Départ de Bill Gates : qui chez Microsoft pour répondre aux défis ?

Nul n’est indispensable mais il est des symboles qui comptent. Avec le départ de Bill Gates, Microsoft tourne une page. A un moment critique de son histoire. La succession est prête depuis de long mois, mais les défis sont de taille.

Il ne l’a sans doute pas fait exprès mais Bill Gates (à gauche sur la photo) – emblématique co-fondateur de Microsoft – quitte la société au bon moment pour ne pas avoir à gérer les multiples casses têtes auxquels sont confrontés Steve Ballmer (à droite sur la photo) et consorts. Si ce dernier prendra sans doute la place de « leader charismatique », son profil plus business ne lui permettra pas de mener seul les transformations et développements nécessaires au maintien du standing du groupe, numéro un mondial du logiciel depuis de nombreuses années. Il pourra compter sur trois co-pilotes d’envergure.

Ray Ozzie (troisième sur la photo en partant de la gauche), qui aura la lourde tâche de succéder à Gates comme Chief software architect, celui qui définit les évolutions technologiques des plates-formes. Reste qu’il aura sans doute moins de liberté que Bill Gates.

Kevin Turner continuera de gérer l’intendance au poste de directeur général.

Craig Mundie (deuxième sur la photo en partant de la gauche) est le Chief research and strategy Officer. C’est à lui de parier sur le long terme et notamment de gérer les programmes de l’éditeur dans les marchés émergents.

Ces quatre-là devront répondre, à court ou moyen terme, à cinq défis principaux.

Sortir des difficultés de Vista

D’abord faire oublier Vista. Si Microsoft continue de vanter les vertus de son dernier opus en matière d’OS, l’éditeur a du mal à convaincre. L’adoption se fait par défaut, liée à l’abandon de XP. Depuis le début de l’année, Microsoft a d’ailleurs dû donner des gages pour ne pas voir s’enfuir des utilisateurs dans la manœuvre. L’arrêt de XP a d’abord été reporté, puis des versions light ont été proposées pour le marché émergent des PC low cost. Ensuite, Vista s’est vu intégrer une option de downgrade – un comble pour une évolution présentée comme majeure – et le support de XP a été tout récemment étendu jusqu’à 2014. Enfin, la sortie de la prochaine version de Windows – baptisée Windows 7 – a été accélérée afin de répondre au plus vite aux critiques concernant Vista et permettre à ceux qui souhaitent passer leur tour en maintenant XP, d’avoir une perspective d’évolution à relativement courte échéance.

Trouver une voie sur le web

Du côté de la stratégie Internet, Microsoft est à la croisée des chemins. Parti relativement tard, l’éditeur n’a pas vu venir les géants de type Yahoo, ebay, Google et plus récemment Facebook. Résultat, il a dû se résoudre à la croissance externe pour ne pas voir l’énorme marché publicitaire en ligne tomber pour l’essentiel dans les bras de Google. Des acquisitions prévisibles… mais qui n’aboutissent pas. Cela fait maintenant cinq mois que Steve Ballmer a lancé son raid sur Yahoo. En vain. Une période trouble où l’attractivité financière de Microsoft n’a pas vraiment joué sur un acteur qui s’est en partie bâti sur la critique idéologique de Redmond. Et si la direction de Yahoo sort indemne de l’assemblée générale de début août, la manœuvre aura même été contre-productive.

L’audience de Yahoo est désormais monétisée par… Google. Microsoft se voit donc contraint de partir seul à la reconquête. En agrégeant des rachats de moindre ampleur ou en payant le prix fort pour s’associer à des nouveaux entrants au modèle économique incertain, comme Facebook.

Réinventer un modèle économique sans licence

Sur la stratégie logicielle, le principal défi viendra du mode d’accès aux applications. 2008 marquera certainement l’an 1 du Saas (software as a service) à grande échelle. Longtemps annoncée, l’informatique vue et servie comme une commodité est en marche. Pour Microsoft, la transformation en leader du « nuage » incombera essentiellement à Ray Ozzie, le monsieur 2.0 du groupe et principale arme anti-google. Reste qu’en interne, l’unanimité n’est pas de mise quant au rythme à tenir. Kevin Turner expliquait récemment dans un entretien accordé à nos confrères d’Infoworld qu’il s’évertuait à ralentir le rythme de la conversion de l’éditeur. Selon lui, il s’agit d’être sûr que les utilisateurs adhèrent réellement au mode Saas. Responsable des comptes, on peut aussi imaginer qu’il ne souhaite pas égarer un centime dans une manœuvre qui modifie fortement le modèle économique du groupe, habitué au rythme des ventes et des mises à jour de licences qui n’ont plus vraiment cours en mode Saas.

S’adapter au low cost

Du côté des PC, l’avenir peut sembler rose. Gartner a annoncé récemment le milliard de PC en action, prédisant pour bientôt les deux milliards. Au rythme actuel – qui voit Windows continuer de caracoler en tête des plates-formes vendues , les sources de revenus que constituent Windows et la suite Office ne sont donc pas prêtes de se tarir. Une perspective en trompe l’œil. Si les ventes vont bien se développer, ce sera sûrement au bénéfice des PC low cost et des marchés émergents, deux segments liés. Les efforts côté matériel pour baisser les prix devront également exister sur le logiciel. La croissance pourrait donc profiter à l’Open Source. Absent à la naissance de Windows, les distributions Linux pourraient bien prendre leur revanche. A moins que Microsoft accepte de réduire très fortement ses prix, donc ses marges.

S’exonérer du poids de l’histoire

Enfin, Microsoft n’aura plus Bill Gates mais devra tout de même supporter le poids de l’histoire. L’éditeur est présent partout dans le monde et a recruté à une vitesse folle dépassant les 80 000 salariés cette année contre 11 en 1978, ceux du groupe d'Albuquerque (voir photo ci-contre)(*). Une structure que nombre d’analystes trouvent désormais trop bureaucratique, empêchant la société d’évoluer rapidement dans un secteur qui change profondément. Par ailleurs, Microsoft est depuis de nombreuses années sous le feu des autorités antitrust de tous pays qui condamnent régulièrement le groupe, mais surtout l’empêchent d’évoluer comme il le souhaiterait.

(*) Le groupe d'Albuquerque - avant que Microsoft ne s'installe à Redmond - en décembre 1978. De haut en bas et de gauche à droite : Steve Wood, Bob Wallace, Jim Lane ; puis Bob O' Rear, Bob Greenberg, Marc McDonald, Gordon Letwin ; puis enfin Bill Gates, Andrea Lewis, Marla Wood et Paul Allen, co-fondateur de Microsoft avec Gates.

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