Didier Durand, Publicitas : « rien n'équivaudra le cloud computing en fiabilité et en coût »

Responsable Architecture et Technologie chez Publicitas, principale régie publicitaire de presse suisse, Didier Durand suit de près les évolutions du web et en rend régulièrement compte sur son blog Médias & Tech. Il s’intéresse particulièrement aux architectures « en nuage » auxquelles il prévoit un grand avenir. Il teste d’ores et déjà des utilisations opérationnelles et promet une nouvelle vague d’innovations liées aux possibilités de ce modèle.

dd id nov 2005LeMagIT : Dans un post sur votre blog, vous expliquiez récemment que le cloud computing  allait modifier fortement la gestion des SI en entreprise. En quoi ?

Didier Durand : A très court terme, il n’y aura à mon avis pas de révolution dans les entreprises. Ces dernières ne sont pas prêtes à externaliser vers un "nuage hautement virtuel". Et ce type d’approche demeure très nouveau pour les décideurs qui hésiteront certainement à y déplacer leurs applications et données critiques. En revanche, l’impact indirect est déjà fort. Pour Publicitas par exemple, nous utilisons les offres de service actuelles (EC2 ou S3 par exemple) comme benchmark sur les prix. La question que doit se poser la DSI est : est-on capable de produire de "l’énergie informatique" au même coût qu’Amazon, un acteur que je suis particulièrement ? On peut alors souvent constater très vite une différence de niveau, notamment pour des raisons très évidentes d’échelle. Dans une période où la flexibilité et la réduction des coûts du SI sont de plus en plus demandées côté utilisateurs, cela donne à réfléchir. L’arrivée du cloud computing incite également à se reposer la question du modèle d’achat de l’informatique. On aura de moins en moins d’achats en bloc, et de plus en plus de calcul du paiement à l’usage, y compris dans le cadre d’investissements pour des infrastructures internes. On se dirige à mon avis vers un "kiloWatt d'énergie informatique" acheté par l'entreprise comme elle achète son électricité. La seule question restante est la vitesse d'évolution vers ce nouveau modèle.

Le MagIT : La sécurité des données semble être le principal frein à une adoption plus rapide des infrastructures de cloud computing voire des applications en mode Saas, qu’en est-il exactement ?

D.D. : C’est le principal problème. Les entreprises devront évaluer le niveau de criticité de leurs données. Par exemple, chez Publicitas, on réfléchit actuellement à une éventuelle bascule, mais sur les données non directement sensibles comme celles liées aux archives d'annonces déjà parues par exemple. Il s'agit d'expérimenter sans risque. En revanche les entreprises conserveront encore longtemps les données d’applications critiques comme la comptabilité ou l’administration des ventes. Les gens ne sont pas près de lâcher leur PGI. Il y a un problème psychologique. Les entreprises pensent que leurs données sont mieux là, dans leur SI local, que chez un fournisseur virtuel sur Internet. Même si la démarche représente encore un pas en avant dans la virtualisation par rapport à un outsourcing classique, je ne suis pas sûr qu’elles aient raison. Mais, il faut laisser du temps au temps.

Pour les données stockées sur des services américains, le problème peut être également lié au Patriot Act. Depuis 2001 et la guerre déclarée au terrorisme, les autorités américaines ont la possibilité très vite d’accéder aux données informatiques, sans devoir véritablement en demander l’autorisation à qui que ce soit, même pas à un juge. Cela fait forcément réfléchir les entreprises étrangères.

LeMagIT : Quelques incidents ont frappé les prestataires proposant déjà des services fondés sur le cloud computing, on pense par exemple à Amazon au printemps ou Google plus récemment. Ces services sont-ils suffisamment fiables pour répondre aux besoins d'une grande entreprise ?

D.D. : On est encore en période de rodage mais déjà les prestataires sont très forts, en tout cas plus que des services internes ou même que des hébergeurs traditionnels dans beaucoup de cas. Ils ont des équipes nombreuses et très pointues et ils éprouvent leurs processus et dispositifs de haute disponibilité en permanence. Maintenant sur Internet, les choses sont rendues bien plus sensibles à cause de la transparence. Sur le web, le "coup de chaud" se voit tout de suite et l’information fait très vite le tour de la toile. Mais la plupart des entreprises connaissent des dysfonctionnements aussi de temps en temps et personne ne le sait. A terme, rien n’équivaudra en infrastructure et en fiabilité à ce que des sociétés comme Amazon sont en train de mettre en place. Déjà, le niveau atteint est très haut. Elles travaillent à une échelle inatteignable pour une société standard. On parle d'un million de serveurs pour Google. Cela leur donne des moyens colossaux pour construire un système ultra-solide et ensuite pour le surveiller à la loupe, chaque seconde, 24h/24 et 7 jours sur 7.

LeMagIT : Au final, quelle est la principale promesse du cloud computing ?

D.D. : Ce qui est intéressant, ce sont les nouvelles idées d’applications qui vont pouvoir émerger. Il y a encore 5 ou 10 ans, quand vous aviez une idée innovante, il fallait lever des fonds, plusieurs millions d’euros, pour déployer une infrastructure, acquérir les serveurs et les logiciels propriétaires (système, base de données, etc.) du démarrage… Avec le cloud computing, pour tous les développements web qui demandent de gros calculs ou de grosses capacité de stockage, c’est vraiment intéressant. Les coûts informatiques peuvent suivre la croissance de l’activité. Donc, si l'idée ne fonctionne pas, on ne perd pas beaucoup de capital. Et si l’idée est bonne, la flexibilité et la "scalability" (montée en charge, ndlr) sont là pour très vite répondre à un fort trafic. Ce que j'évoque ici pour une start-up est aussi bien sûr valide pour une société bien établie ayant un"projet-éprouvette" sur lequel elle ne souhaite pas prendre le risque de gros investissements d'infrastructure initiaux. Même pour de l’hébergement simple, les coûts sont intéressants.

Je suis convaincu  qu’entre le logiciel libre et le cloud computing, l'innovation va "bourgeonner" car elle devient nettement moins lourde et risquée. On va voir émerger des choses que l’on n’osait pas imaginer auparavant.

Références :

- Le site de Publicitas

- Médias & Tech, le blog de Didier Durand

Retrouvez cet entretien et notre dossier complet (en PDF) sur le cloud computing dans les prochains jour sur LeMagIT.

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