LinkedIn Talent Insights : Microsoft avance de plus en plus dans le SIRH

Après un Dynamics pour les RH et un service Recrutement sur LinkedIn, Microsoft va sortir un outil analytique au-dessus de son réseau social B2B pour mieux sourcer les talents. Avec un début de polémique sur le débauchage sauvage que permettrait l'outil et sur la confidentialité des données utilisées.

Microsoft est en train de prouver à ceux qui pensaient que le rachat de LinkedIn était une erreur qu'ils avaient certainement tort. Mois après mois, la stratégie du numéro 1 de l'IT se dévoile. Le fil directeur de cette stratégie est que Microsoft ne se contente pas de posséder des données : il conçoit des applications et des services qui les exploitent de manière - jusqu'ici - pertinente. Mais le dérapage n'est peut-être pas loin.

Du service CRM aux services SIRH

La première brique issue de LinkedIn concernait les commerciaux avec Sales Navigator.

Le service se propose de trouver des prospects sur le réseau social B2B en fonction de critères précis. Il met également en avant les posts et les actualités en rapport avec cette recherche commerciale.

Dans les versions les plus chères, Sales Navigator peut trouver le « chemin » le plus rapide dans son réseau (et les relations de son réseau) pour joindre un décideur / acheteur.

Deuxième brique de cette stratégie, Microsoft a lancé le service LinkedIn Recruiter.

Ce service RH, sur le même modèle que Sales Navigator, cible des talents en fonction des critères d'un poste. Et, tout comme le service CRM, il permet surtout de les contacter en direct puisque le réseau social B2B est une mine de coordonnées.

Linkedin Recruiter s'interface aujourd'hui avec quelques acteurs du SIRH dont Lumesse. Microsoft promet d'y ajouter ADP, Cornerstone, Kenexa (IBM) ou encore Ultimate Software. Et bien sûr Dynamics 365 for Talent, son SIRH maison sorti en toute discrétion en juin 2017.

Un outil d'analyse très poussée des marchés RH

Pour la rentrée, Microsoft a prévu d'ajouter une nouvelle brique à son édifice SIRH : LinkedIn Talent Insights.

En résumé, Insights donne une vision du marché des talents (disponibles ou non) en s'appuyant sur les données des profils LinkedIn. Il s'agit en quelque sorte d'une couche analytique, teintée de DataViz, au-dessus de LinkedIn.

Comme le montre la capture d'image ci-dessous, Talent Insights ne se contente pas de donner une vision globale. Il est possible de « miner » les données pour affiner les statistiques (par exemple sur les experts en électrotechnique) par région, et même par entreprise. C'est à dire chez ses concurrents.

Parmi les données, on trouve des « basiques » (nombre de personnes correspondant au profil, évolution du nombre de ces personnes, nombre d'annonces pour ce profil, etc.) et des informations plus pointues comme les taux d'attrition ou les flux d'employés (de quelles entreprises partent-ils, vers lesquelles).

L'outil permet également d'identifier les pays ou les villes où les talents sont nombreux et la demande plus faible pour mieux sourcer les postes, ou diminuer les coûts.

La fiche personnelle des talents recherchés est consultable, ce qui permet de les débaucher - ou tout du moins de les contacter en direct pour tenter de le faire.

Des béta-testeurs conquis

Plusieurs sociétés ont béta-testé LinkedIn Talent Insights. Parmi elles : Autodesk, Intuit, Synopsys ou Bloomberg.

« Dans la guerre (sic) pour les talents, j'ai besoin d'avoir toutes les informations sur mes concurrents. Et ce produit me les donne », se réjouit Amy McKee, Senior Director of Global Talent Acquisition chez Autodesk.

« Ce qui nous prenait des mois et des mois de recherche est accessible en quelques secondes », renchérit Nick Mailey, VP Talent Acquisition chez Intuit.

« Les directions métiers vont nous demander où on avait caché toutes ces infos pendant si longtemps », rigole Kristy Calcagno, Senior Director of Global Talent Acquisition chez Synopsys.

La plaisanterie montre en tout cas la puissance de l'outil et - peut-être - ce qui fera grincer des dents. Microsoft revend en effet des informations données gratuitement par des employés, mais qui peuvent générer des informations confidentielles pour leur employeurs. Il se pourrait donc qu'en réaction certaines entreprises intiment à leurs employés de ne pas publier les détails de leurs postes et de leurs compétences.

Polémiques

La polémique n'a en tout cas pas tardé à frémir. Lors du récent « Society for Human Resource Management » qui s'est tenu à Chicago du 17 au 20 juin, Eric Owski, chef de produit pour Talent Insights chez LinkedIn, a fait la démonstration de l'outil. Et la question a fusé dès la fin de son intervention : « Est-ce que cela ne favorise pas le débauchage des talents ? », lui demande une femme du public qui, sans attendre lui lance : « je pense que la réponse est oui. Pourquoi est-ce que je payerais pour un truc comme ça ? ».

Eric Owski a alors convenu que LinkedIn Talent Insight pouvait faciliter le débauchage. Mais pour lui, il n'y aurait rien de mal à rendre ces données disponibles.

Il admet néanmoins que les débats internes ont existé.

« L'équipe du projet a eu de nombreuses discussions "philosophiques" sur l'utilisation de ces données », concède-t-il. « Mais nous avons conclu que le monde devient plus transparent, et que les équipes RH très pointues des grandes entreprises étaient déjà capables de produire les indicateurs que nous mettons à disposition dans ce produit ».

« Nous pensons qu'en le concevant bien, Talent Insights permet d'uniformiser les règles du jeu », conclue Eric Owski. « Nous n'avons en tout cas pas l'impression d'être en terrain glissant ».

LinkedIn n'a par exemple pas rendu publiques les statistiques sur la diversité ou sur la parité d'une entreprise alors qu'il a les données pour le faire. Ces informations ne seront disponibles que sur des segments de marché entiers (et donc anonymisées).

Qualité de la donnée

Talent Insights utilise les données des 560 millions de membres LinkedIn. Le site recense également 15 millions d'emplois vacants et reconnait 23.000 titres de postes standardisés. « La plateforme est mondiale et ne dépend pas de données gouvernementales », vante Eric Owski.

Quelques membres de l'auditoire ont néanmoins soulevé la question de la qualité de ces données brutes. Par exemple, est-ce que les changements de profil sont un indicateur suffisamment fiable pour évaluer l'attrition avec justesse ? Et n'existe-t-il pas un biais générationnel sur LinkedIn, le réseau étant utilisé par quasiment tous les « millennials » - ce qui peut créer une surreprésentation de ces profils dans les indicateurs ?

Eric Owski ne nie pas qu'il puisse exister un « bruit potentiel dans les données », mais il estime que LinkedIn possède une base suffisamment large de profils professionnels pour « annuler ce bruit ».

API

Les prix Talent Insights seront disponibles en juillet. Microsoft laisse entendre que les clients actuels de Linkedin Recruiter pourraient en bénéficier dans un « bundle » (sans surcoût ou à tarif préférentiel ? la question reste ouverte).

Une fonctionnalité clef à venir sera la sortie d'une API qui permettra d'exporter les données de Talent Insights pour les utiliser dans les tableaux de bord des utilisateurs, sur d'autres applications. 

Avec Patrick Thibodeau de SearchHRSoftware (groupe TechTarget, propriétaire du MagIT).

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