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Tristan Nitot, un homme libre de l’informatique passé au vert
Comme tant d’autres, Tristan Nitot a découvert l’informatique adolescent. Itinéraire hors normes d’un gamin bidouilleur des années 80 qui devient un lanceur d’alerte sur les services des GAFAM et citoyen éclairé de la protection de nos données et libertés individuelles.
Entre éclats de rire, introspection, et réflexion, le contact s’établit facilement avec Tristan Nitot dans son appartement haut perché du 15e arrondissement.
Sympathique et cordial, ce gaillard d’1m86 se confie sur son parcours. C’est celui d’un gamin bidouilleur passionné d’informatique dans la campagne normande, devenu un pionnier de l’Internet en France, citoyen conscient et engagé sur les grands débats actuels : la protection des données personnelles, l’Europe, mais surtout le réchauffement climatique et l’évolution à haut risque de la planète. L’itinéraire d’un gentil frondeur qui, après des expériences professionnelles aussi multiples qu’enrichissantes, se pose en adulte mature pour réfléchir à sa condition de citoyen du monde. Avec une ligne rouge : ne jamais transiger avec sa liberté d’homme, le respect d’autrui et de notre environnement.
L’itinéraire de Tristan Nitot commence dans les années 80, en « bidouillant » un peu tout ce qui lui tombe sous la main : « un TRS-80 qu’on m’avait prêté et avec lequel je commence à programmer, un Sinclair ZX-81, enfin un Apple II ». Ce dernier est connecté, au grand dam de son père, à la ligne téléphonique du foyer : nous sommes au début des années 80.
Pour qui a connu les débits des modems de l’époque, on imagine assez facilement le niveau de rogne de son père « qui piquait des crises » sur le gamin scotché à son ordinateur et à l’unique ligne de téléphone dans la salle à manger pendant des heures. « Avec le recul, je me dis que mon père a été plutôt tolérant », sourit Tristan Nitot.
L’informatique, le premier espace de liberté
« À cette époque, on découvrait l’informatique par des groupes de passionnés. C’est comme ça que l’on se rencontrait et que l’on échangeait avec un autre milieu que le foyer familial ou les copains d’école. Pour un gamin vivant dans la banlieue de Rouen, c’était un espace nouveau de liberté », explique Tristan Nitot. Nouveauté, liberté et espace : Tristan Nitot vient de lâcher les trois mots qui définissent à eux seuls son parcours… et quelque part, sa vie.
Ses parents déménagent alors à Paris. Tristan Nitot découvre le Centre Mondial de l’Informatique et Ressource Humaine, un centre de recherche situé avenue Matignon et fondé par Jean Jacques Servan-Schreiber. Soutenu par François Mitterrand, ce centre de recherche, actif de 1981 à 1986, était ouvert au grand public et enseignait la programmation en LOGO à des enfants.
« C’était un endroit magique, avec des ordinateurs en libre-service. C’était un web café avant l’heure, mais aussi un forum, une communauté, un lieu de convivialité, où passionnés et chercheurs se croisaient et s’aidaient ans un esprit bon enfant. On pouvait y rencontrer notamment des chercheurs du MIT », se souvient Tristan Nitot.
Son parcours semble tracé : il sera informaticien. Diplômé Sup Info (une des premières écoles d’informatique à l’époque), il fait, sans trop de conviction, « une coopération comme professeur d’informatique au Grand-Duché du Luxembourg ».
Il commence sa carrière chez Partner Soft, sur un poste d’avant-vente qui lui donne l’occasion de découvrir le business de l’informatique. Ce travail, facilement rémunérateur, lui donne des bases d’entrepreneuriat et de négociations qui lui seront utiles, mais il sait déjà que la vraie vie n’est pas là.
Pionnier de l’Internet en France
Tristan Nitot lit un jour, sur le site francophone de Netscape, une annonce pour le poste de marketing manager. Nous sommes en 1997, aux débuts de l’Internet grand public. Il tombe, avec bonheur, dans la grande marmite du Web, et n’en sortira plus. « Il faut imaginer », explique-t-il, « ce que représente à l’époque, au moment où le monde découvre Internet, pour un Français, le fait de travailler pour une boîte comme Netscape en France ».
Tout est à inventer, à construire : les relations publiques, les partenariats, expliquer Internet au plus grand nombre. Il fréquente les pionniers et les grands noms du Web, de Jim Clark (fondateur de Silicon Graphics) à Richard Stallman. Des rencontres qui marquent forcément le jeune « French Guy » qu’il est encore.
Avec Netscape s’ouvre pour Tristan Nitot la grande aventure de Mozilla. L’ouverture du code source pour donner accès au plus grand nombre de programmeurs et d’utilisateurs, afin de créer des innovations pour le progrès collectif, est fondatrice pour comprendre le parcours de Tristan Nitot, et il en parle avec beaucoup d’émotion. Il dirige, bénévolement, Mozilla Europe – « dans mon salon », précise-t-il – et travaille sur les applications « libres » de Mozilla : Firefox, Thunderbird.
Tristan Nitot, lanceur d’alerte ?
Récapituler toutes les aventures entrepreneuriales et citoyennes de Tristan Nitot à cette période donnerait facilement le tournis : il est successivement (voire en même temps !) évangéliste et co-fondateur de la Fondation Mozilla, Membre du Conseil National du Numérique (de février 2013 à janvier 2016), Chief Product Officer de Cozy Cloud, CEO par intérim de Qwant (de septembre 2019 à mars 2020), membre du Comité de Prospective de la Cnil depuis octobre 2015, conférencier indépendant engagé pour les données personnelles, mais aussi l’informatique verte, la protection de la terre et la lutte contre le réchauffement climatique, notamment en animant un blog et un podcast qui ne passe pas inaperçu, « L’Octet Vert ». Et en septembre, il est devenu Sustainability Lead (que l’on pourrait traduire par responsable du développement durable) de Scaleway (groupe Iliad).
C’est dans son recueil issu de son blog « Surveillance:// », publié en 2016 chez C&F, que l’on peut lire les convictions citoyennes de Tristan Nitot en matière d’évolution de l’Internet et des données personnelles (en plus d’une mine de trucs & astuces pour anonymiser son ordinateur et ses navigations).
« J’aime l’informatique, j’aime Internet, et j’aime ce qu’ils me permettent de faire. Pourtant il y a un malaise. […]. Je réalise que ce n’est plus moi qui contrôle mon ordinateur ni mon smartphone », écrit-il, deux ans avant le scandale Cambridge Analytica, où, pour la première fois, le monde semble s’émouvoir de l’omniscience de Facebook sur le contrôle et la manipulation de nos données personnelles.
De la protection des données personnelles à celle de la planète
De là date un engagement citoyen jamais démenti, jamais renié, de Tristan Nitot, pour la protection d’un espace commun de libertés, d’innovation et de communauté où l’échange d’information est bienveillant et gratuit. Cet engagement cimente une réflexion qu’il met aujourd’hui en pratique, pour la protection d’un autre espace commun : la Terre et ses ressources.
À propos de sa nomination chez Scaleway, il écrit ainsi : « ça fait pile-poil 4 ans que j’ai reçu un électrochoc qui m’a fait (re)prendre conscience de l’urgence climatique. Quatre ans que j’essaye de faire ce que je peux pour que nous prenions collectivement le virage climatique ». Alors pour lui, ce nouveau poste est « un challenge, bigrement excitant » qui lui offre « un alignement entre ce qui me préoccupe, ce qui m’intéresse, ce que je sais bien faire, ce dont le monde a besoin, et mon emploi ! »
Et de conclure : « je viens d’atteindre un but très important pour moi ».