Sunil Abraham, CIS : "Avec l’e-G8, Sarkozy restreint la liberté d’expression"

Le débat continue de faire rage en Inde au sujet d’une nouvelle législation posant des limites floues et, selon certains, potentiellement dangereuses, à la liberté d’expression sur Internet. Et alors que s’ouvre à Paris l’e-G8, sur fond de polémiques autour des intentions de son principal supporteur, le président de la République Française, Nicolas Sarkozy, Sunil Abraham, directeur exécutif de l’ONG Center for Internet & Societies, a accepté de partager son regard sur l’événement, depuis Bangalore.

LeMagIT: L’Inde vient de se doter d’une nouvelle législation relative aux technologies de l’information et de la communication. Que dénoncez-vous dans cette législation ?

Sunil Abraham: Il y a trois principales préoccupations, pour la société civile. Tout d’abord, cette nouvelle législation va au-delà de son périmètre légitime et définit des limites vagues et inconstitutionnelles à la liberté d’expression sur Internet. Par exemple, un discours dénigrant, relevant du harcèlement, blasphématoire ou haineux n’a jamais été criminel ou considéré comme tel par la justice indienne. Mais du fait de cette nouvelle législation, cela peut être puni de 3 ans de prison. Ensuite, ces règles introduisent un biais contre la participation citoyenne à toute forme de publication en ligne, en particulier dans les médias sociaux ou la production de contenus collective. Ainsi, une fois qu’un ordre de retrait a été notifié, le contenu contestable visé doit être supprimé dans un délai de 36 heures. Ou c’est l’intermédiaire concerné qui est susceptible de voir engagée sa responsabilité. De grandes entreprises telles que Google seront en mesure de gérer de telles injections et d’engager des procédures en justice mais de simples individus seront écrasés par la censure privée sans application équitable de la loi. En outre, les individus ne seront pas notifiés de l’application d’une telle censure et aucune pénalité n’est prévue pour ceux qui abuseraient du système en émettant des ordres de retrait de contenu en masse de manière automatisée. Enfin, l’État a créé un système de surveillance à plusieurs niveaux impliquant cyber-cafés, FAI et fournisseurs de services en ligne. Les garde-fous sur les réquisitions judiciaires émises par les agences de renseignement ont été dilués. La rétention de logs redondante à plusieurs niveaux fournit en outre des cibles multiples avec des vulnérabilités multiples aux criminels à la fois au sein et en dehors de ces institutions. Les violations de la vie privée vont se multiplier et ne feront que distraire les agents du renseignement de leurs missions de fond pour lutter contre la criminalité et le terrorisme.

En clair, nous pensons que ces nouvelles règles vont réfréner la liberté d’expression sur Internet en Inde en stimulant l’auto-censure, la censure privée et la surveillance. Cela va nuire à l’exercice démocratique, à la liberté des médias, et à la transparence des institutions publiques, à la culture et à la créativité, à la recherche et au développement, et enfin - mais ce n’est pas rien - à l’entrepreneuriat.

LeMagIT: Dans un contexte de suspicion sur les objectifs du forum e-G8, et avec la perspective de la nouvelle législation indienne, quel regard portez-vous sur le sommet international qui s’ouvre ce mardi 24 mai en France ?

Sunil Abraham: Nicolas Sarkozy et les nations développées de l’Ouest ont complètement perdu leur légitimité morale dans le débat sur la liberté sur Internet. Leur duplicité et leur double-langage ont été mis en lumière - d’un côté, ils critiquent la Birmanie, l’Arabie Saoudite et la Chine mais, dans le même temps, à l’intérieur de leurs frontières, ces nations ont courbé l’échine pour satisfaire aux demandes des ayants-droits. Rétention de données, exigence de justification d’identité dans les cyber-cafés, riposte graduée, investigations transnationales, etc... sont en train de devenir la norme. Nicolas Sarkozy semble avoir oublié que l’accès au savoir est le prérequis de la liberté d’expression. Le partage de l’information est une composante essentielle des activités quotidiennes des citoyens du Net. Criminaliser ces actes afin de soutenir les modèles économiques moribonds des éditeurs de logiciels et des sociétés de production de médias ne fera que réduire Internet à une télévision interactive.

En tant que personne mariée à un ayant-droit en quête de rente, Nicolas Sarkozy n’a naturellement que peu de sympathie pour l’accès [libre] à la connaissance et peut ainsi se faire le champion vocal des régimes de riposte graduée. Il serait bien capable d’interdire à quelqu’un de lire sous un livre prétexte que cette personne aurait partagé les photocopies de ce livre avec trois de ses amis. Il n’y a aucune proportionnalité entre le préjudice et la punition. 

Avec l’e-G8, Nicolas Sarkozy essaie de pousser d’autres restrictions à la liberté d’expression avec son concept “d’Internet civilisé” - les régimes répressifs du monde entier ont de quoi se réjouir. Leur régulation draconienne a été importée par le pays de “liberté, égalité, fraternité.” J’espère que le peuple français se joindra aux sociétés civiles du monde entier pour rejeter les propositions de Nicolas Sarkozy.

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