
STMicroelectronics se voit en champion des réseaux fibres
Le franco-italien fournira aux datacenters une puce PIC100 capable de multiplier par seize la vitesse des communications entre serveurs. Une première mondiale et une aubaine pour le fondeur, dont la clientèle habituelle, l’industrie automobile, est moribonde.
800 Gbit/s et même 1,6 Tbit/s de débit sur les fibres optiques qui relient les baies de serveurs dans les datacenters. Cette prouesse, quatre à seize fois la vitesse habituelle, est rendue possible par une puce minuscule. Une puce baptisée PIC100 qui convertit les signaux électriques des switches Ethernet en photons, qui s’installe tout simplement dans l’embout QSFP d’une paire de fibres et qui, cocorico, est fabriquée en France, dans les usines de STMicroelectronics à Crolles (Isère).
Dans le principe, les réseaux optiques en datacenters reposent sur trois éléments. Des switches qui émettent sur chacun de leurs ports Ethernet SFP des signaux électriques. Des fibres multimodales qui transportent quatre signaux à la fois (selon une superposition complexe de longueurs d’onde). Et, à l’intersection des ports SFP et des fibres, des embouts QSFP qui transforment les signaux électriques en ondes lumineuses.
Parmi les embouts QSFP les plus avancés, les modèles les plus fréquents actuellement dans les datacenters sont les QSFP28 qui superposent quatre signaux lumineux pour atteindre un débit de 100 Gbit/s (4 x 25 Gbits/). Cependant, on trouve déjà des QSFP56 et QSFP112 qui portent respectivement ces débits à 200 (4 x 50 Gbit/s) et 400 Gbit/s (4 x 100 Gbit/s). Pour donner un ordre d’idées, un embout QSFP112 coûte à lui seul un peu plus de 1000 euros. Il faut compter environ 300€ pour un embout QSFP56 et environ 120€ pour un embout QSFP28.
La promesse de STMicroelectronics est de fournir une nouvelle électronique qui doit permettre aux équipementiers réseau de proposer, d’ici à cet été, des embouts QSFP224 (4 x 200 Gbit/s) et, en fin d’année, QSFP448 (4 x 400 Gbit/s) avec des prix « plus raisonnables ». Autre avantage, les embouts QSFP basés sur la puce gravée par STMicroelectronics chaufferaient bien moins que les précédents.
L’enjeu de graver des circuits qui produisent des ondes pures
En émission, le principe de la puce PCI100 est de conjuguer un laser produit par un autre circuit avec les soubresauts des signaux électriques de la carte réseau pour, au travers de guides sinusoïdaux en silicium, émettre vers la fibre des ondes longues de 3,75 à 6 millimètres. En réception, la lumière passe par ces mêmes guides pour recréer, ou pas, une impulsion électrique à partir d’une sonde optique.
Selon Vincent Fraisse, directeur de la branche communication optique de STMicroelectronics, ce serait la première fois qu’un fabricant de semiconducteurs parvient à graver ensemble de tels circuits à une échelle aussi petite. Le point important n’étant pas tellement la finesse du circuit, mais plutôt la réduction de perte de décibel par cm (0,4 Db/cm pour le PIC).
Un billet de blog du fabricant précise que l’incapacité à graver des circuits qui limitent correctement le bruit dans la formation des ondes optiques serait la cause d’une pénurie actuelle des embouts QSFP56 et supérieurs.
La puce PCI100 est gravée avec une finesse de 55nm. Oui, c’est dix fois moins précis que les meilleures usines de TSMC et d’Intel, mais qu’importe puisqu’il ne s’agit pas ici de circuits de processeurs ou de GPU. La prouesse est plutôt à chercher ici dans la manière de graver, baptisée BiCMOS55X, a priori 15% plus précise que la précédente BiCMOS55 à la même échelle de 55 nm.
Le BiCMOS est un type de design dans lequel on conjugue des portes logiques traditionnelles (des transistors à trois branches) avec des transistors à deux branches, les uns traitant l’information, les autres se contentant de l’inverser. Par rapport au design CMOS traditionnel, un circuit BiCMOS est généralement plus performant, mais consomme beaucoup plus d’énergie. Manifestement, STMicroelectronics parviendrait à éviter ce second problème en mélangeant deux types de matériaux.
À terme, STMicroelectronics compte adapter le design de sa puce PIC100 pour l’intégrer dans des chiplets, de sorte à pouvoir brancher directement les fibres sur les serveurs ou les cartes GPU, sans passer par un embout QSFP.
AWS dans l’ombre du PIC
Pour mémoire, l’usine de Crolles est justement celle qui a bénéficié d’un investissement de 5,7 milliards d’euros en 2022, en partie financés par l’américain GlobalFoundries, pour relancer la production en Europe de semiconducteurs. À l’époque, le CA annuel du fondeur franco-italien avait bondi de 12,3 à 15,5 Mds €, puis avait encore augmenté à 16,61 Mds € en 2023.
En 2024, en revanche, il s’est de nouveau écroulé à 12,75 Mds €. Officiellement, ses clients – le secteur de l’automobile, les industriels – lui avaient précédemment commandé un surplus de puces dans la crainte d’un rebond de la pandémie de Covid-19. En 2024, ils auraient massivement gelé leurs commandes et décidé de plutôt écouler les stocks constitués.
La nouvelle orientation de STMicroelectronics dans les semiconducteurs pour réseau – le fondeur annonce vouloir devenir l’un des leaders mondiaux dans ce domaine – est donc une aubaine pour pallier une activité classique moribonde.
À l’initiative de la puce PIC100, on trouve en l’occurrence un géant de la tech : l’hyperviseur AWS. C’est lui qui aurait en partie financé le développement du PIC100 afin de doter ses datacenters d’un réseau capable d’alimenter au maximum les GPU en données, de sorte à rentabiliser du mieux possible les budgets colossaux qu’il investit dans ces puces dédiées à l’IA. L’intelligence artificielle est justement l’argument que STMicroelectronics met en avant lorsqu’on le questionne sur les cas d’usage du circuit PIC100.
Enfin, si STMicroelectronics ne parle pour l’instant que d’interconnexions entre serveurs, il est important de noter que sa puce PIC100 doit favoriser aussi les débits longue distance entre les datacenters. Pour AWS, cela signifie surtout qu’il lui sera plus facile de proposer des offres de cloud hybride aux entreprises qui redoutent la latence des connexions longue distance.