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Opinion : le projet de cloud bleu-blanc-rouge présente des risques importants

par Christophe Bardy

C’est en principe au début du mois de mars que l’État devrait se prononcer sur le financement d’un (ou plusieurs projets) de cloud computing après la rupture entre Orange et Dassault Système et l’annonce par ce dernier d’une initiative de cloud concurrente du projet Andromède, avec pour partenaire SFR. Rappelons que l’objectif d’Andromède était de doter la France de grandes «centrales numériques» à même de fournir les infrastructures nécessaires à la production de services de cloud franco-français.

A l’origine, le Fonds national pour la société numérique (FSN) prévoyait d’investir 135 M€ dans la co-entreprise Andromède via la Caisse des dépôts et Consignation, Orange et Dassault Systèmes apportant chacun 60 M€ supplémentaires et Thales 30 M€. L’émergence du projet Dassault Systèmes/SFR pourrait remettre en cause ce schéma de financement et se traduire par une fragmentation de l’enveloppe initiale entre les deux projets, Eric Besson n’ayant pas écarté l’hypothèse de financer au final plusieurs projets.

Subvention déguisée au détriment des acteurs qui ont pris le risque d'investir sans l'aide de l'Etat ?

Si l’on ne peut que se réjouir de la volonté de l’Etat de soutenir l’émergence d’une vraie offre de cloud computing en France, la question se pose de savoir si tous les entreprises qui sont partie prenant de ces consortiums ont vraiment besoin d’une aide de l’État, quand on sait que des petits acteurs privés tels qu’OVH, Ikoula ou même Gandi se sont lancés courageusement dans le cloud public sans un brin d’aide ou de subvention.

Pour en avoir le cœur net, LeMagIT et StratégiesCloud se sont intéressés au bilan du géant américain RackSpace qui réalise un milliard de CA par an dans le «cloud» et ont tenté de ramener les chiffres qu’il a publié sur son infrastructure et ses coûts de fonctionnement à l’échelle française. Nous avons aussi utilisé comme base de comparaison le côut de construction d’un grand supercluster, le cluster Titan aux Etats-Unis

Rackspace investit actuellement près de 350 M$ par an dans son infrastructure (datacenters, télécoms, serveurs, logiciels) et évalue ses actifs matériels à environ 1 milliard de dollars (voir le lien en bas de ce document pour les chiffres détaillés). Ces actifs (à l’exception des datacenters sont amortis sur une durée de trois ans. Pour mémoire, l’infrastructure de Rackspace comporte actuellement 80 000 serveurs pour 170 000 clients actifs. Au total, RackSpace emploie 4 000 salariés et a réalisé un bénéfice net de plus de 75 M$ en 2011.

Dans un autre secteur, un cluster complexe de 20 Pflops comme Titan au NCSA réunissant 49 000 puces Opteron à 16 cœurs (soit l’équivalent de près de 25 000 serveurs bi-socket) avec 500 Po de stockage en ligne, 1,5 Po de mémoire (soit environ 4Go par cœur) et toute sa connectique réseau interne et externe a un coût évalué à quelque 150 millions d’euros en matériels, maintenance et services. On parle là d’une machine à la pointe de la technologie, livrée prête à l’emploi par Cray.

Un apport de l'Etat qui supprime tout risque sur les trois premières années

Sur le marché français, qui est bien plus petit que le marché US, bâtir un acteur de la taille de RackSpace demanderait donc de construire une infrastructure comprenant 10 000 à 15 000 serveurs soit un coût d’infrastructure (matériels, logiciels, télécoms et datacenters compris) de l’ordre de 100 M€. Cette dépense devrait sans doute être répartie sur trois ans, l’infrastructure étant assemblée par tranches au fur et à mesure des besoins. Donc les dépenses en Capex d’un grand cloud français avoisineraient les 35 M€ par an sur trois ans. Montant auquel il convient sans doute d’ajouter des coûts salariaux de l’ordre de 10 à 15 M€ par an. Pour commencer. Et encore on est là très conservateurs. En étant très agressif et en bâtissant l’infrastructure avec des conteneurs de type EcoPod d’HP (qui sont pour l’essentiel des datacenters in a box, ce qui évite la construction de coûteux datacenters), il ne faudrait que 3 POD 240a pour héberger 13000 serveurs 2U. Pour être large, on ajoute 1 Pod supplémentaire pour gérer la partie réseau et stockage soit un coût maximal en investissement infrastructure de 25 à 30 M€, le tout livré prêt à fonctionner par HP (somme à laquelle auxquels il faut ajouter les coûts logiciels et puis es différents coûts opex comme la consommation électrique,…). Le tout, selon HP, pourrait être délivré en moins de 3 mois.

Si l’on retient le scénario le plus coûteux et si l’on prend pour hypothèse le fait que l’Etat ne finance qu’un grand cloud,  l’investissement initial de 135 M€ prévu par l’État pour Andromède est largement suffisant pour financer l’achat, la configuration et la maintenance d’une infrastructure massive sur trois ans (datacenter compris) et pour financer une bonne partie des coûts humains associés.

Autant dire que le soutien de l’État supprime tout risque pour les partenaires privés sur les trois premières années (à supposer même qu’il n’y ait aucun client). Un point que ne manquent pas de pointer du doigt certains acteurs privés du cloud. Ainsi IBM, a récemment rappelé par la voix de son PDG français, Alain Bénichou, qu’il avait investi seul près de 300 M$ dans ses datacenters français et qu’il craignait que l’aide de l’État n’introduise une distorsion de concurrence. Hier, dans nos colonnes, le patron de Colt France, Michel Calmejane, tout en jugeant légitime la volonté de l’Etat de se doter d’une vision et d’une stratégie numérique, rappelait lui aussi, que si l’Etat venait à fausser la concurrence, il attaquerait en justice.

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