Recrutement IT : vers un élargissement du sourcing des candidats

La diversité, un pari gagnant : c'est le parti-pris d'employeurs et de cursus sortant des sentiers battus dans leur façon d'aborder l'embauche et la préparation aux métiers de l'informatique.

Les difficultés à recruter et les tensions du marché de l'emploi informatique sont réelles. En dépit du chômage endémique, le rythme annuel d'embauche du secteur IT autant que l'objectif de 36 000 créations nettes d'emplois à horizon 2018 annoncé par le contrat d'étude prospective (CEP) de Syntec numérique laissent penser que ces difficultés vont perdurer. Pourtant, des initiatives visant à contrer celles-ci émergent ici et là, dans les entreprises, les écoles et universités. Le plus souvent avec un nombre réduit de participants. Le qualitatif primant dans ce cas sur le quantitatif, pour apporter la preuve que « cela marche ». Ce sont des écoles d'ingénieurs qui ouvrent certains de leurs cursus aux littéraires (étudiants en lettres et sciences sociales). C'est un opérateur de datacenters qui s'associe à un IUT pour former et embaucher des jeunes de la banlieue parisienne. C'est un groupement d'écoles qui misent sur l'hybridation de leurs cursus. C'est la filiale de services d'un opérateur télécom qui mise sur les conditions d'accueil de stagiaires et apprentis, formation à l'appui, pour qu'une majorité débouche sur une embauche ferme.

Rompre avec l'homogénéité des promos

Point commun de ces initiatives : une volonté de s'adapter à l'évolution des métiers de l'informatique et de l'accès à ces métiers. Voire un certain degré de non-conformisme. Ce qui est clairement revendiqué par l'UTT (Université de technologie de Troyes) avec l'ouverture du cursus d'ingénieurs ISI (informatique et système d'information) aux élèves de classes préparatoires littéraires. Trois autres établissements font de même pour la prochaine rentrée : les Ensi (écoles d'ingénieurs) du Mans et de Bordeaux, et l'Epita. « Non pas pour compenser un déficit de notre propre recrutement », précise Timothée Toury, directeur de la formation et de la pédagogie de l'UTT, sachant que les étudiants ne s'y trompent pas. Avec 95% d'embauches conclues avant la fin du stage de fin d'études, à Troyes, la filière ISI (ingénieur en informatique) n'a pas de mal à faire le plein.

L'idée partagée par ces établissements est bel et bien de rompre avec l'homogénéité des promos. Faire travailler ensemble et confronter des points de vue différents. « L'informatique et sa complexité s'y prêtent particulièrement, partant de l'expression du besoin de l'utilisateur jusqu'à la prise en compte de la réalité technique et des incidences organisationnelles », argumente Marc Lemercier, responsable du cursus ISI de l'UTT. Après une première année dédiée aux apprentissages classiques de la discipline informatique, des trois filières proposées en option, la spécialisation MSI (management de systèmes d'information) est centrée sur l'analyse des organisations, la compréhension des besoins, la modélisation des processus, la gestion des connaissances. Rien de trop étranger, en effet, aux profils moins « techno » que littéraires. Sans compter que dans les activités relevant de l'audit ou d'aide à la maîtrise d'ouvrage, les capacités rédactionnelles sont recherchées. Dans un premier temps, seuls deux élèves de khâgne B/L (lettres et sciences sociales) ont rejoint la filière MSI de la promo 2013 (80 étudiants qui seront diplômés en 2016). L'objectif de l'UTT étant de monter à douze à la rentrée prochaine. Et du même coup de maintenir voire conforter un taux de féminisation déjà correct (22% pour le cursus ISI) avec des recrues plus attirées par le volet de sociologie appliquée inhérent aux projets informatiques, néanmoins associé à une bonne compréhension des outils et de l'organisation de ces projets.

Mais si l'importance de cette composante sociologique est avérée – et ce n'est pas nouveau – , que ne l'a-t-on prise en compte plus tôt dans l'accès aux études d'ingénieur informaticien ? « Vis-à-vis des tenants de cette discipline héritière des sciences mathématiques et de l'électronique, c'est un changement de paradigme qui n'est pas forcément simple à faire passer », avance Timothée Toury. Reste à savoir si le recrutement national de ces cursus d'ingénieurs pionniers dans cette ouverture trouvera écho auprès des 25 classes prépa B/L de l'Hexagone.

De même, il est trop tôt pour dire si, dès le lycée, l'extension de l'option ISN (Informatique et sciences du numérique) ouverte au choix de quelques 10 000 élèves de terminales S (30% des lycées ont ouvert cette option à ce jour, selon le décompte tenu par l'association Pascaline) (www.assopascaline.fr) est susceptible d'abonder (en candidats) cette amorce de diversification des promos de futurs informaticiens.

Une palette élargie de spécialisations

Pour le groupe Efrei nouvellement constitué, c'est à l'inverse un rapprochement de cursus à forte connotation technique – ceux de l'Efrei plutôt généralistes, et ceux de l'Esigetel orientés réseaux, télécom et systèmes embarqués – qui vise à répondre à l'évolution des débouchés du secteur IT. Il en résulte un élargissement de la palette d'orientation ouvertes aux étudiants d'une école à l'autre. L'accent est ainsi mis sur l'articulation entre spécialisations. Mais pas seulement. « Nos écoles pratiquent de longue date l'ouverture sur le monde de l'entreprise, les dimensions financières ou marketing associées au métier de l'ingénieur, la capacité à collaborer, en mettant en exergue pour les étudiants la nécessité de se préparer aux exigences de projets complexes en termes de qualité, de méthodologie. Ce que n'assureraient pas des formations mettant le paquet uniquement sur les aspects techno. Et pour moitié, nos cursus sont enseignés en anglais », explique Frédéric Meunier, directeur général du groupe Efrei.

La nouveauté, avec la création du groupe Efrei, c'est avant tout un positionnement clarifié à l'égard des « parties prenantes » : étudiants et futurs employeurs. Résolument élargi pour couvrir l'ensemble des débouchés que représente l'essor du numérique. S'ajoutent aux deux écoles Efrei et Esigetel, une formation ouverte à l'alternance, EfreiTech, de niveau bac+3, double compétence technique du web et marketing (60 étudiants), ainsi qu'une licence professionnelle en partenariat avec l'université d'Evry (30 étudiants). Au total, un vivier avec lequel les employeurs ne se privent pas d'entretenir un contact suivi. Pour preuve : « pour les dix mois de stages répartis sur le cursus ingénieur, 4 mois en seconde année, 6 mois en dernière année, pour les deux promos de 300 étudiants, nous disposons en moyenne de dix offres de stage par étudiant ».

Un sourcing conforté par un parcours d'insertion

Miser sur l'accueil de stagiaires est, en effet, la solution choisie entre autres par Telindus, filiale de l'opérateur Belgacom, pour assurer sa croissance d'effectif de 10 à 15 % par an. Avec, en 2012, pour un effectif de 850 salariés, un score de 124 embauches, de 40 stagiaires et 35 apprentis. Et la mise en place, depuis deux ans, d'un dispositif d'ambassadeurs auprès d'une douzaine d'écoles partenaires. « Sauf que nous trouvions dommage de former ces jeunes et de les faire travailler pendant six mois sur des technologies pointues, pour les voir in fine se faire embaucher par la concurrence », remarque Claire Sillam, DRH de Telindus. Dans l'idée qu'une moitié d'entre eux reste en poste, embauchés en CDI, avec l'accord des managers, « plutôt sur la réserve dans un premier temps, tant ils ont l'habitude de chercher du renfort du côté des expérimentés », il a été décidé d'actionner un autre levier : celui de la formation interne.

Fort du dispositif d'université d'entreprise de Belgacom/Telindus, un parcours de formation accéléré est proposé aux stagiaires et apprentis, axé sur les prérequis actuels des métiers d'intégration, de support et d'exploitation IT : les processus qualité, la démarche ITIL, la gestion de projet (PMI), et tout ce qui relève du comportement face au client. « L'exigence est de plus en plus portée sur ces aspects », souligne la DRH, sachant que 50% du budget de formation (4% de la masse salariale) restent dédiés à la consolidation des compétences techniques (y compris pour les 80 stagiaires et apprentis accueillis cette année), dont les certifications des fournisseurs.

Cette solution de sourcing conforté par un parcours d'insertion est également le parti pris par l'opérateur de datacenter Telecity. Mais cette fois, dans une optique d'initiative citoyenne que tient à souligner Stéphane Duproz, directeur général de TelecityGroup France. « Nous voulions réagir à la dichotomie territoriale qui fait que les entreprises installées en Seine-Saint Denis n'embauchent guère de jeunes de la partie nord du département », explique le dirigeant. Pour rappel (nous le relations en septembre 2012), avec Schneider Electric et Bouygues Energies & Services (ex-ETDE), l'engagement a été pris à l'égard de l'IUT de Villetaneuse (filière GE2I, génie électrique et informatique industrielle) de proposer à des étudiants de niveau bac+2 (une douzaine dans un premier temps) un parcours d'insertion professionnelle sur mesure.

Au total 120 heures d'enseignements spécifiques sur les technologies intégrées dans les data centers (réseaux, normes, climatisation, énergie) auxquels s'ajoute cette année un module d'initiation au process et au service client. « L'exigence du métier est très élevée. Il s'agit de donner à des jeunes un accès à ce niveau de rigueur », insiste Stéphane Duproz. L'autre volet du parcours est un accompagnement tout au long de l'année, avec un stage de trois mois sur site. Un engagement important tant de la part de l'IUT (organisation du cursus) que des employeurs, dans lequel ont été impliqués, pour Telecity France (55 personnes) une douzaine d'ingénieurs et de techniciens.

Un montage sur mesure

La difficulté d'un tel montage ? « La mobilisation en temps », répond le dirigeant. « Nos métiers sont complexes, fondés sur des processus qui ne s'apprennent pas en quelques heures et ne sont pas naturellement conçus pour avoir des stagiaires qui s'y essaient sans que cela aboutisse. L'axe majeur est le service au client, qui réclame une forte disponibilité ». D'où la nécessité de modifier cette organisation en flux tendu pour y insérer le tutorat. Et de sélectionner les candidats non seulement sur le critère de motivation. « Plutôt sur l'attitude, la capacité et la volonté de s'intégrer à l'équipe, pour une qualité de travail extrêmement exigeante. » Mais le résultat est là. Sept des douze de la première promo sont embauchés par les trois employeurs impliqués, dont trois chez Telecity. Qui envisage de doubler la mise (6 embauches) à l'issue de la seconde promo en cours de recrutement à l'IUT. « Les jeunes en parlent entre eux. Sur la quinzaine que nous avons rencontrée pour l'instant, tous sont motivés par les perspectives d'embauche en data center », constate Stéphane Duproz. « Une goutte d'eau », de son propre aveu, mais qui va bien dans le sens de la diversification et les politiques d'ouverture sociale des grandes écoles et cursus universitaires, comme le constate le baromètre « Passeport Avenir » publié cette semaine. Diversification des recrutements, mise en place de partenariat pour l'égalité des chances, actions en amont auprès des lycéens, intensification des dispositifs d'alternance et d'apprentissage : 9 établissements sur dix relevant de ce baromètre ont désormais une équipe ( en moyenne 1,5 poste en équivalent temps plein) dédiée à cette question.

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