Opinion : un Sun indépendant et recentré sur l'infrastructure est nécessaire face à HP et IBM

Alors que le Wall Street Journal annonce l'effondrement des négociations entre Sun et IBM, il semble que ce soit la vieille garde de Sun qui ait fait achopper la transaction. L'occasion de réfléchir à l'intérêt qu'un spécialiste de l'infrastructure comme Sun, innovant, indépendant et rentable, peut représenter pour les utilisateurs face aux mastodontes intégrés comme HP et IBM.

The End... ? Selon le Wall Street Journal, les discussions de fusion entre IBM et Sun Microsystems ont achoppé au cours du week-end. Citant des sources familières des discussions, le Wall Street Journal, par qui la fuite sur les négociations est venue, explique que le conseil d'administration de Sun a refusé samedi l'offre de Big Blue et mis un terme à l'exclusivité des négociations. En réponse, IBM a retiré son offre d'achat dimanche. Les discussions ne seraient toutefois pas rompues entre les deux constructeurs qui continueraient de maintenir le contact.

La vieille garde de Sun à la maneuvre ?

mcnealyCe qui est intéressant dans l'article du Wall Street Journal est l'explication donnée à la rupture des négociations. Ce serait en fait une faction du conseil d'administration menée par Scott McNealy, le président et co-fondateur de Sun, qui se serait opposée au camp mené par Jonathan Schwartz, l'actuel CEO de Sun, pourtant officiellement adoubé par McNealy. Bref, ce serait en quelque sorte la vieille garde de Sun qui serait sortie de sa retraite pour dire tout le mal qu'elle pense de la proposition d'IBM. Même si le Wall Street Journal reste dans l'euphémisme ("certaines personnes familières avec les négociations indiquent que le prix n'était pas le plus gros problème"), on peut imaginer ce que McNealy doit penser à l'idée de laisser IBM s'emparer de la société qu'il a contribué à créer.

En 2005, lors du Gartner Symposium de Cannes, McNealy parlait en ces termes d'IBM et plus particulièrement de sa branche services : "Vous connaissez l'histoire du punk bardé de tatouages et de piercing auquel vous confiez votre Mercedes toute neuve et qui vous la rend à l'état d'épave. Ce n'est rien par rapport à ce que peut faire notre concurrent [avec votre SI]... " . Une description qui avait fait éclater de rire et applaudir les DSI présents dans la salle... Comparant l'IT à un camion, le même McNealy avait aussi ajouté " Quoique vous fassiez, ne confiez jamais les clés du camion à IBM Global Services". S'il n'a pas changé d'avis sur IBM, et c'est peu vraisemblable, on peut facilement imaginer l'enthousiasme de McNealy à voir sa création absorbée et digérée par Big Blue.

Spécialistes innovants contre géants généralistes...

Reste que le baroud d'honneur de McNealy pose plusieurs questions intéressantes. La première est de savoir s'il est dans l'intérêt financier des entreprises utilisatrices de voir se concentrer le marché de l'informatique en un aussi petit nombre de mains et notamment celles des deux mastodontes que sont HP et IBM. Petit indice pour ceux qui ont du mal à comprendre : analysez l'augmentation des coûts de licences et de maintenance dans le monde des ERP depuis la mise en oeuvre du quasi duopole Oracle - SAP. Un autre indicateur est tout aussi intéressant, celui du coût de sortie. Sun est réputé pour « l'ouverture » de ses systèmes et son attachement aux standards. De l'aveu même des clients, quitter une plate-forme Sparc/Solaris est assez facile et peu coûteux (ironiquement, nombreux sont les clients qui en ont profité). A titre de comparaison, les clients Mainframe d'IBM qui ont tenté d'abandonner la plate-forme z/OS ne peuvent guère en dire autant.

Une autre question consiste à se demander si la course au gigantisme et à la concentration actuelle - largement impulsée par des considérations financières - est dans le meilleur intérêt des clients en matière de progrès et d'innovation. Malgré leur taille gargantuesque, ni HP ni IBM n'ont prouvé au cours des dernières années qu'ils savaient concevoir des serveurs ou des systèmes de stockage radicalement meilleurs ou moins chers que ceux de Sun, pas plus qu'ils n'ont démontré la supériorité de leurs systèmes d'exploitation sur Solaris (ce dernier est d'ailleurs considéré par beaucoup comme le plus avancé et le plus innovant des Unix d'entreprise). Même dans le monde des serveurs x86, pourtant de plus en plus banalisé, Sun s'est montré un constructeur innovant, tant dans la conception de ses processeurs et de ses machines que dans leur facteur de forme (les châssis 42U pour serveurs lame Sun Blade 6048 ou les serveurs X4540 viennent à l'esprit).

Revenir à une logique industrielle

Certains analystes brandissent aujourd'hui la menace d'un naufrage pour Sun qui aurait refusé l'offre de la dernière chance d'IBM. C'est sans doute aller vite en besogne. D'une part, il n'est pas dit que Big Blue ne reviendra pas à la charge avec une meilleure offre : en fin connaisseur des technologies, il sait sans doute que Sun, son savoir-faire et sa base installée valent sans doute bien plus que le prix qu'il propose. Mais surtout, ce n'est pas parce que Sun est bien plus petit que ses concurrents qu'il ne peut survivre seul et prospérer.

Sun n'est après tout pas dans la situation d'un SGI : au cours des dix dernières années, même pendant les périodes les plus noires, la firme a toujours affiché un cash flow positif. Cela peut changer, mais avec près de 3 Md$ de trésorerie en banque, Sun peut résister à un nombre considérable de mauvais trimestres. La question n'est donc pas une question de pérennité, mais une question d'aptitude à mettre en oeuvre efficacement une stratégie cohérente et à s'y tenir.

A l'instar d'un EMC dans le stockage, ou d'un Teradata dans les datawarehouses, Sun  a toutes les qualités pour être un champion de l'infrastructure. A condition de se recentrer sur ses savoirs-faire et d'être dirigé par un CEO sans doute plus concentré sur les détails opérationnels que les deux derniers dirigeants (un tantinet exubérants) de Sun – ce qui passera sans doute par le départ de Schwartz et par l'arrivée d'un profil plus infrastructure comme John Fowler, Andy Bechtolsheim ou d'un dirigeant externe.

L'infrastructure : un marché à plus de 100 Md$, services compris

L'infrastructure n'est pas marché périmé. Sinon, pourquoi les mêmes analystes qui passent leur temps à éreinter Sun salueraient-ils avec béatitude l'arrivée de Cisco sur le marché des serveurs. La réponse est facile : l'an passé, il s'est vendu pour plus de 53 Md$ de serveurs et pour près de 18 Md$ de systèmes de stockage externes, des chiffres qui n'incluent pas les logiciels et services associés. Et même si la crise aura un impact sur ces montants, il faudra toujours plus des serveurs, des systèmes de stockage, des systèmes d'exploitation, des bases de données et les outils d'administration et services associés, pour faire fonctionner efficacement les applications et services de demain dans des conditions fiables et économiques. Et c'est justement la spécialité et le savoir-faire de Sun.

Bien sûr, nul ne croit plus que la valorisation de Sun remontera un jour aux très déraisonnables 200 Md$ atteints pendant la bulle Internet, mais le marché de l'infrastructure et des services d'infrastructure est largement suffisant pour que la société vive bien et que ses résultats s'améliorent. Reste à savoir si les leçons de la crise financière récente suffiront à ramener à la raison les actionnaires actuels de Sun, ceux-là même qui ont créé les conditions qui ont permis à IBM d'espérer mettre la main à bon compte sur la firme et qui sont sans doute encore tentés de faire un profit rapide en se débarrassant de la firme. C'est ce que l'on appelle une logique financière, par opposition à une stratégie industrielle et l'on peut légitimement douter qu'elle soit dans l'intérêt des entreprises clientes.

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