À la chasse aux débris de l’espace

Sous la houlette de Moriba Jah, scientifique, ingénieur et « Space Environmentalist », une équipe de l’Université du Texas a mis au point une base graph, AstriaGraph, pour lister et surveiller les débris qui gravitent autour de la terre. Des objets qui ne sont pas sans danger.

Moriba Jah, directeur des sciences et technologies astronautiques computationnelles à l’Institut Oden de l’Université du Texas, située à Austin, se définit lui-même comme un « Space Environmentalist » (terme que l’on pourrait traduire par un « écologiste de l’espace »). Il a commencé sa carrière comme expert en sécurité pour l’US Air Force, avant de passer sept ans à la NASA comme ingénieur en navigation spatiale, puis huit ans au laboratoire de recherche de l’US Air Force, notamment en tant que directeur de l’Astria, l’Institut de recherche avancée en sciences et technologies de l’aéronautique.

Photo de Moriba Jah, Ingénieur et scientifique, Université du TexasPhoto de Moriba Jah,
Ingénieur et scientifique,
Université du Texas

Moriba Jah s’est depuis fixé une mission : rendre l’espace autour de notre Terre plus propre, plus durable et plus sûr. Il s’appuie pour ce faire sur une base de données orientée graphes, AstriaGraph, qui suit plus de 26 000 objets gravitant sur des orbites proches de notre planète. 

Environ 3 500 d’entre eux, comme l’ISS (la station spatiale internationale) et des satellites actifs, ont une utilité. Le reste est composé de débris et d’objets décommissionés.

Avec encore plus d’attention, la base suit 200 débris susceptibles de heurter et d’endommager sévèrement les satellites qui fournissent des services comme la géolocalisation (GPS) ou la météo.

« Je voudrais que l’humanité voie l’environnement spatial comme une ressource finie ; un environnement qui doit être protégé, au même titre que la terre, l’air et les océans. Enfin… il faudrait qu’il soit traité différemment puisque la terre, l’air et les océans sont bien maltraités », lâche-t-il. « Il faudrait voir notre espace proche, autour de la terre, comme un écosystème à part entière. J’aimerais que chacun et chacune se préoccupe de sa préservation comme si sa vie en dépendait ».

« Je voudrais que l’humanité voie l’environnement spatial comme une ressource finie ; un environnement qui doit être protégé, au même titre que la terre, l’air et les océans. »
Moriba JahIngénieur et scientifique, Université du Texas, Austin

L’idée d’AstroGraph est venue au scientifique en regardant une émission de télévision où l’on démontrait qu’il était possible de repérer les conjoints infidèles en recoupant plusieurs types de données – comme leurs contacts téléphoniques ou encore leurs trajets en Uber.

« C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de la puissance des informations présentées sous forme de graphes. Pas besoin de traquer les faits et gestes de la personne avec un satellite, il suffit d’être capable de trouver, de sélectionner, d’organiser et de structurer les bonnes données provenant de sources hétérogènes », synthétise Moriba Jah. « Les liens ainsi créés permettent de découvrir des relations de causalité qui, sinon, seraient restées invisibles. Dans une base graphes, chaque nœud représente une entité (une personne ou une chose) et chaque arc représente une connexion ou un lien entre deux nœuds. Un arbre généalogique est un graphe très simple ».

Les données sur l’espace sont très silotées, déplore Moriba Jah. « Les personnes qui travaillent sur la météo de l’espace ne parlent pas aux spécialistes de suivi des satellites, lesquels ne parlent pas aux experts de la politique spatiale. Je me suis donc dit : mais que se passerait-il si je rassemblais toutes ces données éparses sur différents aspects de l’espace et que je les connectais les unes avec les autres pour mettre à jour des relations cachées entre elles ? ».

Aussitôt dit, presque aussitôt fait. L’ingénieur et son équipe commencent à développer AstriaGraph en 2017 en s’appuyant sur la technologie Neo4j et la cartographie autour de 200 débris spatiaux critiques.

Cette base a-t-elle permis de révéler l’invisible ? « C’est en bonne voie », promet Moriba Jah. « Notre approche nous a permis de montrer où se trouvent les objets dans l’espace puis, en parallèle, d’intégrer des critères de recommandations, de règles, de politiques et de réglementations. À partir de là, nous pouvons poser des questions comme : qui est en conformité ? Qui ne respecte pas certaines recommandations ? Telle ou telle entité respecte-t-elle les différents traités ? Jusque-là, personne n’avait été capable d’établir un lien entre les politiques et les données scientifiques. Avec AstriaGraph, nous faisons un pas dans cette direction. »

AstriaGraph surveille environ 200 débris spatiaux susceptibles d'entrer en collision avec des satellites qui fournissent des services comme les GPS et les alertes météos.
AstriaGraph surveille environ 200 débris spatiaux susceptibles d'entrer en collision avec des satellites qui fournissent des services comme les GPS et les alertes météos.

Après des débats initiés en 1962, la Convention des Nations Unies sur l’immatriculation des objets lancés dans « l’espace extra-atmosphérique » (terme juridique qui désigne l’espace au-delà de l’atmosphère terrestre) est entrée en application en 1976. Elle est administrée par le Bureau des affaires spatiales des Nations unies (United Nations Office for Outer Space Affair), qui soutient le projet AstriaGraph pour aider son propre système d’enregistrement.

Jusqu’à présent, AstriaGraph pouvait être vu comme un projet de recherche pour « démontrer ses possibilités ». Mais Moriba Jah espère que les choses vont monter en puissance avec Privateer Space, l’entreprise fondée par le co-fondateur d’Apple Steve Wozniak, auprès de qui il intervient en tant que conseiller scientifique.

Aujourd’hui, par exemple, nous ne savons pas dire quel est le plus grand pollueur de l’espace.

Impossible également de désigner les pays ou entreprises qui arborent des « pavillons de complaisance » pour éviter, comme en haute mer, de respecter la réglementation spatiale. Pense-t-il que cette pratique déplorable existe déjà ? Naturellement, nous répond Moriba Jah. « Mais les preuves ne sont pas directement disponibles dans le domaine public. C’est ce à quoi nous travaillons. Privateer se concentre sur l’élaboration d’une plateforme d’intelligence décisionnelle qui va améliorer notre capacité à manipuler les données et les informations [sur l’espace], de manière à obtenir un résultat de la meilleure qualité possible. Cela, en faisant du sur-mesure. »

« Je me suis fixé une mission, en m’appuyant sur trois critères : rendre l’espace transparent et prévisible, et exiger de chaque acteur qu’il rende des comptes sur ce qu’il y fait. »
Moriba JahIngénieur et scientifique, Université du Texas, Austin

« Nous pouvons ensuite fournir ces données à des gouvernements qui souhaitent contrôler et évaluer la conformité des acteurs, ou bien à des entrepreneurs qui souhaitent développer une activité de nettoyage des déchets. Pour cela, ils auront besoin de connaître les caractéristiques des objets physiques : taille, forme, propriétés des matériaux, vitesse de rotation. Aucune base de données ne compile ces informations à ce jour ». 

Dissiper les mystères

« Mon principe c’est que rien ne doit être secret. Je veux dissiper les mystères. Soit les acteurs me donnent leurs données, soit je les achète, soit je ferai de l’ingénierie inversée et je trouve l’information moi-même. Je me suis fixé une mission : rendre l’espace transparent et prévisible, et exiger de chaque acteur qu’il rende des comptes sur ce qu’il y fait. »

Mais finalement, pourquoi nous inquiéter de ces déchets qui orbitent autour de la terre, mais qui ne tombent pas sur terre ?

« Les services, les technologies et les capacités dont nous bénéficions aujourd’hui – comme les services bancaires ou le suivi des ressources agricoles – reposent presque exclusivement sur l’espace. Un débris qui flotte peut à tout moment heurter un satellite, ce qui provoquera des perturbations, des dégradations voire l’interruption de ces services. »

La prédictibilité des trajectoires des déchets (écailles de peintures, etc.) et des débris est également un prérequis pour les voyages et le tourisme spatiaux.

« Les gens pensent que c’est la même chose que de prendre un avion. On monte puis on redescend. Mais les débris spatiaux rendent la situation très différente », avertit Moriba Jah. « Imaginez que dans un avion, on vous dise : “vous êtes au siège 14a. Ah, au fait… il y a des balles tirées d’un peu partout dans la zone que nous allons traverser. L’une d’elles pourrait trouer la cabine et vous toucher. Mais c’est impossible à prévoir, bonne chance et surtout bon voyage !” »

Sur le fond, Moriba Jah se dit favorable aux voyages spatiaux commerciaux. « Je pense que c’est une nécessité », explique-t-il. « Dans tous les domaines de l’existence et des expériences humaines, nous avons toujours eu besoin de commercer. L’espace ne fera pas exception. [Mais] à nous d’agir pour que cela soit fait de manière durable, avec une vue à long terme, et en prenant garde de préserver l’environnement spatial. »

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