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La Macif assure une transformation numérique iconoclaste

La Macif est en pleine transformation. En 2018, la compagnie d’assurance s’est rapprochée d’Aesio et a entériné la création d’un nouveau groupe, actif depuis le 1er janvier 2021. La presse spécialisée évoque à présent un possible rachat d’Aviva par la Macif. Cette transformation passe évidemment aussi par le numérique. Mais pas n’importe comment ni en succombant aux effets de mode. Retour sur un projet au long cours, souvent à contre-courant, mais particulièrement riche d’enseignements et de résultats.

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En 2019, la Macif a lancé un un vaste chantier de refonte de ses systèmes d’information qui concerne les trois métiers assurance (Dommages, Finance/Épargne, Santé/Prévoyance) du groupe. Ce chantier dépend du programme Plateforme Digitale groupe et doit se poursuivre jusqu’en 2023.

Dans un rapport annuel, on apprend qu’au 31 décembre 2019, ce programme impactait « le résultat net part du groupe à hauteur de moins 10 millions d’euros ».

Côté technique, toujours selon ce rapport, le projet implique de décomissionner le mainframe, d’adopter des baies nouvelles générations, et de déployer des logiciels CRM et ERP du marché. Depuis, Apivia, la filiale gestion d’actifs de l’organisation, a rejoint cette initiative.

Une refonte qui s’appuie sur l’existant

Si les investissements sont conséquents, cela ne veut pas dire que la Macif fait table rase du passé. Cette stratégie de conservation de l’existant est volontaire de la part de Didier Fleury, directeur du digital et des systèmes d’information chez la Macif.

Photo de Didier Fleury, directeur du digital et des systèmes d’information, MacifDidier Fleury, directeur du digital et
des systèmes d’information, Macif

« J’ai essayé de ne pas révolutionner ce qui était en place afin de garder un peu de sérénité. Nous avons fait la même chose avec TIBCO », explique-t-il à Applications et Données/LeMagIT. « Majoritairement, nous allons entériner les choix que nous avions effectués il y a 5-10 ans. Ce n’est pas le moment d’innover sur ces sujets-là. Nous avons perdu assez de temps. Ne changeons pas tout, mais changeons la manière de travailler avec les technologies et les logiciels à notre disposition et ne reproduisons pas nos erreurs ».

En 2013, La Macif a choisi un outil de gestion de la relation client (CRM) auprès de Pega. Seulement, le DSI évoque des difficultés à suivre le rythme des versions, en partie à cause d’un mode d’acquisition des solutions IT bien particulier. « Historiquement, nous n’avons pas d’interactions avec les éditeurs. Nous achetions des produits et nous donnions les clés du camion à l’intégrateur », confie Didier Fleury. « Au moment de passer de la version 6 à la version 7 de Pega, le projet a été très rude et a duré deux ans », illustre-t-il.

Pega ou Salesforce ? Un choix à contre-courant pas si cornélien

Le DSI, justement engagé pour mener cette refonte des systèmes d’information, a évalué avec la direction la solution CRM à adopter. En l’occurrence, la question portait sur le fait de maintenir la brique actuelle ou d’adopter celle de Salesforce. Déployer l’offre de l’éditeur dirigée par Marc Benioff aurait pu soutenir une stratégie de conciliation entre les deux groupes récemment réunis.

Mais si Aesio et la Macif partagent leurs activités, leur SI respectif demeure séparé. « Nous avons des plans stratégiques distincts – l’un se termine en 2021 et l’autre en 2023. Le rapprochement des SI n’est pas encore le sujet », indique Didier Fleury. Concernant le suivi client, « Aesio met en œuvre Salesforce, alors que nous employons la solution PegaSystems ».

Du côté de la Macif, le choix est fait de conserver Pega. « La solution faisait ce pour quoi nous l’avions choisie. Plutôt que de se former à nouveau et d’essuyer les plâtres sur une autre technologie, au moins nous connaissions la solution et nous avons pu nous rapprocher de l’éditeur. Cela nous coûte désormais moins cher, le projet avance à son rythme », justifie-t-il.

Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, le DSI se félicite de ce choix que l’on pourrait qualifier d’être à contre-courant – la tendance dominante étant de passer à Salesforce – mais qui donnerait entière satisfaction.

La Macif a d’abord opté pour Pega Customer Service, une application issue du CRM Evolved. Elle propose « une interface consacrée aux centres de contact, un case management adapté au service client, une fonction de dialogue en direct, des fonctionnalités de gestion des connaissances, un service mobile pour les interventions en clientèle, des outils omnicanaux en libre-service ainsi que des modèles de données et des processus sectoriels », explique l’éditeur.

Selon un porte-parole de Pegasystems, « la solution s’intègre avec la téléphonie pour afficher la fiche du sociétaire dès la réception de l’appel. Elle gère la prise de rendez-vous en agence, selon les disponibilités du conseiller, ainsi que certaines tâches encore partagées avec le “HOST” (le mainframe) ».

Image d'un exemple d’interface dans Pega Customer Service utilisé par la MACIF
Un exemple d’interface dans Pega Customer Service utilisé par la MACIF

« Nous avons employé la plateforme comme un lanceur d’application permettant un accès à 360 degrés aux profils des clients », indique Didier Fleury. « C’est un début de CRM, sachant que nous n’avons pas les interactions avec les clients dans Pega ».

Cette application et le CRM s’appuient sur la version 8 de la plateforme de Pega. « Nous utilisons enfin les boîtes que nous avions achetées, mais pas ouvertes jusque-là – c’est-à-dire la partie BPM et la base de connaissances », se réjouit le DSI.

« Un plan de réappropriation des systèmes d’information »

Pega sert donc à bâtir le « socle » du système d’information client, tout ce qui concerne la gestion des demandes.

« Nous avons catégorisé toutes les demandes qu’un client prospect pouvait faire, soit 17 processus types. Auparavant, il y en avait plusieurs centaines parce qu’il y avait des déclinaisons. Nous avions statué sur 15 processus, mais nous en avons ajouté deux au fil du développement », révèle Didier Fleury.

Et « qui dit demande, dit flux ». Concernant les flux, La Macif a retenu la solution de centre d’appels Genesys qu’elle avait déjà. De l’autre côté, Pega Customer Service s’interface avec Guidewire, une plateforme SaaS dédiée aux traitements IARD (incendie, accidents et risques divers). L’assureur a choisi de gérer ses souscriptions, ses polices, une partie de ses données client, la tarification les sinistres et la facturation avec plusieurs logiciels de l’éditeur.

« C’est un plan d’ensemble de réappropriation de nos systèmes d’information, ce que nous avions à mon sens perdu de vue », reconnaît-il. « Celui-ci est construit autour de la demande du client. Suivant le canal de communication et l’offre d’assurance, nous développons petit à petit les solutions en nous appuyant sur différents outils et technologies afin d’enrichir les fonctionnalités métiers ».

 « Le SI client que nous réalisons doit permettre de proposer toutes les offres de la Macif, d’adopter une notion d’identifiant unique par client et une maîtrise des stratégies multiéquipements et omnicanal », continue-t-il. « Nous étendrons cela à de la marque blanche et des distributeurs, mais ce n’est pas la première étape. D’abord, nous voulons bien cerner le sociétaire et l’adhérent Macif d’un point de vue métier ».

Garder la main en interne dans une logique de partenariats externes

Dans cette optique de réappropriation, la Macif développe la majorité des parcours clients en interne – que ce soit pour la Macif ou pour Apivia.

« Je souhaite que l’on ait des centres de compétences, d’expertises internes à la Macif. Nous sommes passés de deux personnes à dix personnes certifiées en un an. Nous avons deux équipes alpha et une bêta propre à la Macif. Nous cherchons à avoir au minimum 80 % des équipes internes au groupe et un certain nombre d’équipes en provenance de partenaires », vise le DSI.

La direction des systèmes d’information ne fait cependant pas une croix sur l’aide des intégrateurs et des ESN.

« Le dispositif d’accompagnement est à la fois constitué de partenaires Pega (EY, Knowledge Expert, Oligos, Sopra Steria) et de Pega Consulting pour co-produire les applications Pega avec les équipes IT et métiers de la Macif », ajoute l’éditeur.

Là en revanche, le DSI ne veut pas se laisser enfermer dans une relation de dépendance et applique une méthode de partenariat spécifique.

« J’applique un modèle différenciant. Je ne recrute pas des gens au TJM [taux journalier moyen, N.D.R.] pendant deux jours. Je recrute une équipe pour réaliser un certain nombre de composants métiers, dont nous déterminons la valeur. La valeur de l’équipe augmentant, son coût augmente – ce qui est plutôt le contraire dans le modèle au TJM où l’on tente d’abaisser les coûts au fur et à mesure que la personne devient compétente », explique Didier Fleury.

La différence est de taille. « Nous avons une approche d’engagement avec nos prestataires et comme nous travaillons dans le cadre d’un programme quinquennal, nous sommes capables de les engager sur plusieurs années. Nous l’avons fait au moment de mettre en place Guidewire avec GFT ».

Pour encourager la bonne mise en œuvre des projets et des solutions, le DSI adopte même un système de récompenses pour les équipes externes. « Suivant la qualité du travail, les bonus-malus sont très significatifs », assure-t-il.

En ce qui concerne le centre d’excellence Pega, la Macif fait appel à l’éditeur, plus spécifiquement à ses services Pega Client Success et Solutions Consulting « pour renforcer l’adoption, accélérer la montée en compétences et l’autonomie, infuser les bonnes pratiques, être partie prenante dans les choix structurants, et enfin construire la roadmap de transformation du SI en s’appuyant sur le Centre d’Excellence Pega mis en place au sein du DSI Macif », vante un porte-parole de PegaSystems.

« Maintenant que nous entretenons une relation avec l’éditeur, je ne veux plus faire du spécifique. Nous pouvons leur faire des retours qu’ils consolideront dans leur feuille de route pour nous livrer dans des délais raisonnables », confirme Didier Fleury.

Cette approche, le directeur du digital en fait une règle. Il estime qu’il s’agit d’un investissement sur le long terme. « Nous avons choisi des éditeurs majeurs, mais nous ne pensons pas les influencer dans les six mois. Nous avons monté des centres d’excellence pour montrer nos investissements dans leurs technologies », affirme-t-il.

La RPA passe avant le cloud

Chez Pega, il n’y a pas que le CRM et le BPM : le DSI de la Macif est aussi intéressé

 par l’automatisation des processus avec par la RPA. « Ce qui nous intéresse dans Pega, c’est qu’ils introduisent de la RPA dans leur processus. Pour moi, c’est mieux quand c’est endogène plutôt que de faire ça à partir d’un système tiers », analyse Didier Fleury.

« Il y avait une directive Cloud First annoncée par la PDG, mais j’aime bien comprendre pourquoi. La réponse était “parce que tout le monde le fait”. J’ai vu beaucoup de choses que tout le monde a faites pour finalement revenir en arrière. »
Didier FleuryDirecteur digital et systèmes d’information, Macif

« Les sujets d’automatisation intelligente – comme le traitement des emails – sont encore à approfondir. C’est actuellement à l’étude : automatiser par exemple les demandes d’attestation ou tout autre type de demande. Le tri, la reconnaissance des emails et leur traitement constituent une masse de travail encore optimisable dans un souci d’efficacité opérationnelle », évalue le porte-parole de l’éditeur.

En revanche, Didier Fleury est un plus réticent à migrer la solution dans le cloud, en tout cas dans l’immédiat. « Nous sommes restés sur site parce qu’il y a une maturité trop faible », avance-t-il.

« Il y avait une directive Cloud First annoncée par la PDG, mais j’aime bien comprendre pourquoi. La réponse était “parce que tout le monde le fait”. J’ai vu beaucoup de choses que tout le monde a faites pour finalement revenir en arrière », tranche le DSI. « Guidewire a été déployé dans le cloud, parce que c’était un choix structurant, réalisé avant ma prise de fonction. Pega nous pousse pour aller vers le cloud. Nous le ferons. Mais d’abord fournissez-nous des éléments à déployer on premise qui soient portables dans le cloud sans se poser de questions. Ça, ça m’intéresse ».

Ce passage au cloud pourrait avoir lieu… quand l’organisation sera prête.

Vers une culture agile et centrée sur le client

Pas question de mettre la charrue avant les bœufs, comme dit l’expression. « L’intérêt du SaaS, c’est d’avoir quelqu’un qui va rythmer mes mises à jour et qui va m’obliger à changer parce qu’il faut que je sois en intégration continue, en déploiement continu », considère Didier Fleury. « En revanche pour passer dans le cloud, il faut la maturité d’organisation. Il faut d’abord effectuer ce changement d’habitude on premise ».

Il ne s’agit pas que d’une histoire de technologies. « Nous ne voulons pas faire de l’Agile, nous voulons être agiles, ce n’est pas pareil », nuance-t-il. « Ce n’est pas un problème de pratique, mais de culture. Changeons la culture. Et nous ne sommes pas agiles pour être agiles, mais pour mieux servir les clients. Des structures comme la Macif et d’autres, historiquement, ont mis les clients autour de leur processus. C’était à lui de trouver la porte d’entrée dans le système ».

« La plupart des projets de CRM échouent à cause de cela. Parce que l’état d’esprit n’est pas le bon. Nous avons fait des erreurs en début de projets, en particulier autour du yard, où le leitmotiv était de ne surtout pas changer notre organisation et ce que font les gens », confesse le DSI. « Aller plus près des clients, c’est [aussi] faire évoluer les métiers, mieux gérer les carrières et les ressources. Ce n’est pas en faisant une migration technique vers une nouvelle technologique que nous aurons un système différent si l’on ne change pas les processus métiers », martèle-t-il.

Cette réorganisation passe selon lui par une combinaison du socle numérique et de la présence physique de l’assureur sur le territoire français. « Avec la pandémie, nous avons -35 % de passage physique en agence, + 15 % des appels et une augmentation du trafic sur les sites et les applications. Seulement, si l’on regarde les études sur la partie numérique, nous sommes derrière les pure-players du digital. Je pense qu’il faut maintenir un bon mix de physique et de digital, miser sur le phygital ».

« Cela demande de nous structurer pour optimiser la localisation des agences, entre autres choses. Nous sommes juste en train de faire un 180 degrés. Et ce 180 degrés n’est pas simple. C’est un tête-à-queue », plaisante Didier Fleury.

Une échéance à 2025

« Il n’y a plus beaucoup d’entreprises qui prennent ce type d’initiatives. Nous allons en baver, c’est prévu. Mais une fois que ce sera fait, nous aurons de l’avance. »
Didier FleuryMacif

Dans ce chantier au long cours, il reste encore beaucoup à faire. Mais le DSI est confiant.

« Nous avons un cadre, une trajectoire qui s’affine, des gens de plus en plus alignés. Nous sommes enfin prêts », annonce le DSI. « Nous avons perdu un peu de temps, mais nous espérons que notre projet se termine d’ici 2024-2025 ».

Mais la « vraie » transformation numérique n’est pas un long fleuve tranquille. Didier Fleury ne s’en cache pas. « Il n’y a plus beaucoup d’entreprises qui prennent ce type d’initiatives. Nous allons en baver, c’est prévu. Mais une fois que ce sera fait, nous aurons de l’avance », lance-t-il. « Nous souhaitons devenir numéro 1 dans la relation client dans notre catégorie. Et pour être numéro 1 de la relation client, il faut être numéro 1 de la collaboration. Pour cela, il faut que le SI suive. Nous avons prouvé que nous en étions capables pendant le confinement ».

La Macif en bref

La Macif divise son activité en trois grands pôles : l’assurance-dommages, la finance-épargne et la santé-prévoyance. À cela s’ajoute la gestion d’actifs.
Le groupe revendique 5,5 millions de sociétaires et d’adhérents. Il s’agit du premier assureur automobile avec plus de 6 millions de contrats.
La Macif est représentée sur le territoire par 522 points d’accueil physique. En 2019, elle réalisait près de 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

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