Écoles-entreprises : l'innovation à l'ordre du jour

Qui a dit que le décalage entre l'offre et la demande de compétences IT s'aggravait ? Faute d'évolution des relations Écoles/Universités-Entreprises ? Les contre-exemples ne manquent pas.

« Parce que le monde bouge », pourrait être le slogan de l'évolution actuelle des relations entre l'enseignement supérieur et les entreprises. Le secteur IT, soumis au renouvellement et à l'obsolescence rapide des technologies et des savoirs & savoir-faire, est particulièrement concerné. D'autant plus que la conjoncture y pousse. De fait, la dégradation de l'emploi des jeunes diplômés signalée par l'Apec n'épargne pas ceux issus des cursus IT, même si 82 % d'entre eux (promo 2012) ont trouvé un point de chute dès la sortie des études (contre 86% de la promo 2011) et 74% sont en poste un an plus tard. A comparer – toutefois – au taux d'emploi de 68% toutes disciplines confondues.

 

La nécessité d'adapter les cursus à l'évolution des technologies est sûrement pour quelque chose au taux d'insertion relativement préservé des informaticiens débutants. Les efforts faits de part et d'autre – enseignants et entreprises – pour multiplier les occasions de contact en amont de la recherche du premier emploi (accueil de stages, projets confiés aux étudiants, alternance) ne datent pas d'aujourd'hui. Des efforts plus que jamais destinés à contrer la méconnaissance des jeunes (et de leur famille) de la réalité des débouchés. Quitte à miser, pour cela, sur l'innovation multiforme (modalités d'apprentissage, partenariats, etc). Sans pour autant aller jusqu'à « bousculer tous les codes » comme le fait notamment l'école 42 de Xavier Niel, avec d'autres motivations.

 

Travail collaboratif et projet certifié Iso 9001
 

Quelques exemples ? A l'Isen (Institut supérieur de l'électronique et du numérique) de Brest, la pédagogie par projets s'est traduite pour une quinzaine d'étudiants de seconde année du cycle informatique et réseaux par la co-écriture d'un livre sur le langage Python. Non pas pour se perfectionner eux-mêmes à la programmation Python, mais, du point de vue du professeur François Kany qui a encadré ce projet, « pour contourner leur désintérêt pour les cours », et les plonger du même coup dans une modalité de travail collaboratif, avec un livrable concret au final. Plus largement, pour les trois établissements de l'Isen (Lille, Brest, Toulon), la diversification de l'organisation des études et des contacts avec les débouchés est la règle. Depuis l'admission dans le cursus ingénieur (30% non issus de classes prépa, un taux doublé en 3 ans), jusqu'à l'insertion d'élèves de 2ème année du cycle ingénieur (un an avant le diplôme) dans des projets de R&D confiés sous contrat par des entreprises. En passant par l'intensification de la formule apprentissage, avec une vingtaine d'élèves-apprentis à Brest, 23 élèves-apprentis à Toulon en 3ème année de cursus, le double pour la promo démarrant cette année, organisée en partenariat avec les Instituts des techniques de l'ingénieur de l'industrie (IT2I Bretagne et IT2I Paca). Sans aucun problème pour leur trouver des entreprises d'accueil (« nous avons deux fois plus de demandes », avance David Brun, directeur du développement du groupe Isen), la principale limitation étant celle du financement relevant notamment de l'État.


 

Même constat à l'Insa Rouen, où dès la 4ème année d'études, les élèves du cursus Architectures des systèmes d'information (ASI) et ceux du cursus Maîtrise des risques industriels et environnementaux (MRIE) sont impliqués ensemble, par groupe de 6 à 8, dans des projets à caractère transverse confiés par des industriels. La tournure pluri-disciplinaire des projets amenant une équipe (ASI ou MRIE) à intervenir en sous-traitance de l'autre, avec un donneur d'ordre industriel, des livrables à respecter et une initiation de fait à la dimension contractuelle, de plus en plus prégnante dans l'univers de l'ingénieur (en informatique notamment, avec le Cloud Computing). Le tout dans un contexte de certification Iso 9001 : « Une compétence de plus en plus appréciée des entreprises », souligne Michel Mainguenaud, directeur de l'unité pédagogie par projets de l'Insa Rouen, «et le référentiel de certification a été construite par les élèves eux-mêmes ». Là encore, pour fournir des sujets à quelque 80 étudiants (une cinquantaine en ASI, une trentaine MRIE), l'intérêt et l'implication des industriels ne font nullement défaut.

 

R&D mondialisée
 

A l'Insa de Lyon, le cap est mis de longue date sur la sensibilisation des étudiants – et des partenaires industriels – à la dimension internationale du métier d'ingénieur. Concrétisation cette année, pour le département télécom, services & usages, avec le parrainage de la seizième promotion assuré par l'équipementier Huawei. Non pas que les parrains des promos précédentes (EADS, Orange, Spie Communications, Bouygues Telecom, etc) n'aient pas une activité internationale. Mais cette fois, l'ancrage des projets R&D ouverts à la participation des élèves-ingénieurs avec ce parrainage se trouve aussi bien dans la région lyonnaise où est implanté l'équipementier chinois, qu'à Shenzen, son quartier général. Ou encore à Shanghai où les écoles lyonnaises (Insa et EM Lyon) ont elles aussi pris leurs quartiers depuis 2007. L'objectif affiché par l'Insa étant « de préparer une génération d'ingénieurs prêts à appréhender le marché chinois dans ses composantes technologiques, environnementales et culturelles ». Moyennant cinq semaines de cours et les projets de fin d'études réalisés en Chine (notamment sur des sujets relevant de l'Internet des objets) pour une quinzaine d'étudiants. L'autre actu de la rentrée 2013 à l'Insa est l'ouverture du cursus télécom aux apprentis issus de cursus bac+2 : « une quinzaine, alors qu'on avait une quarantaine d'offres d'accueil de la part d'entreprises », indique Hugues Benoît-Cattin, directeur du département télécom.
 

« Pas sûr que l'on puisse aller plus loin dans l'ouverture à l'apprentissage », relève pour sa part Christian Lerminiaux, directeur de l'Université de technologie (UT) de Troyes et président de la CDEFI (conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs). Là encore, pour des raisons de coût. Comme la plupart des écoles d'ingénieurs (à Nantes, la rentrée a sonné pour les apprentis de l'école des Mines), les 3 UT (Compiègne, Troyes, Belfort-Montbéliard) ont pris leur part dans l'essor des cursus en alternance (15% du flux annuel des ingénieurs diplômés pour l'ensemble des écoles françaises). Une part qui a contribué au quasi-doublement de ce flux toutes modalités confondues (de 18 000 ingénieurs en 2000 à 31 000 aujourd'hui).

 

Trois ingénieurs pour un technicien

 

L'autre question majeure à laquelle se confrontent les établissements, selon le directeur de l'UT, est une relative désaffection à l'entrée, liée à la méconnaissance des jeunes – et de leurs parents – des débouchés-métiers. «L'aéronautique, par exemple, rime, pour eux, avec la construction d'avions, alors que la spécialité sûreté de fonctionnement, où le besoin de renfort est considérable, ne les fait pas rêver », observe-t-il. Et d'ajouter : « Les Français sont encore loin de comprendre que là où auparavant l'on comptait un ingénieur pour trois ou quatre techniciens travaillant sur les projets, la proportion est maintenant inversée avec trois ingénieurs se partageant un technicien, y compris en informatique ». D'où la justification de campagne de communication. « Autour de la professionnalisation des études qui, heureusement, n'est plus un gros mot nulle part », insiste Christian Lerminiaux. Mais aussi, plus précisément, autour des compétences à développer durant les études, parce que nécessaires pour faciliter « l’insertion des jeunes diplômés dans un environnement socio-économique d’apprentissage permanent ». Propos de l'association Pascalineau sujet de l'approche par les compétences à laquelle se sont attelées les écoles et syndicats professionnels membres pour le secteur IT. 
 

Lier innovation et recrutement 
 

Il arrive aussi que le constat de la difficulté à recruter suscite du côté des entreprises des prises de position innovantes pour faire bouger les lignes. Comme ce fut le cas, fin 2012, chez Eurogiciel, société de services et d'ingénierie (un millier de salariés) avec le lancement d'une pouponnière de projets. « Tout est parti du constat qu'en dépit d'une politique volontariste d'accueil de stages, nous avions du mal à garder les stagiaires qui, souvent, préféraient tenter leur chance auprès de plus grands groupes », raconte Jean-Frédéric Real, directeur marketing et innovation d'Eurogiciel. Avec le slogan « ne cherchez plus votre stage, créez le », l'idée véhiculée notamment sur les réseaux sociaux était de sortir du cadre habituel du responsable d'unité opérationnelle qui émet un sujet de stage pour, au contraire, mettre en exergue la créativité et l'innovation au cœur de la relation avec l'étudiant. Non sans se heurter au conformisme. Après 90 000 contacts directs et indirects suscités par cette campagne lancée en décembre dernier, contacts le plus souvent assortis d'un envoi de CV, au premier semestre 2013, n'ont pu être retenus que trois projets réellement innovants (10% des stagiaires accueillis) et en lien avec les métiers d'Eurogiciel (ingénierie système et logiciel, management de projet, management de la qualité). Ce qui, loin de couper l'élan de cette initiative atypique repérée par certaines écoles, encourage à la poursuivre, « en la cadrant mieux en partenariat avec les écoles concernées », résume Jean-Frédéric Real. 

 

Les débuts du contrat de génération 
 

Autre actualité de cette rentrée susceptible de secouer le cocotier des relations écoles-entreprises, l'entrée en vigueur du contrat de génération, réputé – à raison ou à tort comme le remarque le Munci – peu adapté au cas du secteur IT. Quoiqu'il en soit, l'obligation (de négociation dans un premier temps, avant le 30 septembre) pour les entreprises de plus de 300 salariés commence à prendre effet. Pour Capgemini, la communication autour de l'accord signé avec les syndicats met en exergue l'articulation du contrat de génération avec l'engagement pris à accueillir 1 000 stagiaires et alternants par an avec, pour objectif, de transformer l'essai pour au moins 70% d'entre eux avec une embauche en CDI. « Un engagement d'ores et déjà tenu et réalisé », remarque Géraldine Plenier, directrice RSE de Capgemini France, figurant d'ores et déjà dans le rapport RSE (impact social et environnemental) du groupe (avec 531 contrats de professionnalisation et 1 088 stagiaires au compteur en 2012). Pour les autres volets du contrat de génération – pour la transmission des savoirs et surtout pour le maintien de l'emploi des seniors –, l'histoire ne fait que commencer. Bien au delà, il est vrai, de l'entretien des relations avec l'enseignement supérieur (plus de 90 écoles et universités partenaires pour Capgemini) et de l'organisation du tutorat des jeunes en alternance qui ne correspond pas forcément au schéma « un jeune, un sénior » du contrat. A suivre. 


 


 


 


 


 

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