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À Kiev, récit d’une DSI en guerre

L’équipe informatique de la mairie de Kiev est confrontée à des défis sans précédent, mais elle est déterminée à utiliser son expérience pour permettre à l’Ukraine de se relever une fois la guerre terminée.

Transformer un service de réservation de transport en système d’alerte en cas de raid aérien ne fait pas partie des tâches habituelles d’un DSI. Et pourtant. C’est ce que l’équipe IT de la mairie de Kiev a dû faire dès les premiers jours de l’invasion de l’Ukraine.

Quand les chars russes sont entrés en Ukraine en février et que les missiles ont commencé à s’abattre sur les villes, l’équipe n’a pas eu d’autre choix que d’innover. Sa riposte face au conflit lui a apporté une expérience à nulle autre pareille.

Oleg Polovynko, DSI à la mairie de Kiev, explique que les problèmes à résoudre sont intimement liés aux administrés.

« C’est notre réalité maintenant. Notre défi consiste à gérer la population, et à améliorer sa sécurité et sa qualité de vie », déclare-t-il. « Toutes nos solutions offrent un moyen rapide et fiable de communiquer avec les citoyens, car tout peut arriver, qu’il s’agisse d’une épidémie, d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle. »

La sécurité des femmes, des enfants et des hommes avant tout. Tel est son mot d’ordre. D’ailleurs, une des premières tâches de son équipe a été de développer rapidement un système pour avertir la population quand des missiles sont en approche.

Des services essentiels

À partir de l’application mobile Kiev Digital, lancée en janvier 2021, et qui proposait des services de billetterie, de stationnement et d’informations municipales, l’équipe a donc créé une application « de temps de guerre ». À l’époque, la sirène d’alerte de Kiev ne couvrait qu’environ 30 % de son territoire.

« Le service d’information sur les transports disposait déjà de la fonctionnalité de notification, mais malheureusement elle n’était pas conçue pour envoyer des notifications à l’ensemble de la base d’utilisateurs, qui compte des millions de personnes », raconte Victoria Itskovych, DSI adjointe. Qu’importe. L’équipe a apporté les modifications nécessaires et mis en place le système en quelques heures.

D’autres services ont rapidement suivi. La population avait besoin d’aide pour ses besoins essentiels. « Après le service de notification des raids aériens, nous avons lancé d’autres services dans l’application, notamment des informations sur les lieux où les habitants pouvaient sans danger acheter de la nourriture et des médicaments », illustre Victoria Itskovych.

Quand la guerre a commencé, tout a fermé. Puis les magasins ont rouvert petit à petit, souvent quelques heures par jour seulement, et il n’y avait aucune source d’information sur ce qui était ouvert et à quel moment, justifie-t-elle.

« Nous avons lancé un canal avec des informations actualisées intégrées à une carte. Après les pharmacies, nous avons lancé un service pour acheter de la nourriture, accéder à des points d’eau, des centres médicaux, des stations-service, etc. Des éléments de base pour la vie quotidienne ».

Le projet suivant a consisté à développer un service pour les petites entreprises qui, pour des raisons de sécurité, avaient dû fermer précipitamment après l’invasion, et qui rouvrent petit à petit. « Nous les avons placées sur une carte pour dire aux gens qu’elles étaient ouvertes », continue la co-DSI. « Cette action a remporté un grand succès. »

Victoria Itskovych précise que ce service a toujours été prévu pour être temporaire. Aujourd’hui, les citoyens se tournent à nouveau vers Google Maps. « Ce service touche à sa fin, mais dans les premiers mois [de la guerre], il était vraiment essentiel », assure-t-elle.

Rester connecté

Tout aussi essentielle, et encore aujourd’hui : la connexion Internet. Dans les premiers mois de la guerre, le conseil municipal a mis en place un service pour maintenir une connexion, même dans les abris antiaériens.

« Ceux qui n’avaient pas quitté Kiev étaient obligés de se réfugier dans des abris, la plupart du temps en sous-sol, et dépourvus de connexion. Nous avons créé une plateforme sur laquelle les personnes dans les abris déposaient une demande de connexion et des FAI leur répondaient », explique Victoria Itskovych.

La plateforme de mise en relation des demandeurs et fournisseurs couvrait 815 abris aux premiers mois de la guerre. Les entreprises de télécommunications offraient le service gratuitement, permettant aux gens d’envoyer des messages à leur famille et à leurs amis pour les informer qu’ils étaient en sécurité.

Au début de la guerre, une quarantaine de personnes travaillaient pour l’IT de Kiev. « L’un des principaux soucis a été de garantir leur sécurité. La plupart vivent dans la région de Kiev et beaucoup ne pouvaient pas venir travailler », se souvient Victoria Itskovych.

Avant l’invasion russe, la municipalité avait déjà prévu de lancer la transformation digitale de ses services, et le projet de création d’une smart city avait commencé au niveau du système d’information et de réservation des transports. L’application offrait également des services de cyberdémocratie, par exemple en permettant aux citoyens de donner leur avis sur les dépenses liées aux projets de la ville et de voter pour déterminer ceux qui seront financés.

Autre volet de la stratégie numérique de la ville : les pétitions électroniques. « Bien sûr, les pétitions existaient auparavant, mais en les intégrant dans Kiev Digital, nous les avons mises à la disposition de tous les administrés. Maintenant, c’est plus facile et il y a plus de pétitions », ajoute Victoria Itskovych.

« Notre objectif est de parvenir à 100 % de services électroniques. »
Oleg PolovynkoDSI à la mairie de Kiev

Pour l’avenir, le DSI Oleg Polovynko indique que le conseil municipal de Kiev souhaite mettre à profit l’expérience acquise pour améliorer la vie de tous les citoyens. « Nous souhaitons obtenir un retour sur la qualité, mais également donner plus de pouvoir à la population et lui fournir plus de solutions en réponse à ses besoins. »

Il précise que cette démarche passe par le plus grand nombre possible de canaux permettant aux gens de communiquer leurs besoins au conseil municipal. « Notre objectif est de parvenir à 100 % de services électroniques », affirme Oleg Polovynko.

Cet objectif est soutenu par un autre grand projet, appelé Diia. L’application Diia est un projet national qui couvre toute l’Ukraine. Lancée en octobre 2020 par le ministère de la Transformation numérique, elle fournit des documents électroniques comme les permis de conduire, passeports, tests Covid ou encore certificats de naissance sur les smartphones des citoyens. Actuellement, environ 16 millions de citoyens utilisent l’application qui, pendant le conflit, permet à des personnes déplacées d’accéder à leurs documents.

Cybermenaces

Même si elle n’est pas sur le champ de bataille, l’équipe IT de Kiev est bel et bien au cœur d’une guerre, moins sanglante, mais tout aussi stratégique.

« On a la même guerre dans le cyberespace que dans le monde physique », confirme Victoria Itskovych. « Des cyberattaques massives ont été lancées juste avant l’invasion : les Russes voulaient semer le désordre dans notre infrastructure pour que nous soyons tellement occupés à la réparer que nous ne remarquerions pas les piratages. C’est en partie notre infrastructure hétérogène qui nous a sauvés. Nous n’avons subi aucune fuite de données. »

« C’est en partie notre infrastructure hétérogène qui nous a sauvés. Nous n’avons subi aucune fuite de données. »
Victoria ItskovychDSI adjointe, mairie de Kiev

Pour se concentrer sur le maintien en fonctionnement des systèmes essentiels, certains systèmes municipaux de moindre importance ont été délibérément arrêtés. « Quand votre pays est attaqué, vous n’avez pas besoin de tous vos services, alors nous en avons temporairement fermé certains qui n’étaient pas nécessaires pour pouvoir les renforcer et améliorer notre sécurité », explique Victoria Itskovych.

L’attaque russe a aussi amené la communauté informatique ukrainienne à se rassembler pour soutenir l’effort de guerre. « Dès le premier jour, les professionnels de l’IT, ici en Ukraine, ont commencé à former de petits groupes pour essayer de faire des choses. Notre “IT Army” a été créée afin de fédérer les informaticiens désireux de contribuer à la défense du pays », explique-t-elle.

Être encore plus fort demain

Optimiste et décidée, la DSI de Kiev regarde déjà l’avenir. « Après la guerre, nous serons plus forts, car les épreuves rendent plus forts », veut croire Victoria Itskovych. « Après notre victoire, il y aura une accélération technologique et nous aurons beaucoup de travail pour tout reconstruire. Nous avons besoin d’argent, mais nous ne pouvons pas compter éternellement sur les autres pays, alors nous devons produire. Les technologies de l’information peuvent devenir l’une de nos principales exportations. Elles l’étaient déjà avant la guerre, mais cette proportion est appelée à augmenter. »

Propos recueillis par nos confrères de Computer Weekly, groupe TechTarget, également propriétaire du MagIT.

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