
Rachat d’HashiCorp : IBM prié de ne pas reproduire le scénario Broadcom-VMware
Dix mois après l’avoir annoncé, IBM confirme l’acquisition de HashiCorp. Entretemps, l’affaire Broadcom-VMware a marqué les esprits (et miné des budgets IT). Au vu du pouvoir qu’exerce Big Blue sur Terraform et d’Ansible, les professionnels de l’IT lui demandent de ne pas en abuser.
L’acquisition d’HashiCorp était en suspens depuis dix mois. Deux autorités de la concurrence devaient encore donner leur avis sur ce rachat à plus de 6,4 milliards de dollars (35 dollars par action). La CMA (Competition and Market Authority) britannique a donné son feu vert le 26 février. Et la FTC (Federal Trade Communication) américaine de suivre le lendemain, selon IBM.
HashiCorp sera prochainement une division d’IBM, tout comme Red Hat. Dans un billet de blog, Armon Dadgar, cofondateur et CTO de HashiCorp, assure que l’entreprise conserve « la même mission ».
« Grâce à l’histoire d’IBM, à son envergure mondiale et à ses relations avec les clients, HashiCorp peut désormais étendre sa portée pour aider sa communauté de clients, de praticiens et de partenaires à automatiser, sécuriser et optimiser leur infrastructure cloud, en fournissant une plateforme de bout en bout pour les environnements hybrides », déclare David McJannet, CEO de HashiCorp, dans un communiqué de presse.
Les solutions d’Hashicorp rejoignent déjà le catalogue IT Automation d’IBM
Néanmoins, IBM insiste sur l’enchâssement des produits HashiCorp dans son catalogue.
Ainsi, tous les produits du portefeuille HashiCorp –, Terraform, Vault, Packer, Nomad, Waypoint, Boundary, Consul – rejoignent dès maintenant le portefeuille IT Automation d’IBM. Au côté d’Apptio, d’Instana, ou encore de Turbonomic.
En parallèle, l’outil de gestion de secrets HashiCorp Vault est déjà intégré avec Red Hat OpenShift (récemment passé en version 4.18), tandis que Terraform peut servir à déployer des applications IBM Z dans des environnements cloud hybrides.
Ce n’est qu’un début, selon les deux entités.
Des offres commerciales pour intégrer Ansible et Terraform
« HashiCorp va générer d’importantes synergies pour IBM, notamment dans plusieurs domaines de croissance stratégique comme Red Hat, watsonx, la sécurité des données, l’automatisation des technologies de l’information et le conseil », assure IBM. « Par exemple, Terraform et Red Hat Ansible Automation Platform constituent une combinaison puissante », poursuit l’entreprise. « Terraform automatise la création de l’infrastructure de base à travers de multiples fournisseurs de cloud, et Ansible automatise les configurations d’applications et les déploiements de middlewares au-dessus de cette infrastructure ».
Plus particulièrement, IBM prévoit d’intégrer l’offre commerciale Red Hat Ansible Automation Platform avec Terraform Enterprise et HCP Terraform (ex-Terraform Cloud).
HashiCorp devrait également en profiter, selon Rob Strechay, analyste chez TheCube Research.
« Maintenant que l’acquisition a été finalisée, ces ressources combinées et ces intégrations technologiques amélioreront probablement la capacité de HashiCorp à soutenir les entreprises clientes avec des solutions d’infrastructure plus robustes, assistées par l’IA et optimisées en matière de coûts », anticipe-t-il.
Plus réellement une affaire d’open source
Désormais, une seule entreprise a sous sa coupe les deux langages de gestion d’infrastructure les plus populaires sur le marché : Ansible (sous licence copyleft AGPL 3.0) et Terraform (propriétaire).
L’acquisition avait déjà posé des questions aux experts concernant l’inflexion de la politique open source de HashiCorp après l’annonce du rachat par IBM.
En réalité, IBM s’évite le type de débats ayant eu lieu pour Red Hat après le changement de cycle de mise à jour de CentOS puis son abandon au profit de CentOS Stream. HashiCorp a déjà effectué le travail en 2023. Il a changé la licence de Terraform et de Vault (entre autres) en optant pour la Business Source License (BSL), une licence propriétaire permissive, mais non respectueuse de la définition de l’open source par l’OSI.
Pour rappel, cette décision avait conduit à la création d’un fork de Terraform : OpenToFu. Un projet renommé comme tel pour intégrer la Linux Foundation. Vault a également eu le droit à son fork : OpenBao.
Bien qu’IBM assure qu’elle participe et qu’elle défend des projets open source, l’entreprise peinent à convaincre certains professionnels de l’IT.
« Est-ce que [la fusion] de Terraform et Ansible s’appellera Terrible ? », plaisante un ingénieur DevOps sur X.
Reste à voir si IBM influera sur la politique d’Hashicorp en matière de gestion des dépendances du langage IaC, notamment des providers. Il n’avait pas été affecté par le changement de licence annoncé en août 2023.
Les stigmates de l’affaire Broadcom-VMware
Au-delà du contrôle que peut exercer IBM sur ces langages d’infrastructure as code, l’opération interroge forcément la majorité des clients de HashiCorp.
Au troisième trimestre fiscal 2025 (clos le 31 octobre 2024), HashiCorp revendiquait 4856 clients. Armon Dadgar évoque 5000 clients dans son message publié le 27 février.
HashiCorp comptait 946 clients dont les dépenses récurrentes annuelles égalaient ou dépassaient 100 000 dollars. C’est ce noyau dur qui semble intéresser IBM. Il reste à voir quelle sera l’attitude de Big Blue envers les comptes plus petits.
De plus, la hausse tarifaire opérée par Broadcom sur les produits VMware a laissé un sentiment amer chez les décideurs IT.
« Il s’agit d’une opportunité majeure, mais le succès dépend de l’octroi de licences réfléchies et de l’attention portée aux clients et à la communauté », commente un architecte cloud et DevOps d’un grand groupe de télécommunication français, sur LinkedIn. « L’approche de VMware-Broadcom a provoqué des perturbations ; IBM doit choisir une meilleure voie ».
« Nous avons réussi à intégrer RedHat sans le “repeindre en bleu” pour ainsi dire (et surtout sans “faire comme Broadcom”), je pense donc que HashiCorp est entre de bonnes mains et que cette transaction sera excellente pour HashiCorp, pour la communauté et aussi pour IBM », répond Mark C., représentant de la marque IBM Automation en Australie et Nouvelle-Zélande, à une remarque similaire.
Officiellement, IBM n’a pour l’instant pas évoqué de modifications tarifaires ou de licences.