ERP Cloud : la nécessaire transformation des centres de compétences SAP
Au départ d’une longue ascension forcée vers le cloud, les centres de compétences SAP vont connaître (ou subir ?) une « transformation profonde ». C’est le constat effectué par la commission Organisation et Gouvernance du club des utilisateurs francophones de SAP (USF) dans un rapport annuel.
Le document a été rédigé avec l’aide de Forvis Mazars et de SPRO Club, une jeune société spécialisée dans la formation de consultants SAP en reconversion. « Aucun métier ne sera épargné », prévient Julien Déat, fondateur de SPRO Club, lors de la convention de l’USF à Lyon.
Du sur mesure au prêt-à-porter
La mission principale du centre de compétences SAP est le maintien en condition opérationnelle et l’amélioration des applications SAP. Il rassemble le plus souvent des experts techniques, fonctionnels, des développeurs ABAP ou Fiori (Java, JavaScript), des product owners, des responsables des droits et de la sécurité. Des prestataires externes peuvent intervenir ponctuellement ou de manière régulière dans certains de ces domaines. Alors que les ERP historiques sont conçus « sur mesure », les ERP cloud impliquent une logique de type « prêt-à-porter ». Or, SAP ne veut plus du sur mesure et a sonné le glas d’ECC d’ici à 2033.
« ERP Cloud est le terme que nous avons retenu pour désigner les offres RISE et GROW with SAP, les ERP SAP en cloud public et en cloud privé », précise Bernard Cottinaud, président de la commission Organisation & Gouvernance au sein de l'USF.
Le modèle contractuel de l’éditeur allemand est intrinsèquement lié aux chemins de migration (Brownfield, greenfield, bluefield, etc.) et la zone d’atterrissage dans le cloud public ou privé (S/4HANA Public Cloud, Private Cloud).
SAP devient « l’unique responsable du contrat face à l’entreprise et s’engage à piloter tous ses partenaires », rappelle la note de perspectives. La gestion des coûts et du contrat change en conséquence. Alors qu’elles étaient habituées à une approche CAPEX avec SAP, les entreprises doivent se préparer à un « modèle 100 % OPEX ». Les licences sont souscrites pour des durées définies. Les clients optant pour S/4HANA Public Cloud paient un nombre de sièges par mois, tandis que ceux ayant opté pour l’édition Private Cloud doivent gérer le complexe système de licences FUE.
« SAP n’est plus seulement un éditeur, mais un fournisseur de services », souligne Emma Rodriguez, consultante chez Forvis Mazars. Il faut donc ajouter à cela (entre autres) les extensions, la consommation ou la souscription à des services cloud disponibles sur la BTP, le coût de l’infrastructure (en mode RISE Private Cloud).
Quatre profils doivent donc intervenir beaucoup plus régulièrement dans les centres de compétences SAP : le gestionnaire de contrats, le juriste, le SAM (Software Asset Manager) et le FinOps. « C’est directement lié à la complexité des contrats et des différents modes de consommation », ajoute Julien Déat. « C’est contre-intuitif, mais s’il y a besoin de moins de personnes, le spectre de compétences s’élargit. Nous avons besoin de beaucoup plus d’experts ».
« C’est contre-intuitif, mais s’il y a besoin de moins de personnes, le spectre de compétences s’élargit ».
Julien DéatFondateur, SPRO Club
Une redéfinition en profondeur du rôle des administrateurs
Cela a un deuxième impact. L’éditeur allemand a la responsabilité des sauvegardes, de la sécurité, des mises à jour des couches basses et applicatives « standards ». Néanmoins, la « sécurité des paramétrages, des données métiers, des intégrations avec d’autres systèmes reste la responsabilité du client ». Et l’USF de repérer là « une nouvelle zone d’ambiguïté ». « En cas d’incident, de non-conformité ou de problème de performance, il peut devenir plus difficile d’identifier clairement les responsabilités et obtenir des réponses dans des délais acceptables en fonction de la criticité des problèmes », lit-on dans le rapport.
« Vous allez devoir documenter cela afin d’identifier clairement qui fait quoi », affirme Emma Rodriguez.
En clair, et contrairement à la vision de SAP, les administrateurs système ne disparaissent pas. En tout cas, pas avec S/4HANA Private Cloud. Ils doivent être les gestionnaires des échanges avec SAP ECS (Enterprise Cloud Services). Il serait d’ailleurs « essentiel de maintenir les compétences Basis Component en interne ». Si leur métier peut encore évoluer dans quelques années, leur présence assure une meilleure qualité de service et des échanges plus fluides avec les équipes de SAP, dixit les adhérents concernés. De fait, les équipes techniques de SAP n’ont pas la connaissance des spécificités de chaque entreprise. « Ils sont voués à devenir des architectes afin de conserver la cohérence entre les différents modules de l’ERP », note Julien Déat.
Aussi, les cycles de mise à jour changent. L’édition SaaS est mise à jour deux fois par an par SAP (en février et en août), en sus des éventuels correctifs de sécurité.
Pour les clients ayant opté pour la version Private cloud, l’éditeur laisse une plus grande marge de manœuvre. Depuis 2023, il lance une version « de base » tous les deux ans (les autres éditeurs parleraient plutôt de LTS, Long Term Support). Chaque version LTS a le droit à une maintenance « mainstream » d’une durée de 7 ans. Les entreprises peuvent bénéficier de nouvelles fonctionnalités non bloquantes deux fois par an en installant les Feature Pack Stacks pendant les deux premières années ou de manière continue si elles adoptent la nouvelle version « de base » tous les deux ans. Sinon, elles accèdent seulement au « Support Pack Stacks », des correctifs, tous les six mois jusqu’à la fin de la maintenance « mainstream ».
« Public Cloud représente un changement beaucoup plus brusque. Il faut lâcher prise sur la gestion de l’infrastructure, le rythme de l’innovation, la customisation », liste Julien Déat. Là, l’administrateur système traditionnel n’a plus vraiment sa place.
Dans ces deux environnements, les tests de non-régression deviennent beaucoup plus réguliers. Et les impacts potentiels sur les spécifiques doivent être pris en compte. L’automatisation devient alors essentielle. Les prestataires sont en première ligne.
L’ERP Cloud est livré sans marche arrière
Cette approche impacte non seulement les responsables du « run », mais également les métiers, souligne l’USF.
« Ce sont aussi tous vos processus métiers qui changent. Et, une fois passé sur un ERP Cloud, il n’y a pas de marche arrière ».
Emma RodriguezConsultante, Forvis Mazars
« L’on ne parle plus de projet purement technique. L’enjeu n’est pas seulement de passer d’un ECC à un S/4 », déclare Emma Rodriguez. « Ce sont aussi tous vos processus métiers qui changent. Et, une fois passé sur un ERP Cloud, il n’y a pas de marche arrière ». Disons que la consultante croit peu en la promesse faite par SAP d’un maintien à long terme des options contractuelles de réversibilité sur site.
Cela implique un accompagnement du changement auprès des membres du centre de compétences SAP et des métiers. Il s’agit en premier lieu de ne pas perdre des spécialistes de SAP. « Les compétences SAP sont extrêmement rares. Donc effectivement, il faut s’y prendre en amont, il faut communiquer, il faut former des gens parce que les métiers vont évoluer. […] Il faut y passer du temps », liste Bernard Cottineau.
Certaines équipes se sont habituées à répondre aux demandes des entités. En clair, ils orchestraient des développements spécifiques pour répondre aux desiderata des métiers peu satisfaits des processus en place.
Désormais, les métiers doivent s’habituer aux processus standards fournis par SAP. Avec S/4HANA Public Cloud, la marge de manœuvre se limite à la configuration de certains paramètres, aux interfaces low-code/no-code (SAP Build) et aux extensions livrées par SAP. Les membres des centres de compétences « vont devoir faire de la veille pour utiliser au maximum les fonctionnalités présentes dans SAP », explique Julien Déat. Un exercice de renseignement difficile. LeMagIT est bien placé pour le dire. L’éditeur a tendance à éparpiller les informations. Tout le jeu est de trouver le bon interlocuteur chez SAP ou chez ses partenaires pour guider la recherche. Justement, les ESN et les partenaires doivent également transformer leurs activités pour suivre le rythme.
Avec Private Cloud, dans la logique « clean core », les spécifiques sont « repoussés à la périphérie de l’ERP Cloud », généralement dans la BTP. Contrairement à ce que prétend SAP, l’USF considère que cela « complexifie la conception et le run ». La personnalisation se joue au niveau de Fiori, le front-end censé remplacé SAP GUI, des intégrations, des applications écrites dans les environnements BTP. Là, il faudra impliquer les métiers afin de guider les développements, tout en leur posant les limites pour que le « core » reste « clean ». « Il faut parfois renoncer à faire des choses compliquées réclamant des mois de développement que vous ne saurez pas maintenir dans le temps », signale Bernard Cottinaud. Cela veut aussi incarner des positions qui ne sont pas les siennes, jouer le « médiateur » entre le métier et SAP.
« Les CCSAP rassemblent des gens qui font ce qu’on leur demande et qui n’ont pas trop voix au chapitre », déclare-t-il.
« En général, ils ont subi toutes les optimisations des contrôles financiers d’entreprise pour coûter le moins cher possible et rendre le maximum des services », poursuit-il. « Si vous restez dans ce mode-là demain, vous allez reproduire le même schéma, vous ne tirerez aucun bénéfice ».
Jouer le rôle de médiateur entre les métiers, la DSI et l’éditeur
Il y a néanmoins de l’espoir pour les centres de compétences prêt à « embrasser » le changement. Là où les entreprises les considéraient comme des centres de coût, ils peuvent gagner le rôle de coordinateur de tout ce qui touche à l’ERP Cloud. « Il y aura moins de fourniture de services, moins de mains dans le cambouis et beaucoup plus de pilotage, d’échanges avec les fournisseurs », prévoit Mark Wolstenhome, associé chez Forvis Mazars. Le centre de compétences doit « challenger l’éditeur et ses partenaires sur les possibilités », tout en « prenant un rôle d’innovateur pour jouer un rôle prépondérant au sein de l’entreprise ».
« Il y aura moins de fourniture de services, moins de mains dans le cambouis et beaucoup plus de pilotage, d’échanges avec les fournisseurs ».
Mark WolstenhomeAssocié, Forvis Mazars
Une vision qu’il faudrait adopter dès la migration vers S/4HANA Cloud, peu importe l’édition.
Malgré les velléités de l’éditeur, l’USF précise que peu de ses membres ont passé le cap de l’ERP cloud. Les retours d’expériences « ont quelques années, voire quelques mois ». La majorité des adhérents interrogés par l’USF sont en phase d’étude du projet de migration. Ils n’ont pas suffisamment de recul pour appréhender ces changements.
« C’est assez difficile de tirer des enseignements complets. Il faut rester modeste, mais cela donne une idée des impacts importants qui vont se révéler dans les années à venir », conclut Bernard Cottinaud.