Guerre en Ukraine : une relocalisation des développeurs à marche forcée

Les entreprises ayant recruté des développeurs ukrainiens font leur possible pour relocaliser les employés qui le veulent et le peuvent. À long terme, les sociétés IT et les DSI devront revoir leurs plans de résilience à l’aune du conflit russo-ukrainien, selon Gartner.

Lorsque l’éditeur de jeu vidéo lituanien Nordcurrent a lancé deux studios en Ukraine, dont un pas plus tard que décembre, la tâche de relocaliser les employés en temps de guerre était impensable.

Aujourd’hui, c’est une opération en cours en pleine invasion russe. « Nous nous attendions à tout sauf à ça et, jusqu’au jour où cela s’est produit. Nous pensions que rien de tel n’était possible au XXIe siècle », affirme Victoria Trofimova, PDG de Nordcurrent.

Jusqu’à présent, Nordcurrent a relocalisé 25 développeurs ukrainiens, ainsi que des membres de leur famille et des amis, à Vilnius, capitale de la Lituanie et siège de Nordcurrent. L’entreprise emploie 120 personnes dans ses studios de Dnipro et d’Odessa.

« Nous avons proposé à tous nos employés de les aider à déménager », déclare Victoria Trofimova.

Tout le monde ne souhaite pas déménager, ajoute-t-elle, notant, par exemple, que certains employés ont rejoint la défense territoriale ukrainienne. Pour ceux qui veulent partir, Nordcurrent prend les dispositions nécessaires via des sociétés de transport ukrainiennes. Les employés et les familles sont déposés à la frontière lituanienne. Nordcurrent envoie un bus pour la dernière étape du voyage vers Vilnius. Il faut compter environ 15 heures de route, au total, depuis Dnipro ou Odesa.

L’arbre qui cache la forêt

De nombreuses sociétés IT et ESN se trouvent dans la situation de Nordcurrent, à des degrés divers. L’embauche de développeurs ukrainiens permet aux entreprises de combler le manque de talents dans le domaine des technologies. Mais la perturbation provoquée par la guerre s’étend également à la Russie et la Biélorussie. Gartner estime qu’approximativement 250 000 personnes dans ces pays travaillent pour des prestataires de services informatiques qui servent des clients en dehors de la région.

Gartner cite EPAM Systems, la société Luxoft de DXC Technology et SoftServe parmi les sociétés de conseil et d’externalisation qui emploient des salariés dans la région. Selon Gartner, des entreprises telles que Bosch, Nestlé et Siemens possèdent des centres de recherche et de développement dans les zones touchées.

« La plupart des entreprises non ukrainiennes possédant des centres de développement en Ukraine ont proposé des programmes pour les transférer dans d’autres pays », déclare Neil Barton, vice-président de l’équipe Technology and Service Providers de Gartner.

Il cite la Pologne comme exemple, en indiquant que le pays était un centre technologique proche. Le nombre de développeurs en déplacement n’est toutefois pas particulièrement élevé, nuance-t-il. Les gens ont choisi de rester et de se battre, ou sont contraints de le faire du fait de la mobilisation générale des hommes de 18 à 60 ans.

La guerre exacerbe la pénurie de talents

Les talents techniques, difficiles à trouver dans des circonstances normales, le seront encore plus si la guerre en Ukraine se poursuit.

« Il était difficile de trouver des gens il y a trois semaines », indique Neil Barton. « L’offre était tendue même avant cet événement ».

L’effet sur les fournisseurs de technologie variera en fonction de leur dépendance à l’égard des développeurs de la région et selon qu’ils avaient préparé un plan d’urgence. Selon Gartner, les entreprises de services informatiques dont les développeurs se trouvent principalement en Ukraine et qui ne sont pas suffisamment préparées peuvent s’attendre à une interruption de leurs activités pendant 3 à 6 mois, le temps de trouver des développeurs ailleurs ou de les relocaliser. Le cabinet d’études estime que seulement 1 à 2 % des entreprises ayant des développeurs dans la région entrent dans cette catégorie.

Cependant, même les entreprises technologiques ayant une exposition minimale dans la région seront confrontées à un défi croissant pour retenir les développeurs, note Gartner. Les entreprises qui recrutent des talents en ingénierie logicielle peuvent s’attendre à payer plus cher, prévient M. Barton.

Actualiser les stratégies de résilience, une nécessité

La pandémie de COVID-19 a amené les entreprises à revoir leurs plans de continuité des activités. Nombre d’entre elles sont peut-être en train de les dépoussiérer, une fois de plus, en raison de la guerre et de ses effets sur la partie humaine de la chaîne d’approvisionnement.

« Les chaînes d’approvisionnement mondiales peuvent être aussi bien fragiles que très efficaces », déclare Neil Barton. « C’est le deuxième choc sismique que le système a subi en deux ans ».

Les entreprises qui s’appuient sur des développeurs, qu’il s’agisse d’entreprises ou d’intégrateurs de systèmes à l’échelle mondiale, peuvent appliquer quelques stratégies pour renforcer leur résilience. L’analyste de Gartner met en garde les organisations du fait qu’aucune d’entre elles ne fonctionnera du jour au lendemain, mais qu’elles peuvent contribuer à améliorer la situation au fil du temps :

  • Recruter des développeurs de logiciels dans votre propre pays, en vous concentrant sur les personnes ayant des antécédents non traditionnels. Neil Barton suggère d’embaucher et de former des travailleurs en dehors du domaine de l’IT. Les gens changent de carrière en milieu de vie, en particulier dans les anciens bassins manufacturiers où les emplois peuvent manquer.
  • Investir dans des plateformes de développement low-code. Ces outils permettent de développer des logiciels plus rapidement – et avec un niveau d’expertise plus faible – qu’en écrivant du code à partir de zéro en C++, poursuit l’analyste. Il recommande aux services IT d’examiner si les futures applications peuvent être créées à l’aide de la technologie low-code, plutôt que dans un environnement de développement classique.
  • Utiliser l’apprentissage automatique pour stimuler la productivité des développeurs de logiciels. M. Barton considère le machine learning comme une approche à plus long terme, mais il remarque que le nombre de produits et de plateformes a augmenté au cours des deux dernières années. Les outils assistés par le ML apprennent des pratiques de programmation d’un développeur et font des suggestions pour améliorer l’efficacité ou éviter aux développeurs d’introduire d’éventuels bugs. Plusieurs outils dont GitHub sont déjà testés ou utilisés dans un cadre professionnel par les développeurs.

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