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Selon les experts, le rachat d’HashiCorp par IBM pourrait modifier son équation open source

IBM va acquérir HashiCorp pour 6,5 milliards de dollars, une opération qui ouvre un débat parmi les professionnels de l’informatique sur la façon dont la société mère de Red Hat pourrait aborder la gestion de l’open source dans sa future filiale.

HashiCorp cherchait des acheteurs le mois dernier, selon un rapport de Bloomberg ; cette semaine, le Wall Street Journal a rapporté qu’IBM était proche d’une acquisition de la société de logiciels d’infrastructure cloud-native. IBM a confirmé ces informations en publiant un communiqué de presse peu après la clôture du marché mercredi, indiquant qu’elle allait acquérir HashiCorp au prix de 35 dollars par action, pour un montant total de 6,5 milliards de dollars.

IBM prévoit d’intégrer les produits de HashiCorp dans Red Hat, Watsonx, la sécurité des données, l’automatisation informatique et le conseil, selon le communiqué de presse.

Ansible et Terraform sous le même toit

« Par exemple, la puissante combinaison de la gestion de configuration d’Ansible Automation Platform de Red Hat et de l’automatisation de Terraform simplifiera le provisionnement et la configuration des applications dans les environnements de cloud hybride », précise le communiqué.

Le Wall Street Journal avait prédit que l’opération vaudrait probablement plus que la capitalisation boursière actuelle de HashiCorp, soit 4,9 milliards de dollars, la qualifiant de « relativement petite pour IBM, dont la capitalisation boursière s’élève à environ 170 milliards de dollars ».

Cette nouvelle fait suite à neuf mois tumultueux pour HashiCorp. Fondée en 2012, la société est entrée en bourse fin 2021, mais a perdu plus de 50 % de la valeur de ses actions depuis lors, selon Google Finance. Afin de financer le développement de ses produits, HashiCorp a opté en août 2023 pour une licence Business Source License (BSL) pour toutes les versions futures de ses produits. Cela a provoqué des bifurcations du code de son outil d’infrastructure as code Terraform et de son produit d’automatisation de la sécurité Vault, en même temps qu’un conflit public avec le projet OpenTofu de la Fondation Linux, la fork la plus connue de Terraform.

Dans son communiqué, IBM ne mentionne pas si l’entreprise prévoit de remettre les produits de HashiCorp sous une licence open source. Mais le directeur financier d’IBM, James J. Kavanaugh, a déclaré lors de la conférence téléphonique sur les résultats d’IBM, mercredi, qu’il y avait beaucoup de place pour augmenter les revenus de HashiCorp – dont 70 % proviennent de clients aux États-Unis – grâce à la force de vente mondiale d’IBM.

« Pour mettre les choses en perspective, seulement 20 % du Forbes Global 2000 sont des clients de HashiCorp et seulement un quart des clients de HashiCorp génèrent plus de 100 000 dollars de revenus annuels récurrents, ce qui souligne l’opportunité de mieux monétiser et vendre leurs produits », avance James Kavanaugh.

L’Infrastructure Cloud d’HashiCorp, un réaménagement de ses services SaaS dévoilé lundi, a pour but d’augmenter ses revenus et d’élargir sa base de clients, commente Tim Crawford, conseiller stratégique en informatique chez Avoa, une société de recherche et de conseil située à Rolling Hills Estates, en Californie.

« HashiCorp laisse beaucoup d’argent sur la table et dispose d’un potentiel considérable au-delà de son succès actuel », affirme-t-il. « Ils le savent, mais ont eu du mal à l’exploiter ».

Open source : IBM va-t-il infléchir la position d’HashiCorp ?

Dans le sillage initial des pourparlers signalés cette semaine, les observateurs de l’industrie ont prédit que la position de HashiCorp en matière d’open source pourrait changer à la suite d’un tel accord.

Historiquement, IBM n’était pas un partisan de l’open source, mais depuis l’acquisition en 2019 de Red Hat, leader du logiciel open source, pour un montant de 34 milliards de dollars, elle a poursuivi les engagements de sa filiale en la matière. IBM a également intégré OpenTofu à son IBM Cloud Pak for AIOps, et les ingénieurs d’IBM travaillant sur son produit de Edge computing Open Horizon ont fondé le projet OpenBao pour forker Vault.

« Si IBM va jusqu’au bout de cette transaction, ce sera une victoire massive pour la communauté open source », avance Larry Carvalho, analyste indépendant chez RobustCloud, avant que l’acquisition ne soit confirmée. « IBM devrait combiner HashiCorp avec Red Hat et supprimer immédiatement les plaintes pour violation des droits d’auteur. Les efforts combinés de la communauté amélioreront Terraform bien mieux que la direction actuelle de HashiCorp ».

Terraform de HashiCorp et Ansible de Red Hat sont déjà fréquemment associés sur le marché de la gestion d’infrastructure, rappelle Rob Strechay, analyste en chef chez TheCube. D’autres produits de HashiCorp, tels que Vault et Vagrant pour les environnements de développement portables, s’intégreraient naturellement au portefeuille OpenShift de Red Hat, ajoute-t-il 

« Je pense qu’il s’agit d’une bouée de sauvetage pour HashiCorp et Terraform qui pourrait renouer avec OpenTofu, car les deux projets ne sont pas encore très éloignés techniquement », affirme Rob Strechay. « Dans l’ensemble, les deux entreprises en sortiraient gagnantes et ce serait probablement la meilleure solution ».

D’autres analystes, tout en voyant le potentiel d’une combinaison bénéfique entre les deux sociétés, ne sont pas d’accord sur le fait qu’IBM changerait le cap de HashiCorp en matière d’open source.

« L’affaire autour de la BSL est une fausse piste qui doit disparaître », lâche Tim Crawford. « Tout le monde s’en moque, sauf les entreprises qui ont développé des activités sur cette base au détriment de HashiCorp ».

Néanmoins, IBM serait l’un des acquéreurs potentiels les plus neutres de HashiCorp, qui a misé sa valeur sur la compatibilité avec de nombreux éditeurs et fournisseurs cloud, selon Tim Crawford.

« Si IBM achète HashiCorp, il pourrait compléter l’offre, l’introduire à une base plus large et l’adapter à de nouvelles méthodes, sans la renvoyer à l’open source », suppose-t-il. « HashiCorp serait un complément solide à Red Hat et apporterait une valeur mutuelle aux deux entreprises pour des raisons différentes. Pour IBM, il fournit une fondation alternative pour les applications VMware de Broadcom tout en complétant la plateforme OpenShift Kubernetes de Red Hat. »

Un client d’HashiCorp a adopté un point de vue plus pessimiste sur l’acquisition potentielle.

« IBM étant un acteur de second rang dans le domaine du cloud, l’achat de HashiCorp serait pire que l’achat par une société spécialisée dans les logiciels », s’alarme Rob Lazzurs, directeur technique chez Amach Software, une société de conseil en transformation numérique située à Dublin. « Cela met l’orientation future d’un ensemble d’outils multi-plateformes entre les mains d’un seul acteur ».

Rob Lazzurs n’est pas non plus très enthousiaste à l’idée que la direction open source de HashiCorp soit placée sous la responsabilité d’IBM. « Ce que nous avons vu avec Red Hat, c’est qu’au fil du temps, la culture IBM a pris le dessus, et je m’attends à ce qu’il en aille de même pour HashiCorp », poursuit-il. « C’est un excellent exemple de la raison pour laquelle les outils fondamentaux de notre paysage informatique devraient être gérés par des fondations plutôt que par des entreprises ».

Le choix d’IBM dépendra de la valeur que ses cadres placent dans Terraform, de son intérêt ou non à partager le développement et à quelle phase.

Si la décision de Red Hat de changer le cycle de développement de son système d’exploitation RHEL et de restreindre franchement l’accès aux builds ont suscité des réactions similaires à celles provoquées par le changement de licence d’HashiCorp, la filiale d’IBM veut, dans un même temps, concentrer ses efforts sur les projets open source sous l’égide de la Cloud Native Computing Foundation quand il est question de Kubernetes et son écosystème.

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