[Mis à jour] Oracle / Sun : L'Open Source, vigilant, craint quelques dégâts

Oracle qui rachète Sun ? L'heure est venue pour la communauté open source - largement draguée par Sun ces derniers mois - de se poser des questions sur l'avenir de produits phares tels que Java, Solaris, Glassfish, Netbeans ou MySQL. Deux de ses membres éminents en France - Stéfane Fermigier (Nuxeo) et Pascal Borghino (lemug.fr) - nous livrent leurs analyses.

Et ce sera finalement Oracle. Après plusieurs semaines d'un feuilleton où IBM - favori des prétendants - a finalement renoncé, c'est Oracle, n°1 des bases de données qui met la main sur Sun, pour un montant évalué à 7,4 milliards de dollars. Un tsunami dans la sphère du développement Open Source, qui voit notamment partir Java, Solaris, Glassfish, Netbeans et MySQL entre les mains d'Oracle après avoir failli être livré à Big blue.

OW2 : « Nous attendons une réaction de Microsoft »
 
Maintenant qu'Oracle dispose d'une offre très intégrée pour toucher les entreprises, la balle est dans le camp de Microsoft qui doit répliquer. C'est une des réactions de Cédric Thomas, président du consortium Open Source OW2, spécialisé dans le middleware, qui constate qu'avec les produits complémentaires de Sun, Oracle peut désormais proposer un « stack complet entreprise » côté middleware . Il serait ainsi naturel de voir un acteur comme Microsoft piquer au vif.
« Il peut ainsi lancer des appliances, en optimisant Solaris. Il a des forces intégrées pour coordonner ses forces selon une roadmap donnée, grâce notamment aux synergies », explique-t-il.

Cédric Thomas constate enfin qu'outre une explication qu'il qualifie d'offensive qui pousse un éditeur à grossir, Oracle a également adopté une tactique défensive. « Oracle, qui était déjà dans les rangs des potentiels acheteurs, devait se payer Sun car Solaris est la première plateforme sur laquelle tournent les systèmes Oracle. En rachetant Sun, IBM se serait ainsi payé par la même occasion les clients d'Oracle. »

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Dans un communiqué officiel, les deux groupes expliquent que « Java apparaît comme le plus important logiciel qu'Oracle ait jamais racheté ». Et pour cause, l'ensemble de la gamme middleware (Fusion Middleware) de la firme de Larry Ellison repose sur la plateforme Java. Oracle affirme ainsi  « qu'il continuera d'innover et d'investir dans la technologie Java pour le bien des clients et de la communauté Java ».
Même son de cloche pour Solaris qui forme pour Oracle un socle essentiel pour la base de donnée du groupe qui occupe aujourd'hui plus de 40 % du marché des SGBD (Gartner). Oracle précise qu'il pourra désormais optimiser sa base sur Solaris et promet de ne pas couper les partenariats en cours.

Une voie officielle volontairement rassurante pour le monde de l'Open Source. Mais qui ne semble pas faire baisser la tension de la communauté. « Oracle va tuer la culture Open Source de Sun et va détériorer la communauté Open Source. Et face à ce constat, c'est Microsoft qui remportera la mise », peut on lire sur quelques forums et billets Twitter. Certains prophétisent même le glas de l'Open Source.

GlassFish et Neatbeans sur la touche

Plus nuancé, Stéphane Fermigier, président du conseil de surveillance de Nuxeo, éditeur d'applications d'ECM (Entreprise Content Management) Open Source en Java et militant de longue date du logiciel libre en France, voit cela d'un autre oeil. Il estime que « même si Oracle est moins impliqué dans l'Open Source qu'IBM », il reste un fort contributeur à qui on doit notamment Toplink Essentials, un adaptateur relationnel objet pour bases de données. Même si finalement, ce rapprochement peut provoquer l'extinction de quelques marques, on resterait donc dans la famille élargie.
Parmi les outils les plus en danger, le couperet pourrait tomber sur Glassfish, le serveur d'application Java de Sun qui, « s'il bénéficie d'une grosse traction de la communauté Open Source », arrive dans le giron d'Oracle, alors même que ce dernier doit encore digérer BEA, société spécialisée dans le middleware J2EE racheté il y a deux ans. D'autant que «  la convergence des technologies de BEA vers Glassfish n'est pas évidente », commente Stéfane Fermigier. Peu de chance également pour Netbeans, l'environnement de développement de Sun, qui pourrait disparaître au profit d'Eclipse, dont Oracle est un membre très actif, comme l'était également IBM.

Solaris éclaté?

Mais les questions les plus inquiétantes portent sur l'avenir de Solaris, Java et MySQL. L'OS de Sun vient se glisser aux côtés du très décrié Unbreakable Linux, une offre de support d'un fork de Red Hat Entreprise Linux qu'Oracle a balancé dans les jambes de Red Hat, probablement pour le déstabiliser. «Oracle va-t-il éclater Solaris et distiller les technologies dans ses propres outils, ou en reverser dans la communauté Linux ? », se demande Stéfane Fermigier. Dans cette hypothèse, on pourrait voir ZFS, le système de fichiers de Solaris, arriver dans la communauté Linux. Ce qui était jusqu'alors impossible « pour des raisons d'incompatibilité de licences ». Un bienfait possible selon Stéfane Fermigier tant « Linux est en retard sur les file systems ». Autre alternative : le développement par Oracle de sa propre distribution Linux qui compilerait le meilleur des deux mondes. « Si c'est le cas, on peut s'attendre à une annonce à la fin de l'année », résume Stéfane Fermigier.

Java, une gouvernance optimisée

Sun n'ayant pas une bonne image en termes de gouvernance de projets, tant au niveau du JCP (Java Community Process – qui régule les évolutions de Java) qu'au sein de projets Open Source comme OpenOffice, l'arrivée d'Oracle pourrait éventuellement remettre à plat les questions de leadership. L'un des casse-têtes de Sun, souvent pointé du doigt pas les communautés (notamment celle d'Apache), et qui s'épuisait en vains efforts de séduction. Oracle devrait être plus ferme, pour le meilleur et pour le pire. Reste que l'image d'innovation dans l' Open Source qui collait à Sun rendait les gens patients, raconte Stéfane Fermigier. « Le seront-t-ils également avec Oracle? Il est ainsi dans son intérêt, de « s'acheter une respectabilité Open Source », commente-t-il.

MySQL chez Oracle ?

Restera également à trancher le dossier MySQL, le fleuron de la base de donnée Open Source (du moins en terme de popularité) récemment racheté par Sun pour 1 milliard de dollar. Oracle ayant démontré son intérêt dans les outils Open Source pour base de données en rachetant InnoDB (un moteur de stockage utilisé par MySQL) et Berkeley DB (SGBD embarqué), rien ne dit qu'il ne pourrait pas faire de MySQL une marque de sa gamme, mais en la positionnant différemment que 11g. C'est en tout cas ce que la direction de l'éditeur laisse entendre dans sa note de présentation du rachat de Sun. Reste toutefois qu' « il y aura surement des arbitrages à faire qui ne seront pas favorables à MySQL. Et cela pourrait largement profiter à la communauté PostgreSQL », anticipe Stéfane Fermigier.
Pour Pascal Borghino, président du club des utilisateurs de MySQL en France , l'arrivée d'Oracle peut également être un avantage si le géant se range derrière la base de données. Ce qui reste à démontrer. « Oracle a une solide expérience en base de données et a les reins assez solides pour soutenir le projet » explique Pascal Borghino.  Selon lui, un rachat par IBM aurait eu peu ou prou les mêmes conséquences. « Si Oracle traine des pieds, une communauté a toujours les moyens de forker [provoquer une scission] ». Reste également la question sur l'avenir de Drizzle, un projet de base de données de Sun dédié au Cloud Computing qui a été rejoint par nombre de développeurs.

A l'automne dernier, interrogé sur le cloud computing, Larry Ellison n'y voyait pas un grand avenir, jouant de sa traditionnelle partition iconoclaste. Il lui faudra agir avec plus de doigté qu'à l'accoutumé s'il ne veut pas voir fuir les bataillons de développeurs sur lesquels repose une bonne partie de l'actif logiciel qu'il vient de s'offrir.

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