Avec le rachat de 3Par : comment Dell veut devenir un grand du stockage

Le constructeur texan a annoncé hier son intention de racheter 3Par pour 1,15 Md$. Cette acquisition permettrait à la firme de se doter d'une offre de stockage haut de gamme à même de rivaliser avec les Symmetrix, USP-V et autres DX-8000 sur le marché des datacenters virtualisés. Elle confirme les ambitions du Texan sur le marché du stockage externe, un marché dont il était le n°4 mondial au premier trimestre et sur lequel il affiche une croissance rapide. Avec l'acquisition de 3Par et celle d'Ocarina, réalisée en juillet, Dell est sans doute désormais n°3 mondial, encore très loin d'EMC, mais à une portée de fusil d'IBM.

Pour ceux qui se posaient encore des questions sur les ambitions de Dell sur le marché du stockage, l'annonce hier du rachat par le constructeur texan du spécialiste américain du stockage 3Par devrait lever les derniers doutes. Discrétement, Dell est devenu l'un des géants mondiaux du stockage, avec un chiffre d'affaires de près de 438 M$ sur le marché du stockage externe au premier trimestre 2010 (selon Gartner). Cette réussite est le fruit de près de 10 années d'efforts qui ont démarré par la signature d'une alliance de grande ampleur avec EMC

Dell-EMC : les vrais débuts de Dell dans le stockage

Sans prendre de grands risques et en cherchant à limiter ses dépenses en R&D, Dell a commencé à se développer sur le marché du stockage grâce à un accord de commercialisation noué avec EMC en 2001. Cette alliance lui a permis de mettre à son catalogue l'offre de baies de stockage modulaire d'EMC, ainsi qu'une bonne partie de son offre logicielle. Depuis sa signature, elle a profité aux deux partenaires : EMC a trouvé avec Dell un canal de distribution indirect lui permettant d'équiper nombre de PME qu'il ne touchait jusqu'alors pas avec sa force de vente directe ; de son côté, Dell a pu mettre à son catalogue, sans bourse délier, deux des produits phares d'EMC, les Clariion et les Celerra, et prendre pied relativement aisèment sur un marché dont il était largement jusqu'alors absent.

A l'époque de l'accord, un Kevin Rollins (l'ex-Pdg de Dell) souriant expliquait à qui voulait l'entendre que l'accord correspondait au modèle Dell, notant que l'essentiel de la dépense R&D (et donc des dépenses) était porté par EMC. Il mettait alors en avant la force du modèle de vente directe de Dell ainsi que l'optimisation de sa chaîne logistique. Depuis, les récentes poursuites de la SEC (le gendarme des bourses américaines) contre Dell ont révélé les travers de ce modèle, à savoir que ce sont surtout les bakchich versés par Intel au constructeur pour sa fidélité (Intel payait Dell pour qu'il n'achète pas de puces AMD) qui faisaient les marges du Texan. Et Rollins, éjecté avec pertes et fracas de Dell, n'a désormais plus droit de citer chez le constructeur.

Vers un modèle privilégiant le développement de baie de stockage du stockage

Reste qu'en quelques années, le sacro-saint "modèle" Dell, qui laissait peu de place à la R&D interne, a sensiblement évolué, surtout du fait du succès du constructeur sur le marché des datacenters. En investissant judicieusement dans la R&D, le Texan s'est par exemple fait une place de choix sur le marché des fournisseurs de services Internet. Mais le vrai tournant de Dell en matière de R&D est plus encore illustré par ses efforts dans le stockage. A ce titre, l'acquisition à la fin 2007 d'Equallogic (pour 1,4 Md$), un spécialiste des baies de stockage iSCSI, fait figure d'étape clé. Les baies Equallogic, dont la R&D est désormais assumée en interne, sont aujourd'hui au cœur du développement de l'activité stockage de Dell.

Par ce rachat, le Texan est devenu le n°1 mondial des baies iSCSI et, surtout, il a commencé à pousser ses propres équipements en lieu et place des Clariion d'entrée de gamme. Résultat : une croissance de plus de 25 % de son activité stockage au premier trimestre 2010. Une progression supérieure à celle de NetApp et même supérieure à celle d'EMC (si l'on exclut l'acquisition de Data Domain). Fort de son expérience avec Equallogic, Dell a depuis multiplié les acquisitions en mettant notamment la main en février sur la technologie d'Exanet, un fournisseur israëlien de solutions NAS en cluster, puis en avalant en juillet Ocarina, un spécialiste de la déduplication et de la compression de données. Le rachat de 3Par devrait donc compléter un portefeuille déjà bien garni.

3Par : l'entrée de Dell dans le haut de gamme

Ce dernier rachat est aussi la réponse à une longue frustration de Dell. Si l'accord avec EMC a permis au constructeur de distribuer l'offre de milieu de gamme du géant du stockage, il ne lui a jamais donné accès aux systèmes haut de gamme Symmetrix. Or, pour se développer dans les grands datacenters, Dell avait besoin d'une offre haut de gamme adaptée. C'est cette lacune que Dell va combler avec 3Par. Les baies InServ T-Class du constructeur sont présentées comme des alternatives aux baies haut de gamme d'EMC, HDS et IBM. Sur certains marchés, elles sont en concurrence frontale avec les Symmetrix, USP-V et DS8000. 3Par a aussi commencé à se développer sur le milieu de gamme avec son offre InServ F-Class. A tel point que l'on peut se demander si l'acquisition ne signe pas, à terme, l'arrêt de mort du partenariat noué avec EMC voici près de 10 ans. Les F-Class pourraient en effet constituer une alternative aux Clariion CX4 en entrée et milieu de gamme. Resterait alors à Dell à traiter la question du stockage unifié SAN-NAS (que promet EMC avec la nouvelle génération de baies unifiées Clariion/Celerra). Une question que le constructeur pourrait peut-être résoudre en intégrant les technologies d'Exanet avec ses baies de stockage.

Vers une offre convergée signée Dell ?

Une chose est certaine, ce rachat à 1,15 Md$ devrait permettre à Dell de faire un pas supplémentaire dans la constitution d'une offre informatique convergée combinant serveurs, stockage et commutation Ethernet. Ce dernier domaine restant toutefois le point faible du constructeur. Pour l'instant, Dell dispose d'étroits partenariats avec Brocade et Juniper, partenariats renforcés il y a peu en réponse à l'entrée de Cisco, le partenaire historique de Dell, sur le marché des serveurs. Dell dispose encore de près de 10 Md$ de trésorerie disponible et de nouvelles acquisitions sont envisageables. Reste que Brocade est une cible difficile, malgré son prix raisonnable (avec une capitalisation boursière d'environ 2,2 Md$). Du fait de sa puissance sur le marché Fibre Channel, ce dernier est lié à la quasi-totalité des autres grands constructeurs du marché. Juniper, de son côté est cher (sa capitalisation boursière actuelle s'élève à 13,5 Md$) et serait, de plus, sans doute très compliqué à intégrer. Il dispose par ailleurs d'une alliance forte avec IBM.

Reste donc, pour la direction de Dell, la possibilité de se tourner vers des acteurs ayant massivement investi dans le 10 Gigabit Ethernet tels que Blade Network Technologies ou Arista, la start-up créée par Andy Bechtolsheim (un des co-fondateurs de Sun) et pilotée par Jayshree Ullal, l'ex dirigeante de la division commutation pour datacenter de Cisco. Blade Network, notamment, a l'avantage d'avoir cultivé une rare compétence, l'intégration entre serveurs et réseau, au travers de ses développements pour les châssis de serveurs lames (de HP, Nec et IBM notamment). Après ses investissements dans le stockage, on pourrait prochainement entendre parler de Dell sur le marché des réseaux.

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