle) indépendamment de la partie informatique (le legacy), vous n’en tirerez pas la quintessence.

Enfin, on se rend compte que l’objectif est de créer des plateformes. Nous sommes certes dans une phase créatrice, mais l’objectif est aussi d’avoir un socle suffisamment solide, flexible et ouvert pour pouvoir accepter des technologies qui n’existaient pas il y a 12 mois. Ces technologies peuvent aussi constituer une base d’innovation et d’industrialisation, à condition qu'ils soient connectées à leurs systèmes existants.

Nous accompagnons aujourd’hui nos clients à bâtir ces plateformes. Cela nécessite d’avoir une vision extrêmement large de ce qu’est l’informatique.

Ensuite, il faut pousser le raisonnement. Comment industrialiser les développements ? C’est pour cela que nous avons, par exemple, créé à Lille un laboratoire Agile. On s’est rendu compte qu’il fallait être capable de tester les développements et les mettre en production très rapidement. Développement et production sont mis sur un même plateau.

Le quatrième élément porte sur la gestion des compétences. Comment faire évoluer les compétences dans mon entreprise ? Comment puis-je acquérir de nouvelles compétences ? C’est la partie académique dans laquelle on retrouve aussi les start-ups.

Ce sont ces quatre grands blocs que nous avons développés ces 12 -18 derniers mois. De là, des éléments sont nés comme le Studio, le Bluemix Garage de Nice, le centre de  Lille. Nous allons aussi ouvrir un laboratoire cognitif à Paris. On crée des méthodologies et des moyens,.

De cette manière on étoffe notre offre. Et nous pouvons au final proposer des services à nos clients en fonction de leurs besoins, quels que soient leur angle d’attaque de leur transformation numérique.

LeMagIT : Avec cette approche, vous vous adressez à de nouveaux métiers, bien au-delà de l’informatique (qui esr votre cœur historique). Comment faites-vous pour les cibler ?

Nicolas Sekkaki : Il faut avoir des personnes qui comprennent l’industrie. La phase de transition d’IBM a été de se donner des capacités et de comprendre comment les appliquer à une industrie particulière et chez un client particulier.

L’intelligence cognitive par exemple est différente dans le banque ou dans la santé. Il peut y avoir des ponts, mais il faut l’entrainer différemment, sur des cas d’usages différents.

Une autre transformation d’IBM porte donc sur la transformation par industrie. Par exemple, après avoir créé le Software Group, avec l’analytique parmi ses assets, nous cherchons désormais à cibler l’analytique pour des industries spécifiques, comme la banque. Cela signifie qu’il faut que nous disposions - dans notre propre transformation - de compétences métiers pour comprennent aussi ben nos produits, nos capacités que le métier client.

Depuis un an, nos architectes et nos commerciaux sont d'ailleurs rassemblés par industries. Cette vision sectorielle existe également dans chaque département.

Nous avons aussi l’ambition forte de doubler le chiffre d’affaires et le nombre de personnes sur la partie consulting, davantage orientée intégration. Nous avons recruté l’année dernière, à tous les niveaux d’expertise. En doublant de taille, on est ainsi capable de façonner les compétences que l’on fait venir dans l’entreprise. Nous avons ainsi recruté des designers, des data scientists, des spécialistes de la santé. Nous avons un plan d’embauche sur GBS (Global Business Services, NDLR) de plusieurs centaines de personnes, tant sur la compétence produit que sur les industries.

Ce plan de transformation est rapide, et plutôt bien accueilli par les clients. On a gagné des références dans de nouveaux domaines. Quand on parle de Watson, on ne parle pas qu’à l’informatique, mais aussi aux CEO. Il s’agit d’une transformation de modèle économique. Plus de 150 Comex sont venus nous voir ces 12 derniers moins.

LeMagIT : Particulièrement sur Watson ?

Nicolas Sekkaki : Oui. Il existe un véritable intérêt autour de Watson. Les entreprises s’intéressent à ce que fait l’intelligence augmentée : comment celle-ci leur permet de réinventer leur processus, leur positionnement vis-à-vis de leurs clients et leur efficacité opérationnelle ?

LeMagIT : En terme d’usages de Watson, existe-t-il un secteur d’activité qui se dégage ?

Nicolas Sekkaki : Les banques sont assez actives sur ce sujet car elles doivent se transformer massivement et réinventer leurs services.

Toutefois, plusieurs activités se dégagent aujourd’hui, comme les call-centers où Watson a aussi une certaine pertinence, en matière d’expérience utilisateur. Le client peut par exemple interagir directement avec Watson (NDR : via ses capacités de langage naturel) puis être dirigé ensuite vers le bon agent. Watson les aide à être encore plus pertinents.

LeMagIT : Il est donc important que Watson comprenne bien les spécificités du français. Où en sommes-nous dans la francisation de Watson ?

Nicolas Sekkaki : Les choses avancent. Il sera disponible en 2016. Watson va parler 7 langues cette année. On commence à couvrir un spectre très large.  Il ne s’agit pas simplement de la traduction, mais aussi du cognitif et des modèles de réflexion. Et cela est important pour la partie apprentissage.

LeMagIT : Vous avez précédemment évoqué la création d’un Cognitive Lab. Pouvez-vous nous en dire un peu  plus ?

Nicolas Sekkaki : Il est difficile de dissocier le cognitif de la donnée et du numérique. Au fur et à mesure que nos clients développent leurs Digital Labs, ils ont besoin d’avoir un Data Lab et aussi un Cognitive Lab.

A chaque fois que les clients ont une réflexion autour de l’intelligence augmentée, on leur dit de créer un  laboratoire sur le cognitif - qui n’est que l’évolution naturelle du Digital Lab et de la donnée. Nous souhaitons donc avoir un Watson Labs en France, pour aider nos clients à bâtir leur propre solution cognitive. Il s’agit aussi de permettre à nos clients de le faire de façon autonome, avec ou sans nous, et avec ou sans les start-ups.

D’ici septembre, nous allons aussi mettre en place une Scale Zone. Nous nous sommes rendus compte qu’il existait de nombreuses start-ups, éparpillées, travaillant chacune sur des sujets différents. Avec la Scale Zone, nous voulons être capables d’apporter une solution industrielle, robuste et scalable, à un problème particulier.

On peut par exemple rassembler un constructeur et une industrie, ainsi que plusieurs start-ups. Notre mission est d’arriver de faire converger ces start-ups sur un produit que l’on peut maintenir et déployer de manière industrielle.

LeMagIT : Ce visage est celui d’un IBM qui se transforme. Le groupe met fortement en avant des secteurs à forte croissance comme l’analytique, le Cloud ou l’Internet des objets. Mais ceux-ci ne sont pas ceux qui génèrent actuellement le plus de revenus. Quels sont les secteurs les plus dynamiques en France et quand ces secteur à forte croissance tireront les revenus du groupe ?

Nicolas Sekkaki : D’ici 2020, nous souhaiterions que le cognitif et le Cloud représentent 50% de nos revenus dans le monde. Aujourd’hui, quand on regarde toutes nos initiatives, nous sommes entre 25% et 30%.

C’est une véritable transformation de ce que nous faisons et de la façon dont nous le faisons. Aujourd’hui, 75% de nos revenus sont réalisés d’une certaine façon, mais le marché change dans sa façon de consommer. Et de nouveaux secteurs sont encore à créer. On  a beaucoup travaillé sur ce dernier point.

Nous sommes dans cette phase de turbulences - qui est une phase normale. Mais dans la structure, dans les offres, et dans le marché, il faut être capable de faire cette transition. Avec cette phase de transition, les résultats baissent en partie parce que vous avez annualisé des solutions (NDR : avec le Cloud). Mais le revenu futur est assuré si vous garantissez la qualité. On est dans cette phase de transformation majeure.

J’entends les journaux dire que l’on fait 16 trimestres consécutifs de décroissance.  Nous aurions aimé faire 16 trimestres de croissance. Mais quand vous enlevez ce qu’on a vendu (NDLR : comme ses serveurs x86), dans le cadre de notre repositionnement, le recul est au final assez léger (NDR : -1%, ). Nous sommes une entreprise qui pèse 82 milliards de dollars. Celle-ci est en train de se transformer de façon très rapide, avec des offres innovantes comme avec le cognitif.

Mon ambition en France est aussi d’avoir des clients sur des sujets phares, qui vont de de la start-up à la grande banque.

Nous commençons à bien décoller sur les thèmes à forte croissance et nous avons des clients sur des projets où nous n’étions pas positionnés jusque là.

LeMagIT : Dans le stockage, les bases de données ou dans le Cloud, IBM est aussi concurrencé par des start-ups trsè dynamiques. Comment IBM se positionne-t-il face à ces nouveaux acteurs ?

Nicolas Sekkaki : Nous devons composer avec. Personnellement, je trouve cela rafraichissant. Toutes les avancées sont réalisées parce qu’il y a de la concurrence.

Notre plateforme Bluemix est bâtie sur des composants ouverts et IBM investit massivement dans le modèle ouvert. Nous l’intégrons dans nos plateformes. Et c’est notre intégration qui permet à nos clients d’avoir une solution cohérente. Je crois beaucoup en Bluemix, et quand on a développé Watson, il fallait l’intégrer à Bluemix. Il faut donner à cet écosystème (de start-ups et de technologies, NDLR) un cadre cohérent.

LeMagIT : Les "Smart Cities" étaient il y a quelque temps au cœur du discours d’IBM en France. Mais ce discours s’est atténué. Existe-il des points de résistance spécifiques à la France ?

Nicolas Sekkaki : Les Smart Cities continuent de se développer avec la voiture connectée chez PSA ou encore la ville de Nice. Il existe bien des cas d’usage. On a aussi travaillé avec la ville de Montpellier. Nous développons aussi des services avec Veolia, autour de la collecte des points d'eau et de la détection de fuites.

Ces problématiques sont liées à l’Internet des objets. Il faut un intégrateur qui soit capable de comprendre cela, capable de faire de l’analytique et du prédictif, de la maintenance préventive avec de forts volumes partout dans le monde. C’est ce que nous faisons avec Veolia en ce moment.

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