Pour un projet de CRM raté, le TGI de Niort condamne IBM à verser plus de 11 M€ à la MAIF

En décembre dernier, le Tribunal de Grand Instance de Niort a condamné IBM à verser plus de 11 M€ à la MAIF en remboursement de sommes versées pour un projet avorté de refonte de son système de gestion de la relation avec ses sociétaires, et au titre de dommages et intérêts. Selon le tribunal, IBM aurait usé de manœuvres visant à tromper son partenaire pour remporter le marché et « maintenir la mutuelle dans son erreur initiale. » Le prestataire, qui met en cause l'attitude de l'assureur, a fait appel. Les deux parties se refusent à tout commentaire.

La nouvelle serait peut-être passée inaperçue si notre confrère Sébastien Kérouanton, de la Nouvelle République du Centre Ouest, à Niort, ne l’avait relevée, mi-février : le 14 décembre dernier, IBM a été condamné par le Tribunal de Grande Instance de Niort à verser plus de 11 M€ à la MAIF, en réparation du préjudice causé par les dérapages d’un projet de refonte du système de gestion de la relation sociétaires de l’assureur. Si la MAIF se refuse à tout commentaire, les attendus du jugement détaillent l’historique du projet et de son échec.

Un projet de refonte CRM à 7,3 M€

« Souhaitant refondre le système information de la CRM (gestion de la relation clients), la MAIF a lancé un projet ‘GRS’ (gestion de la relation sociétaires) basé sur l’intégration du progiciel de CRM de la société Siebel. […] la MAIF a lancé un appel d’offres à l’issue duquel elle a retenu la société IBM. » Fin mai 2004, l’assureur commande à IBM une analyse de ses besoins et de son environnement, sur 243 jours homme, et pour 212 000 € HT. A la suite de cette prestation, c’est encore IBM qui est retenu, en décembre 2004, pour la maîtrise d’œuvre du projet : « conception de la solution, pilotage, réalisation, coordination de l’ensemble des prestations visées au contrat, intégration, reprise des données et assistance à la recette. » Ledit contrat évoquait, selon l’exposé des faits figurant dans les attendus du jugement, « une obligation de résultat », IBM s’engageant à fournir « une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties, en respectant un calendrier impératif prévu et pour le prix forfaitaire ferme et définitif de 7 302 822 € HT. »

Le projet dérape rapidement

Mais très vite, la situation tourne à l’aigre. Toujours selon les attendus du jugement, « la MAIF a déploré dès le mois de février 2005 des retards qu’elle a signalés aux comités de pilotage des 8 mars et 5 avril 2005, émettant par une lettre du 20 avril 2005, une alerte sur le décalage constaté ainsi que sur l’absence de visibilité du projet. » En septembre 2005, la MAIF semble s’engager dans une approche plus formelle : elle demande, par courrier recommandé avec accusé de réception, un dédommagement « pour les retards accumulés », estimés alors, selon elle, à six mois. IBM répond rapidement, imputant à la MAIF la responsabilité de ces retards : pour l’intégrateur, l’assureur « n’aurait pas ‘accepté la traduction opérationnelle du Plan Projet’ et aurait sollicité une ré-analyse de la ‘stratégie de déploiement’ ‘impactant fortement les hypothèses dimensionnantes initiales.’ »

La MAIF et IBM n’en trouvent pas moins rapidement un terrain d’entente : report à début 2007 du pilote prévu en avril 2006, majoration de la facture de 3,5 M€ (plus un bonus de 464 000 € en fin de projet) contre la délivrance du projet par IBM « à marge nulle ». Surtout, ils s’entendent pour se donner jusqu’au 15 novembre pour la signature d’un avenant au contrat d’intégration initial assorti d’une « analyse détaillée assurant la visibilité du projet par la maîtrise des éléments variables », parmi lesquels l’impact sur les projets connexes, notamment. Faute de signature à cette échéance, l’accord serait considéré comme caduc. Mais voilà : le 14 novembre, tout le monde constate que le projet GRS n’est « pas techniquement réalisable dans les conditions initialement envisagées. » IBM, sur demande de la MAIF, conçoit un scénario alternatif, en deux vagues. Las, la MAIF n’y trouve pas encore la visibilité qu’elle souhaite. En particulier, la vague 2 ne fait l’objet d’aucun planning. Début janvier 2006, l’assureur signifie à IBM son refus de contractualiser sur la seule première phase. L’intégrateur revient plus tard à la table des négociations et annonce un délai d’un an après la vague 1 pour passer à seconde vague. Et de demander un budget de 5 M€ pour cette dernière, portant le coût total du projet à 18 M€. La MAIF refuse, met en demeure IBM de réaliser le projet selon les conditions du contrat initial sous 30 jours, faute de quoi elle « considérera ledit contrat résilié de plein droit. »

Le TGI de Niort se range aux arguments de la MAIF

S’en suit une passe d’armes autour des factures afférentes au projet, IBM faisant entrer en scène BNP Paribas Factor, pour le charger du recouvrement des sommes dont il juge que la MAIF lui est redevable. Mais l’assureur estime ne rien devoir à IBM : selon lui, le contrat est nul pour deux raisons ; le dol (manœuvre d'un cocontractant dans le but de tromper son partenaire), en premier chef, et « l’exécution lourdement tardive du contrat tenant en échec la clause limitative de responsabilité. » Selon la MAIF, l'expert qu'elle a mandaté conclut d’ailleurs qu’IBM « avait sous-évalué le calendrier et sous-estimé le budget. » Bref, pour l’assureur, « la compagnie IBM France a obtenu le contrat aux termes de manœuvres consistant à faire croire à sa contractante […] qu’elle maîtrisait l’ensemble des paramètres du projet, ce qui ne pouvait pas être le cas dès lors que, par infraction aux normes et règles de l’art, elle arrêtait le projet sur la seule étude des conceptions générales, laissant à définir les spécifications détaillées dans le cadre du planning et du prix forfaitaire. » C’est sur ce point que le TGI de Niort a donné raison à la MAIF. Pour lui, IBM a pris « un risque fort pour répondre à la demande de la MAIF, c’est-à-dire obtenir le marché. »  Mais a « gardé le silence sur le risque. » Un élément qui a contribué à « caractériser une réticence dolosive qui affecte la validité du contrat. » Pire, selon le TGI, le dol a été « perpétué » à plusieurs reprises tout au long des négociations entre les parties pour la poursuite du projet.

IBM doit verser plus de 11 M€

Considérant comme nul le contrat initial – et, par conséquence, les accords qui lui ont succédé –, le tribunal a, au final, rejeté d’un revers de main les autres arguments d’IBM et notamment celui selon lequel « la MAIF a engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard d’IBM en refusant le processus de collaboration convenu » ou encore « en différant sa prise de position sur les scénarios qu’elle requérait d’IBM. » Et tant pis si, pour sa défense, IBM indique que « l'expert n'a retenu aucune manœuvre, ni aucun mensonge à charge d'IBM. » Pour l’intégrateur, « les seuls délais qui n’ont pas été respectés et au dépassement desquels la MAIF a d’ailleurs contribué concernent le calendrier initial que la MAIF a conventionnellement accepté d’abandonner par deux protocoles successifs. »

Du coup, le TGI de Niort a débouté IBM et BNP Paribas Factor de leurs demandes de recouvrement des impayés de la MAIF pour le projet et condamné IBM à restituer près de 1,7 M€ à l’assureur et à lui verser « à titre de dommages et intérêts » plus de 9,5 M€. IBM, qui a refusé de commenter ce jugement, nous a indiqué en avoir fait appel. L’intégrateur devra néanmoins payer les sommes évoquées : le TGI a ordonné l’exécution provisoire de son jugement. 

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