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AI Paris : les entreprises françaises avancent doucement vers l’AI

Maturité aléatoire, gestion du changement, culture à infuser, les freins à l’AI ne sont pas nécessairement techniques, mais peuvent aussi être culturels et organisationnels.

S’il fallait retenir un cas d’usage souvent rencontré lors de la conférence AI Paris (qui se tient les 11 et 12 juin à Paris) ce serait bien celui de l’optimisation voire de « l’augmentation » des processus des entreprises. Si évidemment, l’optimisation de la relation client, et la recommandation de produits dans le eCommerce sont des thèmes centraux sur les très nombreux stands de la conférence - c’est bien là que le ROI est en premier palpable -, d’autres font petit à petit leur apparition, comme l’optimisation de la supply chain ou encore de la maintenance prédictive. L’optimisation du pricing (PriceMoov en est un exemple) est également un sujet très présent. Bref autant de secteurs où les algorithmes de Machine Learning trouvent aujourd’hui refuge et dont cet événement se fait aujourd’hui la caisse de résonance.

Expérience client, scoring, bots, reconnaissance d’images

L’AI infuse en effet dans les stratégies de transformation numérique des grands groupes en France. A La Poste, par exemple, l’intelligence artificielle a vocation à être déployée sur tous les métiers de l’institution, témoigne Eric Alix, Chief Data Officer du Groupe La Poste. Le groupe a pris pied dans l’AI en misant sur l’acquisition de la société Probayes et de sa matière grise en mai 2016. Depuis, plus de 30 projets d’AI ont cours au sein du groupe et concernent toutes les branches métiers, de la logistique aux services bancaires. En matière de logistique, La Poste s’appuie sur le ML (machine learning) pour réaliser des prévisions à 10 ans sur le positionnement géographique des agences ou, à plus court terme (3 mois), sur la commande des camions. Dans le département banque du groupe, Eric Alix évoque des travaux autour de la mesure du risque opérationnel, du taux de churn (clients entrants/sortants) ou encore autour de l’automatisation du traitement de documents.

L’activité liée au courrier a elle-aussi été passée au filtre automatisé de l’AI, avec une reconnaissance automatique d’étiquettes, plus poussée que celle jusqu’alors opérée par La Poste. La reconnaissance d’images y a été déployée. De là à remplacer le timbre-poste il n’y a qu’un pas : La Poste confirme en effet y réfléchir. 

Chez l’assureur Swisslife, on a également bien pris la mesure des capacités de l’AI. Le groupe a démarré une activité de data science il y a maintenant 3 ans en misant avant tout sur l’accompagnement de ses forces de vente. Le groupe a déployé des algorithmes de Machine Learning pour effectuer du scoring sur sa base clients afin de mieux les connaître et de leur proposer des offres pertinentes. D’autres ont été appliqués pour prévenir de l’attrition et éviter les fraudes, explique Eddie Abécassis, directeur marketing, Data Science et Innovation chez Swisslife. De l’analyse sémantique a ensuite été appliquée aux emails entrants puis ajouter au scoring.

Le groupe affirme également avoir mis en place des bots pour automatiser la relation client de premier niveau, via le langage naturel. Mais l’autre phase est d’outiller les smartphones des commerciaux d’un bot - nommé Aida - qui leur permet d’interroger à la voix la base de connaissance de clients - et d’obtenir donc un profil du client et de son historique.  Une forme de « conseiller augmenté », lance Eddie Abécassis. « Nous ne souhaitons pas détruire la relation (de nos commerciaux, NDLR) avec nos clients. Nous voulons surtout l’améliorer », insiste-t-il. 

A La Redoute, l’exemple est différent et l’AI est un phénomène plus récent. Pour ce spécialiste historique de la vente par correspondance, et désormais du eCommerce, l’expérience a débuté d’abord avec la reconnaissance d’image. « On sait que les produits sont vendus par leurs images. L’essentiel des informations du produit est dans sa photo », rapporte Renaud Joly, en charge des activités d’Intelligence artificielle à La Redoute. Cela permet ainsi de faire correspondre (« matcher » dans le vocabulaire métier) des produits entre eux pour faciliter la recommandation quand l’un d’entre eux est en rupture de stock par exemple. 

Le groupe a également mis au point une application mobile qui comporte des fonctions d’AI. Celle-ci connecte une photo prise en situation réelle à une produit similaire présent au catalogue, explique encore Renaud Joly. Ces algorithmes de reconnaissance d’images ont été appliqués à la recommandation de produits. Ceux-ci se reposent sur le rendu visuel d’une image et émettent la suggestion d’un produit dont l’empreinte est identique. « On sait que ça favorise les achats », ajoute le responsable. Il confirme également que la génération automatique d’image est une piste de réflexion future, car « les mannequins et la location de villas coutent aujourd’hui chères ».

Chafika Chettaoui, à la tête des activités Data Science and Industrial Consulting de l’éditeur Teradata (entrepôt de données et outils analytiques) confirme ces tendances dans l’appropriation de l’AI par les entreprises en France. La relation client (diagnostic, recommandation de produits), la productivité (optimisation de la Supply Chain, maintenance prédictive), optimisation des coûts et des ressources dans le monde de la finance et des RH constituent aujourd’hui les grands chantiers de l’AI dans l’Hexagone. « On trouve aujourd’hui beaucoup de PoC [proof of concept], mais on reste encore à la traîne derrière la Chine, l’Angleterre, le Canada et les US mais la France ne va pas s’arrêter là », témoigne-t-elle, évoquant les travaux du gouvernement sur la question.

Maturité et gestion du changement

Cela ne suffira évidemment pas. Car il existe encore d’autres freins à l’AI dans les entreprises en France. Et ceux-ci n’ont pas grand-chose à voir avec les technologies. Pour Chafika Chettaoui, la maturité est un facteur clé dans l’acceptation de l’AI par les entreprises françaises.  Les entreprises ont en effet un discours centré sur la finalité « améliorer la productivité et faire de l’innovation », mais peu sur les moyens d’y parvenir. Selon elle, l’AI nécessite d’apprendre en avançant - une mécanique en effet essentielle dans l’apprentissage des modèles de ML -, mais les entreprises ne savent pas comment s’y prendre ni comment identifier les bons cas d’usage.

Sans le bon cas d’usage, la promesse de l’AI risque surtout de ne pas être tenue, explique-t-elle. A cela s’ajoute également le manque de prise de risque des entreprises françaises, toujours frileuses. Selon elle, la gestion du changement, celle qui pourra faire infuser une culture de la donnée et de l’AI en interne, tant par les DSI que par les métiers, est primordiale pour favoriser l’évolution de l’intelligence artificielle. Chaque département doit être accompagné. 

Les entreprises encore peu adaptées à la gestion des résultats de l’AI

« Les entreprises ne sont pour l’heure pas encore prêtes à autant de puissance », témoigne de son côté Nathalie Dumont, responsable de la société Etic Data. Cette société développe une plateforme Saas qui permet de créer des clusters dynamiques pour identifier un niveau d’appétence des clients. Cette solution d’analyse prescriptive proactive croise les données clients possédées par l’entreprise avec d’autres contextualisées.

La société affirme exploiter quelque 1 200 variables pour cela. Les entreprises ré-organisent actuellement leur processus internes pour pouvoir exploiter les retours que nous leur proposons, ajoute-t-elle en substance. Pour le moment, ces entreprises se retrouvent dans une impasse quand il s’agit d’intégrer les résultats de ces algorithmes dans leurs propres systèmes qui ne sont que peu adaptés. Il reste bien des ajustements à réaliser.

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