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Rachat d’HashiCorp par IBM : « Nous sommes à des années-lumière de Broadcom »

IBM et HashiCorp tentent de rassurer leurs clients français sur la manière dont les solutions du spécialiste de l’infrastructure as code s’intégreront avec son portefeuille, tout en conservant leur intégrité.

La semaine dernière, IBM a présenté à ses clients français la stratégie dans laquelle s’insère l’acquisition d’HashiCorp. Annoncée l’année dernière, celle-ci n’a été finalisée qu’à la fin du mois de février, après enquêtes des autorités de la concurrence britanniques et américaines.

Les sept produits de l’inventeur de Terraform rejoignent, en premier lieu, le portefeuille « Automatisation IT » de Big Blue. Mais avant de décrire comment les solutions d’HashiCorp interagiront avec les produits IBM, Emmanuel Treny, vice-président de l’entité Automation d’IBM, évoque les deux piliers du groupe.

La vision d’une plateforme pour le cloud hybride et l’IA

« Il y a une stratégie derrière tout ça. Nous n’empilons pas les solutions : nous les intégrons et les développons », lance-t-il auprès du MagIT. « Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que la vision d’IBM tient sur deux piliers : le cloud hybride et l’IA ».

Techniquement, les deux piliers reposent sur les acquis issus du rachat de Red Hat. Openshift est à la fois le fer de lance de cette approche cloud hybride et le socle de la plateforme d’IA watsonx.

Le portefeuille automatisation IT s’insère dans un cadre élargi incluant la gestion des problématiques de modernisation des applications, l’intégration des données et des applications (par exemple avec l’iPaaS WebMethods), la supervision IT (Instana), la gestion des ressources applicatives (Turbonomics), l’AIOps, la cybersécurité ou encore le FinOps (Apptio, KubeCost).

« Nous parlons de plateforme. L’idée, c’est de pouvoir assister nos clients tout au long du cycle de vie de leur IT », vante Emmanuel Treny. « Lorsque je déploie une application, plusieurs étapes sont essentielles. Après le provisionnement, il est crucial d’assurer sa sécurisation et son intégration. Ensuite, il ne faut pas oublier la phase de monitoring. Enfin, il est indispensable d’évaluer la performance de l’application d’un point de vue métier, afin de mesurer son retour sur investissement », illustre-t-il.

Cette vision d’une plateforme « séduit » les clients français autant qu’elle peut faire « peur ».

Les cadres d’IBM sont conscients que les clients n’abandonneront pas les solutions précédemment mises en place. « Nous savons très bien qu’aucun client ne va être repeint aux couleurs d’IBM du sol au plafond », affirme Emmanuel Treny. « Nous n’avons pas de problème à intégrer nos solutions dans une pile technologique existante. Nous pouvons intervenir à n’importe quel niveau du cycle de vie IT ».

« Nous savons très bien qu’aucun client ne va être repeint aux couleurs d’IBM du sol au plafond ».
Emmanuelvice-président Automation, EMEA, IBM

IBM n’est pas Broadcom

Quant aux clients existants des solutions rachetées par IBM, il s’agit de ne pas les brusquer. « Nous n’essayons pas de les faire migrer à marche forcée », assure Emmanuel Treny. « Nous conservons les marques des sociétés que nous rachetons, l’intégrité des équipes, leur écosystème, nous ne cassons pas leur modèle économique ».

En réponse aux craintes exprimées depuis la validation du rachat d’HashiCorp par IBM, Emmanuel Treny estime que Big Blue ne reproduira pas la politique agressive de Broadcom après l’acquisition de VMware. « Nous sommes à des années-lumière de Broadcom. Nous n’avons pas le même modèle économique ».

« Nous sommes à des années-lumière de Broadcom. Nous n’avons pas le même modèle économique ».
Emmanuel TrenyVice-président Automation, EMEA, EMEA

Il y a eu toutefois des changements souvent imputés à Big Blue après ces acquisitions. Le cas Red Hat est emblématique. L’abandon de CentOS au profit de CentOS Stream a été un moment mal vécu par la communauté open source et certaines entreprises. En 2024, Red Hat a revu le modèle tarifaire de RHEL auprès des fournisseurs cloud. Une décision qui pèse ou pèsera sur les plus gros clients, mais la hausse tarifaire serait contenue. Elle est en partie justifiée par l’inflation et la nécessité d’un « meilleur alignement par rapport à la mise à l’échelle des charges de travail dans le cloud ».

Avant son rachat par IBM, HashiCorp a pris des décisions similaires. Il a augmenté le prix de ses solutions et a opté pour la licence BSL pour la plupart des versions ouvertes de ses technologies.

Une analyse sans fard des décisions d’HashiCorp

Stéphane Le Thies, directeur des ventes France d’HashiCorp, rappelle que l’éditeur racheté par IBM, à ses débuts, misait exclusivement sur une approche « open core ». « De plus en plus de solutions concurrentes à nos services entreprise arrivaient sur le marché. Elles étaient soutenues par nos technologies open source », explique-t-il.

La plupart de ces solutions concurrentes étaient éditées par des startups.

« Nous étions dans une situation par rapport à laquelle il fallait se protéger a minima », poursuit-il. « Lorsqu’une petite entreprise propose une solution concurrente et l’intègre, cela peut être un coup dur, mais l’impact reste relativement limité. En revanche, si demain un grand acteur du cloud décide d’en faire autant, il peut prendre votre place sur votre propre marché ».

Bien conscient que la BSL n’a pas la pureté des licences open source, le directeur des ventes estime qu’elle « protège l’utilisation des clients tant qu’ils ne cherchent pas à proposer une solution concurrente ». « Dans les faits, cela n’a pas changé grand-chose pour une grande partie de la communauté », avance-t-il.

La situation évoquée par Stéphane Le Thies s’inscrit à la suite de l’introduction en bourse d’HashiCorp à la fin de l’année 2022. « Il se trouve que deux mois plus tard, le marché s’est complètement retourné. Là où l’IPO devait nous apporter un afflux d’argent qui nous permettait d’accélérer notre développement, ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé ».

À titre de comparaison, HashiCorp n’était pas au niveau de maturité d’Elastic ou de MongoDB lorsque ces deux entreprises ont décidé de changer leurs licences pour se protéger des pratiques d’AWS.

Et le directeur des ventes d’HashiCorp d’insister sur la difficulté à maintenir en parallèle le développement de sept produits. « Le premier réflexe a été de resserrer [les dépenses]. En tant qu’entreprise côté en bourse, nous devions rendre des comptes au marché et devenir rentables. Auparavant, nous dépensions à perte pour développer notre marché », note-t-il.

Une situation qui aurait motivé le fait d’accepter l’offre de rachat d’IBM.

« À un moment donné, il n’y a pas 30 000 solutions : soit le marché repart, soit il stagne. Dans ce dernier cas, il devient indispensable de trouver un partenaire capable d’accompagner notre développement. C’est, à mon sens, l’une des raisons qui ont motivé le choix d’IBM », analyse Stéphane Le Thies.

Une « synergie potentielle immense », du cloud au mainframe

Pour HashiCorp, il s’agit de poursuivre le développement de Terraform, Vault, Packer, Nomad, mais aussi Consul, Boundary et Waypoint, plus récent dans son histoire. « Waypoint a besoin de grandir et cible des problématiques naissantes », illustre-t-il.

Quant aux intégrations avec les produits d’IBM, Big Blue a déjà évoqué l’intégration de HCP Terraform avec Red Hat Ansible Automation Platform. Il s’agit également de simplifier l’intégration entre Red Hat OpenShift et HCP Vault. « L’intégration entre Vault et OpenShift est évidente : elle devrait se faire en un clic », estime Stéphane Le Thies.

Les intégrations de Terraform avec Apptio et Turbonomic avaient été annoncées en novembre 2024.

« Poussé à l’extrême, il y a toute une zone que nous n’avons jamais explorée : le Z. Le mainframe est un territoire vierge pour nous », lâche Stéphane Le Thies. Il s’agit potentiellement d’intégrer la notion d’infrastructure as code dans la gestion du mainframe et des applications, mais aussi, pourquoi pas, utiliser Nomad pour orchestrer des charges de travail sur Z/OS. Des intégrations entre les produits d’HashiCorp et wastonx sont également envisagées.

« Poussé à l’extrême, il y a toute une zone que nous n’avons jamais explorée : le Z. Le mainframe est un territoire vierge pour nous ».
Stéphane Le ThiesDirecteur des ventes France, HashiCorp

« La synergie potentielle des produits est immense », se réjouit-il.

Patience et attention sont les maîtres-mots. Les équipes d’IBM et d’HashiCorp peuvent effectivement échanger depuis un peu plus d’une semaine. « Il faut s’attendre très rapidement à des annonces. Notre événement IBM Think a lieu en mai prochain », rappelle Emmanuel Treny.

Les deux entreprises ont déjà préparé les éléments pour lancer les feuilles de route de développement. Elles effectuent un travail similaire auprès des partenaires « Il se trouve que nous avons des partenaires technologiques, intégrateurs, revendeurs en commun, et d’autres qui ne le sont pas », indique Stéphane Le Thies. « Nous sommes en train d’aligner tout cela ».

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