Emploi et GPEC : Le bastion mainframe manquera-t-il de compétences ?

La filière mainframe recrute plus discrètement que les autres familles de projets (Java, ERP internet, etc). Mais suscite toujours aussi peu de vocations chez les informaticiens débutants. De là à parler de risque de pénurie ? Etudes prospectives et témoignages.

Symptomatique des déséquilibres du marché de l'emploi en informatique, le monde du mainframe est régulièrement interpellé au sujet du risque de manque de compétences à court et moyen terme. Alors que, parallèlement, c'est une des filières les plus calmes et discrètes en matière d'embauche. Chacun à leur tour, à coup d'enquêtes, les fournisseurs dédiés constatent et dénoncent l'imprévoyance voire l'immobilisme des employeurs concernés, DSI et prestataires. Dernière alerte en date, l'étude de Compuware qui attire plutôt l'attention sur l'aspect qualitatif du risque lié au déficit de compétences, plus que sur le renforcement voire le maintien en quantité des effectifs. Une façon comme une autre de souligner qu'il est possible et surtout nécessaire de renforcer l'attractivité de cette filière.

L'argument est habile. Qu'il s'agisse des études commanditées et exploitées par IBM, CA, BMC ou Compuware, face au constat d'un mainframe indétrônable dans les secteurs gourmands en transactions (secteur bancaire en tête), il est souligné que les équipes gardiennes de l'héritage grands systèmes (legacy) ne sont pas exclues pour autant des nouveaux développements de l'informatique d'entreprise. Tous les thèmes en vogue sont invoqués (voir l'article Mainframe et moyens systèmes: un îlot de compétences raréfiées): le cloud computing dont fait partie intégrante l'évolution du mainframe, l'intégration de nouveaux besoins tels que la mobilité, la maîtrise des coûts par l'optimisation et le suivi des performances. De quoi remplir largement l'emploi du temps des « pros » du mainframe. Selon les réponses de 520 responsables informatique compilées par l'étude de Vanson Bourne pour Compuware, dans près de huit cas sur dix, le mainframe garde le statut d'élément clé des investissements et du fonctionnement des DSI (« key business asset ») pour la décennie à venir. Ce qui, pour autant, n'incite qu'une trop faible partie d'entre eux (moins de quatre sur dix responsables français interrogés) à tenir compte dans leur plan d'action de l'inévitable vieillissement des équipes et de la nécessité de préparer la relève.

En cause, la GPEC et la répartition des effectifs

Ce que ne dément sûrement pas Philippe Bernard, directeur de la division Banque-Finance-Assurances du groupe GFI Informatique, tout en contestant la perspective de pénurie de compétences. Pour ce manager, à la tête d'une force de 700 informaticiens en Ile-de-France et de 250 autres à Lille en centre de services majoritairement dédié au mainframe, entretenir ce vivier est autant une affaire de GPEC (gestion prévisionnel de l'emploi et des compétences) qu'une question de répartition des effectifs. Sur les deux familles de compétences concernées -environnement MVS/CICS d'une part, middleware et ateliers logiciels (Pacbase, etc) d'autre part- les équipes en poste dans sa division comptent une majorité de seniors. « En centre de services, le profil-type est un homme, entre 45 et 55 ans, avec 20-25 ans d'expérience », témoigne Philippe Bernard. Un effectif peu affecté par le turnover, si ce n'est entre les quelques SSII (« quatre ou cinq grands acteurs », précise-t-il) positionnées sur le créneau des prestations mainframe.

De l'autre côté de la pyramide des âges, force est de constater que la spécialité mainframe ne suscite guère de vocations chez les jeunes. «Par simple méconnaissance », relève Sylvie Malézieux, responsable de l'école d'ingénieurs en informatique Epsi. Après s'être investie, il y a trois ans, dans le montage d'un cursus ad-hoc en partenariat avec l'établissement de Montpellier d'IBM, l'école a dû renoncer à cette initiative relevant du programme zAcademy de Big Blue, faute d'étudiants inscrits. « Pourtant, ceux de nos élèves-ingénieurs qui ont découvert cet environnement à l'occasion de leur stage de fin d'études , ne regrettent aucunement d'avoir fait ensuite le choix de cette orientation pour leur début de carrière », remarque la responsable de l'Epsi. On ne parle plus guère de l'opération zNextGen lancée il y a cinq ans par IBM avec un de ces club utilisateurs et quelques écoles, afin de pallier au manque d'intérêt des jeunes pour les expertises à développer autour de la combinaison du socle de legacy (le zOS en l'occurence) et des nouvelles technologies. Le partenariat Sogeti/Banque Postale/IBM a formé trois "promo zAcademy" d'une dizaine de personnes entre 2008-2010. Pas plus. Encore aujourd'hui, selon l'étude Compuware/Vanson Bourne, sept responsables informatiques sur dix restent persuadés que « l'immobilisme de l'environnement mainframe » est pour beaucoup dans ce désintérêt. Les préjugés ont la peau dure. De là à déboucher inévitablement sur une pénurie de compétences, faute de relève?

Un argument fort pour l'organisation en centres de services

« J'y mets un sérieux bémol, compte tenu de la réalité du marché », réagit Philippe Bernard, bien placé pour constater que le secteur Banques-Finances, principal donneur d'ordre pour les prestations mainframe, a nettement réduit la voilure depuis l'an dernier. Confirmation avec le baromètre HiTechPros : pour le créneau mainframe qui, d'un mois à l'autre, tourne autour de 5% du marché des prestations en régie (6,1% de l'offre des SSII, 4,8% de la demande des entreprises clientes pour la première quinzaine de mars 2012), l'offre dépasse de deux à trois fois la demande. Une rapide consultation de l'espace emploi de GFI Informatique montre que sur quelque 200 profils de postes présentés en ligne, seul une demie-douzaine relève des équipes mainframe.

En revanche, l'élargissement vers le haut de la pyramide des âges va de pair avec une relocalisation des personnels et le regroupement en centres de services. « Avec la prise en compte de l'ancienneté, on arrive à des niveaux de salaires qu'il devient complexe de soutenir en Ile-de-France. Ce qui amène les grands acteurs à redistribuer les activités, et qui génère des mutations vers des centres de services, a minima proches de grandes villes de province, voire offshorisés », témoigne Philippe Bernard. Pas de quoi, d'après lui, compliquer a priori l'embauche en début, voire en cours de carrière. « Les architectes, les chefs de projet, ça se trouve». Mais, de quoi, en revanche, justifier un investissement sérieux en GPEC. Avec force programme de « reskilling » (mise à niveau des compétences, trois à quatre semaines de formation pour les personnels concernés de sa division) et un accompagnement de la mobilité.

« C'est notre métier », résume Philippe Bernard, « pas seulement pour résoudre une problématique de coût, mais parce que cela répond à l'évolution de la demande des entreprises clientes. Qui, au début d'une relation d'assistance technique, veulent avoir les renforts chez elles, puis les renvoient chez nous pour s'économiser certains coûts, moyennant l'établissement d'accords de service, SLA, etc ». De même, l'étude Compuware/Vanson Bourne, au travers des réponses des informaticiens interrogés, fait de ce « reskilling » un prérequis pour la modernisation, voire la survie du monde mainframe. Un prérequis mais aussi un frein ! En tête des obstacles à cette modernisation, fondée notamment sur le middleware (selon Compuware) les DSI mentionnent la hausse des coûts d'acquisition, prise en compte de la courbe d'apprentissage incluse.

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