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ESN : le télétravail augmente les tensions à l’embauche (étude)
Selon KYU Associés, entre 2020 et 2022, le télétravail a renforcé les tensions au recrutement pour les ESN françaises. Elles sont désormais concurrencées par leurs homologues internationales sur leur propre territoire. Le télétravail semble également avoir influé sur l’emploi IT en région.
Dans son baromètre consacré aux tensions au recrutement du mois de janvier 2023, le cabinet d’études KYU Associés s’intéresse aux métiers de la programmation et du conseil informatiques.
Pour cela, il a croisé les données de la DARES datant de 2021 et les informations obtenues auprès de son partenaire Textkernel et enregistrées au cours de l’année 2022. Éditeur hollandais de solutions RH pour les ESN, Textkernel agrège les données de plus de 250 sites et applications de publication d’offres d’emploi.
De fait, selon les données de l’ACOSS en 2021, « la programmation, le conseil et autres activités informatiques » est le premier vecteur d’emploi au sein du secteur du numérique en France. Les activités de conseil, d’assistance au développement et d’intégration concentrent les trois quarts des salariés, soit environ 443 200 personnes pour 25 700 organisations. Le reste de la masse salariale est réparti entre l’édition de logiciels et les SI des entreprises.
Historiquement, l’externalisation des activités IT est populaire en France. Selon les données analysées par KYU, le nombre de travailleurs dans le secteur de la programmation et du conseil IT a crû de 55 % en 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 4,5 %.
Télétravail et ESN : une concurrence internationale sur le territoire français
Depuis 2011, ces tensions seraient quatre à huit fois supérieures à l’ensemble des secteurs confondus, et 2,5 fois supérieures en 2021.
Malgré le fait que les besoins IT semblent avoir été décuplés lors du gros de la crise sanitaire, les ESN n’ont pas été épargnés, loin de là. Entre janvier et avril 2020, le nombre d’offres d’emploi publiées par ces entreprises « a chuté de 153 % […], contre 107 % pour l’ensemble des secteurs ». La reprise a été plus forte (79 % contre 65 %) que dans les autres secteurs entre décembre 2020 et juin 2021, mais « la concurrence au recrutement s’est intensifiée ».
Pour les ESN, cette concurrence peut venir des DSI des entreprises, des éditeurs locaux, mais surtout des entreprises internationales qui, à la faveur du passage forcé au télétravail, ont pu chasser les développeurs et les consultants IT en France.
« Avant la crise sanitaire, il y avait une concurrence entre les mastodontes nationaux du secteur et les plus petites entreprises », affirme Antoine Voyer, Consultant sénior politique et gestion d’emplois chez KYU Associés. « Aujourd’hui, il y a une concurrence internationale qui amplifie cette dynamique de tension ».
Entre 2 018 et décembre 2021, les salaires dans la programmation et le conseil informatiques ont augmenté de 5 %, un rythme supérieur aux autres secteurs (4 % en moyenne). À partir de juin 2021, « cette dynamique s’est inversée ».
Cette baisse peut s’expliquer par les crises successives, mais également par les efforts de fidélisation des salariés engagés par les ESN. « Les entreprises vont chercher à recruter en CDI pour fidéliser et pour contrer les effets de la tension au recrutement », explique Antoine Voyer. La part de CDI proposé dans les offres d’emploi des ESN est passée de 71 % au troisième trimestre 2019 à 80 % au troisième trimestre 2023. En revanche, les temps pleins ont légèrement baissé de 97 % à 94 % sur la même période. « Les entreprises font beaucoup d’efforts supplémentaires pour fidéliser les salariés : des parcours de formation interne, des nouveaux modes de travail (hybride ou télétravail) pour attirer les talents ».
Les potentiels impacts du télétravail sur les offres IT en région
En outre, l’équipe de KYU observe une forte croissance du nombre des offres d’emploi en Normandie (+ 88 %), en Bourgogne Franche-Comté (+60 %) et dans une moindre mesure en Occitanie (+56 %) entre les trois premiers trimestres 2021 et les trois premiers trimestres 2022.
Selon KYU, cela « peut traduire une intensification des besoins en main-d’œuvre » dans ces régions.
« Il y a une numérisation accrue dans ces territoires par rapport à l’Ile-de-France ou à l’Auvergne Rhône-Alpes, qui sont deux régions plus avancées dans ce domaine », évoque Antoine Voyer. « Par exemple, la Normandie est un territoire industriel. Les entreprises concernées ont besoin de beaucoup d’outils numériques ».
Mais il y a également une autre explication plausible. Avec le télétravail, les développeurs et les consultants IT en provenance d’Ile-de-France et d’Auvergne Rhône-Alpes semblent s’être installés dans les régions voisines, à savoir en Normandie et en Bourgogne Franche-Comté.
« Il est fort probable que les salariés se soient installés en télétravail dans ces deux régions ou que les ESN cherchent des consultants locaux qu’elles peuvent embaucher en télétravail », déclare Bernard Alberti, Associé gérant de KYU Associés.
Cette analyse ne fait pas apparaître certaines spécificités locales, comme le souligne Antoine Voyer.
En Bretagne ou dans la région Grand Est, où la croissance du volume d’offres d’emploi publié par les ESN est plus faible (respectivement + 18 % et + 27 % sur la même période), « il y a des besoins très localisés, notamment à Rennes dans le domaine de la cybersécurité et à Lannion dans le secteur des télécommunications ».
En outre, il faut prendre en compte des tendances spécifiques à certains métiers. KYU Associés observe que les tensions liées aux professions de la production, d’exploitation et de maintenance proviennent en autres d’une « inadéquation géographique » entre l’offre et la demande.
Une stagnation du marché du conseil et de la prestation IT
Malgré ces tensions toujours importantes au début de l’année 2023, le marché de la prestation informatique n’est pas au meilleur de sa forme. « Depuis la deuxième moitié de 2022, nous observons une stagnation des offres d’emploi », indique Antoine Voyer.
La guerre en Ukraine, l’inflation et la crise énergétique jouent en défaveur des ESN. « Ces éléments ont pu ralentir le recours à la prestation informatique puisque c’est souvent une des premières sources de dépenses qu’on va pouvoir ralentir en période de difficultés économiques », signale le consultant.
À court et à moyen terme, « cela pourrait infléchir les tensions au recrutement ou les faire atteindre un palier ». KYU Associés mise davantage sur la stagnation des tensions, plutôt qu’un véritable ralentissement. « Le volume d’offres d’emploi publiées par les ESN est actuellement supérieur à celui que nous observions à la même période en 2020 », assure-t-il. Il n’y a donc pas d’arrêt des projets IT les plus importants.
Dans son étude prospective « Métiers 2030 : quelles perspectives de recrutement en région », la DARES estime que les mouvements migratoires des ingénieurs en informatique, présentement « surreprésentés en Ile-de-France et Auvergne Rhône-Alpes » ne couvriront pas les besoins des régions voisines en 2030. En clair, télétravail ou non, sans la fourniture d’une offre de formation adaptée, la pénurie de talents risque de ralentir la transformation numérique des entreprises et administrations.