Fusionner l'Arcep et le CSA : mais pour quoi faire ?

L'idée relancée par le premier ministre de fusionner les deux grands autorités indépendantes en charge des postes et télécommunications et de la communication audiovisuelle fait couler beaucoup d'encre. Car faute de dire clairement ses objectifs, le gouvernement laisse s'exprimer tous les fantasmes, y compris celui du filtrage des contenus internet par une nouvelle entité combinée. Alors qu'il faudrait d'abord s'attaquer aux carences des deux organisations et faire le point sur leurs échecs des années passées avant de définir une vraie politique pour l'avenir des deux secteurs. Entre jeu politique et politique industrielle, il serait bon cette fois-ci que l'on tranche clairement.

Et voila que l’on reparle d’une éventuelle fusion entre le CSA (ex-Haute autorité de la communicaion et de l’Audiovisuel, ex-CNCL) et l’ARCEP (ex DGPT, ex ART), les autorités « indépendantes » en charge de réguler respectivement le secteur de l’audiovisuel et celui des postes de télécommunications.

La perspective d’une telle fusion avait déjà été évoquée lors des réflexions sur la loi Hadopi avec en arrière pensée la possibilité de « réguler » les contenus sur Internet (un objectif d’ailleurs évoqué très sérieusement par Michel Boyon , le président du CSA).Mais faute de trancher, le gouvernement de François Fillon avait opté pour la voie du milieu, la création d’une troisième autorité, l’Hadopi pour faire la chasse aux pirates de l’internet, sans toucher aux autorités existantes (le gouvernement avait toutefois tenté d'imposer un commissaire du gouvernement l'Arcep avant d'y renoncer).

Un moyen d'organiser la valse des têtes au sein des deux autorités

Et voilà que le nouveau gouvernement remet ça à la demande du premier ministre. Les cabinets d'Aurélie Filipetti, la ministre de la culture et de la communication, historiquement très liée aux lobbys de la Culture, ou de Fleur Pellerin, devraient ainsi plancher dans les prochaines semaines sur l'éventuelle fusion des deux autorités. La manoeuvre, avant tout politique, permettrait de justifier un vaste changement des têtes au sein des autorités actuelles, sans donner l’apparence que le gouvernement mène une chasse aux sorcières.

Elle permettrait éventuellement, à terme, de fusionner les trois autorités et l’agence nationale des fréquences au sein d’une seule et même structure, largement « dégraissée » et renouvelée. Reste que fusionner les autorités n'est pas une fin en soit et n’équivaut pas à bouleverser les réglementations en place. On voit d'ailleurs mal ce que le nouveau « machin » issu d’une fusion ferait différemment des autorités actuelles, sauf vraie volonté politique.

Pour quel objectif industriel ?

Il est par exemple bon de rappeler que la réglementation télécoms échappe désormais largement aux Etats pour être définie par Bruxelles (le fameux paquet Télécoms). Et que l'Arcep l'applique avec un sens très particulier de l'intérêt des consommateurs. On ne rappellera pas par charité le dossier de la boucle locale radio, pas plus que les performances de l'autorité dans les dossiers de la couverture 3G et des zones blanches. De même, on ne fera pas l'insulte à l'Arcep de rappeler son impuissance face à des décisions de l'autorité de la concurrence, comme celle qui empêche la montée en débit ADSL de régions entières condamnées pour les années à venir à des débits inférieurs à 1 ou 2 Mbit/s (sous prétexte que cette montée en débit orchestrée par France Télécom, opérateur dominant, constituerait une distorsion de concurrence et un obstacle à la montée en puissance de la fibre - qui rappelons-le n'est pas près d'arriver dans les campagnes).

La réglementation audiovisuelle reste quant à elle un tigre de papier incapable de faire appliquer les cahiers des charges des chaînes (à défaut, des géants comme TF1 ou Vivendi et des nouveaux venus comme NextTVRadio auraient sans doute eu à rendre des comptes sur leurs fréquences et auraient même dû, dans certains cas, en être déchus). Elle est aussi très exposée à la pression des lobbys financés par une poignée de grands groupes disposant d’accointances fortes dans les couloirs du pouvoir mais aussi dans les autorités (il serait trop long ici de refaire l’histoire de Bouygues, de feu Suez-Lyonnaise des eaux, de feu la Compagnie Générale des Eaux ou d’Hachette). Elle aussi voit parfois ses plates-bandes foulées par l’autorité de la concurrence.

En attendant, les vrais défis restent à résoudre

En attendant d’y voir plus clair sur les intentions du gouvernement, la seule évocation d’un rapprochement possible des autorités a fait s’emballer la machine à communiqués : le président du CSA se félicite, l’Arcep prend acte, la quadrature du Net s’insurge contre le filtrage généralisé de l’Internet, Fleur Pellerin en charge de l’économie numérique riposte en affirmant qu’il ne s’agit pas de limiter la liberté d’expression.

Pendant ce temps on ne parle pas des vrais problèmes : les contenus, notamment vidéo, sont de plus en plus verrouillés et protégés par de multiples couches de DRM propriétaires sur Internet, empêchant toute interopérabilité, malgré la loi, et compliquant la vie numérique des Français. Alors que l'on pouvait enregistrer simplement un film sur VHS il y a 10 ans et le déplacer de magnétoscope en magnétoscope, réaliser la même opération à l'ère numérique est quasi-impossible, à moins d'utiliser des contenus pirates. Paradoxalement, pendant ce temps, la taxe sur la copie privée ne cesse d’augmenter (Les ayants-droit collectent ainsi de plus en plus d'argent pour compenser le manque à gagner lié aux supposées copies de plus en plus impossibles à réaliser, bref on marche sur la tête...). Et pour ceux qui en douteraient encore, essayez de sortir un enregistrement effectué avec votre box ou votre décodeur Canal+, pour le lire sur votre tablette ou votre téléphone mobile. 

Dans le même temps, la gestion pour le moins bizarre du dossier de la diffusion TV aboutit à ce que la 4G en 800 MHz brouille gravement les émissions TNT (alors que l’on aurait pu planifier il y a 5 ans, l’arrêt progressif de la diffusion hertzienne au profit d’une bascule de cette diffusion sur les réseaux câblés fibrés et ADSL (sur le même mode que le service antenne des réseaux câblés), les dépenses liées à l’hertzien étant alors réaffectées à la couverture des zones blanches ADSL et à la montée en débit. Au passage, on aurait libéré un vrai trésor de fréquences pour le développement d’un vrai haut débit 4G de qualité et des ressources financières pour le très haut débit et la fibre, un dossier désespérément enlisé hors des grandes villes. Pour ce qui est de la radio, on aurait pu réussir la transition vers la radio numérique (et ne pas céder aux lobbies comme l’a fait le CSA), etc, etc…

Mais il semble plus important pour l’instant à nos gouvernants et aux hauts fonctionnaires en postes dans les autorités de faire aussi peu de vagues que possible dans leur secteur afin de conserver leur siège. Pour mémoire, l’Arcep, le CSA et l’agence nationale des fréquences (qui a, elle, une vraie mission claire et d’intérêt public) emploient un total de près de 800 personnes, soit autant que l’effectif officiel de Free en 2010 ou environ moitié moins que les effectifs de TF1.

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