Les SSII indiennes sont menacées par le retour du protectionnisme

Loin d'être protégées de la crise économique mondiale, les SSII indiennes pourraient en faire un peu plus les frais, car la tentation du protectionnisme grandit dans les pays où ces prestataires sont le plus actif. La politique de l'administration Obama en matière de visas de travail cristallise nombre d'inquiétudes. Il faut ajouter à ce contexte une forte pression sur les prix des prestations. Le tout se traduit par d'importants efforts supplémentaires de réduction des coûts. Parfois au détriment de l'emploi.

Le protectionnisme ? Selon Ameet Nivsarkar, vice-président de la chambre syndicale du patronat des SSII indiennes, le Nasscom, succomber aux sirènes de ce modèle « ne ferait que rendre plus difficile la sortie de crise aux Etats-Unis. » Cette remarque est-elle fondée sur le plan économique ? Peut-être. La question n’est pas là. Elle semble surtout destinée à conjurer le sort alors que, outre-Atlantique, des voix s’élèvent notamment pour condamner un IBM qui supprime des emplois aux Etats-Unis pour embaucher en Inde. Le tout sur fond de réduction du nombre de visas accordés aux travailleurs étrangers.

Des facteurs convergents qui viennent s’ajouter à d’autres pour, ensemble, menacer dangereusement l’industrie IT indienne. Le ministre indien des Affaires étrangères, Pranab Mukherjee, est lui même monté au créneau condamnant la tentation du protectionnisme : selon lui, « il serait particulièrement dérangeant que, la plus grande économie du monde, les Etats-Unis, où est né le tsunami financier global, ait recours à des pratiques commerciales restrictives. » Comprendre par là que l’Inde n’a pas envie d’être doublement victime d’une crise née bien au-delà de ses frontières.

Lourde menace sur les visas

Car la menace semble sérieuse. Suffisamment en tout cas pour que, dans un communiqué, le Nasscom indique avoir rencontré « des actionnaires et des experts » américains, des associations mais aussi l’administration Obama et des parlementaires dont le sénateur de l’Iowa Charles Grassley, très en pointe sur la réglementation relative aux visas de travail. Bref, un vaste travail de lobbying dont l’avenir dira s’il sera payant. L’inquiétude porte principalement sur les visas H1B, utilisés par les SSII indiennes pour dépêcher, sur site, chez leurs clients américains, des salariés indiens.

Il y a deux ans, ces SSII avaient déjà été malmenées par la réduction du quota de visas H1B de 195 000 à 65 000 par an. De sources diverses, l’industrie IT indienne aurait cannibalisée à elle seule 11 % des visas H1-B délivrés par les Etats-Unis en 2008. Mais l’inquiétude porte désormais aussi sur les visas de travail de type L1, qui permettent d’aller travailler aux Etats-Unis pour une durée maximale de sept ans. Eux aussi pourraient voir leur volume réduit. A la différence des visas H1-B, ils n’ouvrent pas droit à une demande de carte verte à leur expiration. Récemment, des PDG indiens se sont même déplacés à leur tour pour répéter le message à l’administration Obama. L’enjeu, pour les SSII indiennes, est importante : il s’agit de pouvoir satisfaire la demande des clients d’une part, et de protéger les marges de l’autre. L’heure de travail est en effet facturée entre 60 et 150 $ sur site, contre 18 à 40 $ en Inde… Le travail sur site représenterait 40 à 50 % du CA des SSII indiennes, pour un ratio offshore/sur site, en volume, de 70 pour 30.

Un contexte difficile

Ces mesures, que certains n’hésitent pas à qualifier de protectionnistes, surviennent dans un contexte clairement difficile, même sur le sous-continent indien. L’industrie locale des services informatiques ne devrait, selon IDC, que progresser de 13,4 % en 2009, son score le plus bas depuis 2003. Pour Montek Singh Ahluwalia, vice-président de la commission gouvernementale du plan, « le monde traverse sa crise la plus grave depuis 60 ans » ce qui, pour l’Inde, devrait se traduire par une année 2009 significativement plus mauvaise que 2008, avec, toutes industries confondues, une croissance inférieure à 7 %.  L’état du Karnataka, dans lequel se trouve la fameuse Bangalore, prévoit un recul de 5 % de ses exportations IT pour l’exercice fiscal en cours, qui s’achèvera le 31 mars.

Selon Morgan Stanley, le chiffre d’affaires des SSII indiennes pourrait reculer – à périmètre constant – de 20 % au cours de l’exercice fiscal 2009/2010 qui commencera le 1er avril prochain. TCS a d’ailleurs reconnu la « pression » sur les budgets de ses clients, estimant qu’on « y verra plus clair à la fin [juin] ». Gartner estime de son côté que les prix des services IT et de l’outsourcing en Inde devraient se contracter de 5 à 20 % au cours du prochain exercice fiscal. Selon certains observateurs, les prix auraient déjà reculé de 5 à 12 % pour les nouveaux contrats ou dans le cadre de renégociations.

Les SSII locales bénéficient, sur le plan tarifaire, d’une certaine marge de manœuvre grâce au cours de la roupie, la monnaie locale, celle dans laquelle est rémunéré la plupart de leurs effectifs : celle-ci reste très faible face au dollar, à 50 Rs pour 1 $, le dollar étant la monnaie dans laquelle la plupart des prestations sont facturées.

D’importants efforts de réduction des coûts

Soumise à une pression nouvelle, l’industrie indienne des services informatiques a déjà pris d’importantes mesures de réduction des coûts. Mais d’autres vont suivre. TCS vient de décider de réduire les voyages à l’étranger, leur préférant la téléconférence. Après avoir remercié 1 300 collaborateurs jugés trop peu performants.

Infosys propose de son côté à certains de ses collaborateurs de prendre un an de congé à mi-salaire pour s’investir dans une organisation non gouvernementale. La SSII a par ailleurs reporté de 6 mois l’embauche effective de nouveaux diplômés déjà sélectionnés, suivant ainsi l’exemple de Satyam. Pour Vivek Kulkarni, secrétaire aux technologies de l’information de l’état du Karnataka, des licenciements sont nécessaires dans l’industrie IT locale… Déjà, l’industrie indienne des services informatiques aurait évité 60 000 recrutements au cours des derniers trimestres en mobilisant ses troupes dites « on the bench », des salariés sans mission que les prestataires conservaient jusqu'à présent pour faire face aux défaillances impromptues de leurs collaborateurs.

Pour pallier le trou d'air que traversent les pays développés, les SSII indiennes misent sur les marchés émergents pour continuer de porter leur croissance. TCS cible ainsi le marché intérieur indien, l’Amérique Latine, et même la Chine. Infosys indique avoir des clients demandant le développement de son implantation chez le voisin chinois. Récemment, le Nasscom a conclu un accord de partenariat avec son homologue chilien.

Et puis, il y a les prochaines élections législatives qui se dérouleront du 16 avril au 13 mai 2009. Le BJP, parti classé à droite et actuellement dans l’opposition, semble, pour l’heure, remporter les suffrages du patronat de l’industrie IT, notamment du Nasscom. Le BJP a consacré un document de 30 pages à l’industrie IT, promettant notamment la création de 12 millions d’emplois appuyés par les NTIC dans les parties rurales de l’Inde, et l’équipement de 10 millions d’étudiants avec des ordinateurs portables à 10 000 Rs pièce, mais aussi le développement de la VoIP, la promotion des constructeurs de matériels locaux ou encore celle du logiciel libre.

La période électorale coïncidera avec celle de la publication des résultats annuels des SSII indiennes.

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