La formation (continue) à l'heure des Mooc's émissaires

Portée par la plate-forme FUN, la première vague francophone de cours en ligne ouverts à tous (Mooc's) a séduit majoritairement hors milieu étudiant.

Un début prometteur: depuis son lancement en octobre 2013 sous l'égide du ministère de l'enseignement supérieur, France Université numérique (FUN) comptabilise quelque 300 000 inscriptions pour 36 Mooc's (Massive Open Online Courses, ou cours en ligne ouverts à tous) conçus par 16 écoles et universités. Certes, un bilan d'un facteur 20 inférieur à celui des précurseurs, les plates-formes américaines Coursera, edX ou Udacity. Mais suffisamment encourageant pour que les enseignants pionniers fassent des émules.

Représenté dès la première vague avec deux Mooc's ouverts en 2013 par Télécom Paristech, l'Institut Mines-Télécom, qui a triplé la mise en 2014 (trois au second semestre), en prévoit dix pour 2015. Autant que les 8 000 inscriptions enregistrés pour chacun des deux cursus qui viennent de clore (principes des réseaux de données, introduction aux réseaux mobiles), la bonne surprise, selon Nicolas Sennequier, directeur de la stratégie de l'Institut, vient de l'adhésion croissante du corps enseignant au « massivement ouvert ». 

Deux-tiers de plus de 25 ans

Plus instructif encore, le fait que 64% des inscriptions aux Mooc's de FUN, toutes disciplines confondues, s'enregistrent dans la tranche d'âge des 25-50 ans. Preuve, s'il en faut, que la spécificité de ce mode de formation – gratuit, en format court étalé sur un ou deux mois, qui peut être suivi     de façon anonyme, sous pseudo– répond aux besoins de formation continue et aux attentes des « lifelong learners ». Mais preuve aussi, à l'inverse, que la faible adhésion (14% des inscriptions) des moins de 25 ans (étudiants ou non) pose question quant à l'objectif de démocratisation de l'accès au savoir. D'autant plus que, selon le bilan d'étape présenté fin mai à la commission Education et Culture du Sénat par Catherine Mongenet, responsable du programme FUN au ministère de l'Education, les plus diplômés sont largement majoritaires dans l'audience des Mooc's : 52% de niveau bac+5 et plus, 16% de bac+3, 11% de bac+2.

Que le score des Mooc's reste faible en milieu étudiant peut notamment se justifier par le fait qu'ils constituent un phénomène marginal «dans un environnement déjà largement structuré par le numérique », comme le soulignait, devant la commission sénatoriale, Thierry Danquigny, responsable du service multimedia de l'université de Lille-1. A l'échelle nationale, plus de 200 cursus de licences et masters diffusent des contenus en ligne auprès de leurs étudiants, rappelle Claire Danon, chef de projet de la mission numérique de l’enseignement supérieur au ministère. Par ailleurs, les thématiques des 36 premiers cours sur FUN peuvent aussi en partie expliquer le faible impact auprès des jeunes générations et des non diplômés. Confirmation de Télécom ParisTech : au terme du cours sur les réseaux de données (niveau fin de licence), parmi les 2 400 qui ont suivi tout ou partie du cursus (30% des inscrits) dont 20% de bac+2, ces derniers ont du s'accrocher pour tenir le rythme.

Produit émissaire pour les écoles/universités et pour des start-up

Même à haut niveau, l'interactivité – à coup de forums, d'échanges voire d'évaluation entre pairs – qui fait la force de Mooc's bien conçus, ne rime pas forcément avec assiduité. L'an dernier, les deux sessions du Mooc gestion de projets (Centrale Lille) ont totalisé quelque 8 000 inscrits, dont une bonne moitié a persévéré, moins d'un sur quatre allant jusqu'à l'obtention d'un certificat. Certificat qui, au final, a pu se traduire en crédits universitaires pour 113 participants. Il n'empêche: la démonstration est faite qu'au delà de l'effet de mode, sur lequel ne se prive pas de miser la concurrence américaine, la sphère universitaire francophone s'y met sérieusement. En attendant de pouvoir évaluer objectivement le retour d'expérience, notamment ce que cela peut apporter et changer dans les pratiques de l'enseignement initial (classe inversée, pédagogie différenciée, etc).

Le Mooc IT, produit d'appel

Les 16 établissements et leurs enseignants qui ont saisi d'emblée la proposition de FUN d'y aller groupés ne s'y trompent pas. Un Mooc promu sur cette plate-forme institutionnelle a tout d'un produit émissaire montrant que l'on peut apprendre et que l'on sait enseigner autrement. Un produit d'appel valorisant en quelque sorte leur offre de formation initiale et continue. A cet égard, l'informatique, le numérique et l'innovation sont des thématiques particulièrement propices à cette démonstration. Exemple : le Mooc de programmation iOS proposé depuis le 28 avril et pour dix semaines par l'université parisienne UPMC (Université Pierre et Marie Curie).

Le secteur privé, lui aussi, ne s'y trompe pas. Un Mooc, à la différence du e-learning classique (ou de la simple mise en ligne d'un contenu), crée l'événement. Son succès (l'interactivité) dépend, d'ailleurs, de cette touche marketing. Touche avec laquelle le secteur IT et le numérique sont particulièrement ciblés. En témoigne le foisonnement de cours pour informaticiens (en herbe ou confirmés). En avril, SAP annonçait un Mooc sur Hana in-memory (début de session le 12 juin, en anglais, pour six semaines). L'initiative d'Orange (plate-forme Solerni, construite sur de l'Open Source éprouvé dont Claroline Connect), avec un premier Mooc (Digital vivons le ensemble) orienté grand public, semble pour l'instant au stade expérimental. Chez OpenClassRooms (anciennement site du zéro), dont l'aventure ne date pas d'aujourd'hui, le catalogue aujourd'hui (800 titres) mêle simples cours en ligne et Mooc's (interactivité en plus). Programmation, là encore, en vedette (C++, Java, UML ou Video Unity pour les « gamers »).

Un laboratoire connectiviste...

Les contraintes pédagogiques ? « Il n'y en a plus guère », avance Nicolas Sennequier (Mines-Télécom). Cours ou TD, tous les contenus peuvent potentiellement gagner à être ainsi médiatisés et à profiter des ressources de l'interactivité. Hormis les TP à base de « manip »  ou des sujets relevant de comportement. Et encore! Simulation aidant, le formateur peut avoir prise directe à distance sur l'équipement de l'apprenant, comme cela se fait en programmation, par exemple. Les contraintes techniques ? On l'a vu : le terrain est loin d'être vierge. C'est d'ailleurs, ce qui a facilité un lancement relativement rapide de la plate-forme et des premiers contenus sur FUN. Pour rappel, après un amorçage du chantier confié à l'Inria, pour s'approprier la technologie d'edX, le développement de la plate-forme et son hébergement, depuis son lancement opérationnel en octobre dernier, sont confiés au Cines (Centre informatique de l'enseignement supérieur) de Montpellier et les connexions à Renater. Pour les contenus, à l'UPMC comme à Télécom ParisTech, par exemple, les Moocs sur iOS ou sur les réseaux s'appuient sur des cours rodés dans les cursus de master, moyennant une scénarisation et un gros travail de production multimédia (videos et alternance de séquences courtes et de périodes d'exercice). Reste la contrainte technique d'accessibilité. Notamment pour les publics hors Hexagone (12% d'inscrits sur FUN depuis le Maghreb et l'Afrique subsaharienne francophone), pour lesquels certains contenus sont passés de la video à l'audio.

… et dans son sillage des start-up's

Contrainte technique et pédagogique allant de pair, c'est aussi ce qui permet l'innovation pédagogique autour des Mooc's, constituant une sorte de laboratoire « connectiviste ». Un laboratoire qui, là encore, fait contagion. Le guide des Mooc's francophones proposé par le site Digischool en fait état avec quelque 120 Mooc's (tous types confondus) recensés à ce jour.

Car le secteur privé (notamment via des start-up's),en France comme ailleurs, est aussi de la partie. Dans certains cas, sous couvert de complicité voire de partenariat public-privé tacite. La start-up Unow, partenaire de Centrale Lille, depuis la conception du Mooc gestion de projet (déjà cité) en est  l'avatar type. Avec une offre ciblant autant l'enseignement supérieur que les entreprises. Les Mooc's ont en effet leur déclinaison privée. Avec les Cooc (Corporate Open Online Courses) ou les Spoc (formation en ligne, synchrone, privée et sur mesure). Un marché en devenir ? A voir, car l'équation économique de ces initiatives est loin d'être simple. Ni résolue, même aux USA, même à coup de millions de dollars et d'apprenants, comme le relate très pertinemment sur le site ParisTechReview, Pierre Dubuc, co-fondateur d'OpenClassRooms.

Sous contrainte financière

Public ou privé, reste en effet la contrainte financière, non la moindre. Sachant que le coût de conception-réalisation d'un Mooc (« à l'état de l'art », précise Nicolas Sennequier) s'évalue entre 30 000 et 100 000 euros (selon le degré de reprise des contenus, et que l'on considère le coût marginal ou le coût complet, charges de personnel inclues). Sachant de plus que, question réutilisation, 50% des coûts sont non récurrents (pour une seconde session montée autour d'un même contenu, le coût de mise en œuvre est divisé par deux). Pour l'enseignement supérieur, l'Etat y met son grain de sel. Qui devient grain de sable dès lors que les fonds promis tardent à être débloqués. De 12 millions d'euros annoncés lors du lancement de FUN (oct 2013), certes « mobilisables par vagues » selon les termes du ministère, devenus 8 M€ en janvier 2014, seule la mobilisation de 3 M€ dédiés à l'équipement de studio (fabrique de Mooc's) sur les campus vient de se concrétiser par un appel à projets. Les 5 M€ ciblés a priori sur la création d'un fonds pour le co-financement de la conception de Mooc's sont encore virtuels. Pour les établissements – à part le mécénat, comme le pratique Patrick Drahi (Altice-Numéricable, repreneur de SFR) à l'égard de l'Institut Mines-Télécom, 10 M€ à l'appui –, les pistes d'apport de ressources s'orientent vers la formation professionnelle continue. Mais quelles pistes ? Certifications payantes ? Valorisation de produits dérivés ? De briques de Mooc's ? De e-books ? De services ? Effet démultiplicateur ? (à l'image des Mooc's pour futurs Mooqer's, qui existent déjà sous l'appellation de MoocCamp ou de Moocathon) ? « Tout reste ouvert...Les prochaines années seront décisives », conclut Pierre Dubuc.

 

 

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