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Le gouvernement britannique peine à moderniser son existant IT

Dans son rapport annuel, la commission des comptes publics britannique qualifie de « grand fléau » la gestion du patrimoine informatique de l’Administration. Sur un ton particulièrement incisif, sa présidente, Meg Hillier, appelle à une prise de conscience et insiste sur l’importance pour le secteur public d’investir dans un IT de bon niveau.

La Commission des comptes publics britanniques (Public Accounts Committee, PAC), vient de publier un rapport appelant le gouvernement à moderniser rapidement ses actifs IT, à remédier au manque de compétences spécialisées et à ne plus commettre les erreurs qui ont conduit à différents scandales portant sur des projets mal menés.

Le rapport annuel du CCP souligne la nécessité d’investissements importants et attribue la responsabilité de la situation actuelle au manque de vision prospective des gouvernements successifs. Dans ce rapport, Meg Hillier, Présidente de la commission, insiste notamment sur le fait que les fonds destinés à des projets à long terme sont le plus souvent utilisés pour éponger des dépenses quotidiennes, entraînant par le passé des problèmes systémiques qui rejaillissent aujourd’hui.

L’un des « grands maux » soulignés par le rapport de la Commission – c’est-à-dire les domaines qui nécessitent le plus d’attention – est celui du « vieillissement des systèmes informatiques » actuellement en service. Pire, le problème de la gestion du Legacy IT n’est pas spécifique à quelques-uns, mais s’étend à l’ensemble des ministères.

Alors que l’équivalent britannique du ministère de l’Agriculture (Department for Environment, Food and Rural Affairs, Defra) est confronté à l’existence de 30 % de ses applications tellement anciennes qu’elles ne sont plus prises en charge par leur fournisseur, les systèmes également vieillissants du ministère de la Défense (MoD) « compliquent même les tâches de routine comme la commande de bottes pour les armées », selon Meg Hillier.

Publié en janvier 2024, mais peu commenté à l’époque, le rapport du PAC souligne ainsi que, bien trop anciennes et hétérogènes, les couches technologiques du SI utilisé pour la gestion des stocks d’équipement du ministère de la Défense exposent les forces – y compris celles en première ligne – à des risques importants.

Officiellement le ministère de la Défense s’efforcerait de moderniser son système de gestion des stocks depuis… 14 ans ! Un projet a ainsi été lancé en 2010 pour réduire le nombre de systèmes de support logistique. Jusqu’à présent, le nombre de systèmes a été ramené de 250 à 89, mais à l’heure où, dans le secteur privé, la supply chain passe à l’IA, des problèmes anciens subsistent, notamment en ce qui concerne la gestion des données.

« Le manque de fonctionnalité de ces anciens systèmes a entraîné une dépendance à l’égard du traitement manuel et l’utilisation de plusieurs systèmes pour accomplir des tâches récurrentes. »
Rapport du PAC(Public Accounts Committee)

Le rapport met également en évidence les problèmes du ministère du Travail et des Pensions (Department for Work and Pensions, DWP) – qui s’appuie là encore sur un SI frappé d’obsolescence – avec un impact réel sur la vie des gens, comme en témoigne le récent scandale des pensions, où les retraités n’ont pas reçu 2,5 milliards de livres sterling en raison d’erreurs créées par des systèmes informatiques hors d’âge. « Le manque de fonctionnalité de ces anciens systèmes a entraîné une dépendance à l’égard du traitement manuel et l’utilisation de plusieurs systèmes pour accomplir des tâches récurrentes. »

Selon le rapport du PAC, « le DWP n’a pas mis à jour les systèmes, mais a au contraire augmenté la complexité en superposant de nouveaux systèmes à d’autres plus anciens ».

Pour Meg Hillier « les pouvoirs publics doivent trouver des moyens rentables de moderniser leurs systèmes informatiques, surtout si l’on considère le coût humain et financier élevé engendré par les erreurs à répétition. »

Le rapport précise ainsi que « le coût de l’absence de mise à niveau de l’existant IT est énorme, avec un coût de maintenance de base du SI qui augmente et une perte des “compétences spécialisées associées” aux évolutions actuelles insoutenables ».

Et de poursuivre que « dans l’ensemble de l’Administration, les systèmes informatiques obsolètes et les données vieillissantes sont une source essentielle d’inefficacité et un obstacle majeur à l’amélioration et à la modernisation des services publics. Un grand nombre de ces systèmes “hérités” ont été construits il y a plusieurs décennies et sont aujourd’hui coûteux à gérer et présentent un gros risque cyber. »

« Le système semble incapable de développer l’apprentissage et la mémoire institutionnelle des erreurs passées. »
Meg HillierPrésidente de la commission des comptes publics britannique

Mme Hillier a déclaré qu’en tant qu’ancienne ministre du gouvernement, elle avait intégré la Commission avec une « bonne connaissance » du fonctionnement de l’Administration, de la manière dont les projets IT étaient conduits et de la mise en œuvre des politiques publiques. Malheureusement au cours de son mandat de présidente, elle a observé les mêmes erreurs se reproduire encore et encore comme « si le système semble incapable de développer l’apprentissage et la mémoire institutionnelle des erreurs passées ».

Au-delà d’utiliser un système obsolète, le principal problème – selon elle – est que les défis auxquels la Grande-Bretagne est confrontée nécessiteraient des investissements ainsi qu’une planification à long terme, et ne devraient pas être des « sujets de controverse politique », mais être traités sur plusieurs décennies.

Meg Hillier précise ainsi que « la plupart des grands programmes d’infrastructure et de défense entrent dans cette catégorie. La transformation numérique au sein du gouvernement est également un domaine qui nécessite un financement cohérent et, comme [avec le cloud et la transformation du modèle économique des fournisseurs, N.D.L.R.] il s’agit désormais de ressources plutôt que de capital, il risque de faire l’objet de coupes budgétaires ministérielles, s’il n’y a pas de plan clair pour le protéger. »

Se voulant exhaustive Meg Hillier cite également le programme de transformation du système judiciaire du HM Courts & Tribunal Service, la chancellerie britannique. À l’origine, le programme, débuté en 2016, devait être achevé en 2020. Les délais ayant été ajustés à plusieurs reprises, le programme n’est toujours pas achevé et, en juillet 2023, il ne restait plus que 120 M£ à dépenser sur un budget initial de 1,3 Md £… Et de préciser, en citant les conclusions du rapport, que, concrètement, « une bonne technologie et de bonnes pratiques de travail dans les tribunaux sont essentielles pour réduire les retards et créer un système judiciaire plus résilient, où les citoyens ont accès à la justice ».

Particulièrement incisive, Meg Hillier a également appelé à remédier au manque de compétences au sein du gouvernement, afin d’éviter de prendre plus de risques dans l’évaluation et le suivi de la réalisation de grands projets. Elle estime que s’il y a sûrement une grave pénurie de compétences dans plusieurs secteurs de l’Administration britannique, elle est particulièrement criante dans le numérique, la cybersécurité et l’ingénierie nucléaire.

« De nombreux projets et programmes gouvernementaux sont affectés par des retards, des inefficacités et des dépassements budgétaires, souvent en raison d’un manque de compétences spécialisées parmi les fonctionnaires », indique le rapport du PAC, au-delà des seuls systèmes d’information.

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