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Les espaces de données sont en quête de reconnaissance pour réellement décoller

En exploitant les fondations posées par Gaia-X, des espaces de données émergent dans différentes filières, comme l’aéronautique avec Decade-X ou le tourisme avec Eona-X). Mais les Data Spaces doivent encore convaincre des bénéfices du partage de données et de leurs viabilités économiques.

La transformation numérique de la France repose sur un levier « essentiel » que sont les données et les espaces de données, déclarait le 24 mars, en ouverture de la plénière du hub France Gaia-X, Amandine Reix, sous-directrice spatial, électronique et logiciel à la DGE.

« Mais pour réussir cette transformation, nous devons nous appuyer sur des données fiables, disponibles, harmonisées et sécurisées. Il n’y aura pas de transformation par l’intelligence artificielle sans un travail important sur les données, dans toutes les filières », poursuivait-elle.

Maîtriser les données pour bénéficier de l’IA

Pour favoriser les échanges de données et l’émergence de Data Spaces, la communauté de Gaia-X a développé des standards ouverts. Plusieurs consortiums s’en sont ensuite emparés pour constituer des espaces de données, à l’image de Data4Industry-X qui réunit Dawex, Schneider Electric, Valeo, CEA-List et Prosyst.

Pour la représentante de la DGE, ces initiatives contribuent à renforcer la souveraineté numérique de l’Europe. Toutefois, ajoute-t-elle, les efforts consacrés aux espaces de données « n’ont de sens que si nous conservons la maîtrise de ces données. » Une maîtrise qui suppose « une stratégie ambitieuse et déterminée en matière de cloud ».

« Chaque entreprise, chaque administration sait que la valeur est dans les données. On en prend conscience. Mais on prend aussi conscience que ces données sont aujourd’hui utilisées, pillées, dévoyées », lance Emmanuel Sardet, président du Cigref et DSI du Crédit Agricole. Il conviendrait aujourd’hui de passer à l’action, estime-t-il.

Sa position est partagée par Cécile Dubarry, directrice générale de l’Institut Mines-Télécom (coordinateur du Hub France Gaia-X) pour qui « Maintenant, l’enjeu c’est de pérenniser et de passer à l’échelle. »

Inscrire les espaces de données dans la durée avec gouvernance et financement

Mais pour inscrire les espaces de données « dans la durée », il faut se pencher sur plusieurs dimensions, notamment économiques. Car si la technologie sous-jacente semble prête, se pose encore la question du modèle économique des espaces et de leurs modes de financement – sans oublier leur gouvernance, énumère Cécile Dubarry.

La directrice générale de l’IMT appelle également les industriels à s’investir dans la création de nouveaux espaces de données, encore trop peu nombreux, d’après elle. « Nous sommes encore loin de ce qu’il faudrait mettre en place pour l’industrie et les services français. Il y a donc un enjeu d’éducation et d’appropriation. »

Pour accompagner cette appropriation, IMT Transfert, intégré à TeraLab, a déployé une plateforme grâce au financement de France 2030 : le Data Space Lab. Ce service permet aux entreprises de mener des phases exploratoires afin de tester des cas d’usage, des modalités techniques et de gouvernance.

Les industriels peuvent aussi s’inspirer de l’expérience acquise par Airbus dans ce domaine. Le groupe européen de l’aéronautique est membre de Gaia-X depuis 2021. Catherine Jestin, vice-présidente exécutive Digital et Systèmes d’Informations d’Airbus, est en outre présidente du conseil d’administration de l’association depuis 2023.

Airbus pilote des espaces de données dans l’aéronautique

« Trois personnes d’Airbus sont dédiées à Gaia-X. Elles participent aux différents comités et aux groupes de travail », précise Catherine Jestin. « Très tôt, nous avons numérisé nos processus, nos procédés, nos produits. La transformation digitale, tirée par la donnée, s’est imposée naturellement, renforçant notre intérêt pour les espaces de données ».

Cet intérêt s’est concrétisé avec la création de Decade-X, un espace de données qualifié de nativement « évolutif en termes de participants et de cas d’usage » et visant « à apporter de la valeur à tout le monde, tout en étant viable d’un point de vue économique. »

Pour Catherine Jestin, l’investissement d’Airbus dans Gaia-X, et son corollaire Decade-X sont « stratégiques », car « ils rendent possibles la collaboration et l’échange de données de confiance entre participants, quelles que soient leur taille et leur localisation. »

Airbus attend aujourd’hui de Gaia-X qu’il se déploie à l’international et « s’adapte à d’autres régions. »

« Les chaînes d’approvisionnement de nos entreprises ne s’arrêtent pas aux frontières », justifie la VP digital et SI de l’industriel. La supply-chain, impliquant 10 000 acteurs, est justement centrale dans Decade-X. L’espace de données doit répondre à deux enjeux clés du secteur : produire plus vite et préparer la prochaine génération d’avion.

Comme l’explique Philippe Grosbois, directeur des programmes numériques d’Airbus, le carnet de commandes est plein pour les 10 prochaines années. L’avionneur souhaite donc augmenter le rythme de production pour atteindre 10 000 avions par an.

Quant à la fabrication de la prochaine génération d’avion, elle nécessite de faire intervenir « des acteurs innovants », souvent de plus petite taille. « Si on veut avoir accès à cette technologie, il faut baisser la barrière à l’entrée [de ces espaces] pour ces acteurs. » Mais pour relever ces objectifs, ajoute le cadre d’Airbus, les entreprises (dont plus de 90 % de PME) doivent se synchroniser « et grossir en même temps ».

Sur la conformité et la traçabilité, Airbus a besoin aussi de fédérer l’écosystème, par exemple afin de favoriser la réutilisation de matériaux comme le titane.

La performance de l’IA dans le secteur Aéronautique & Défense est également conditionnée à l’accès à des données de qualité. La concrétisation de ces ambitions repose dès lors sur « le partage de données dans une tuyère, complexe et interdépendante, dans laquelle nous serons capables de collaborer entre différentes couches de la supply-chain », compare Philippe Grosbois.

Cet espace commun vise en outre à garantir la souveraineté des données des différents participants, dont certains sont concurrents, et l’interopérabilité des systèmes.

Dans Decade-X – réponse technologique à ces défis initiée il y a près de deux ans – plus de 90 cas d’usage ont été identifiés par les 30 membres du consortium.

Pour structurer les développements, ces acteurs s’apprêtent même à créer une association. Dans un second temps, une entreprise sera mise sur pied « pour prendre à sa charge certains risques, surtout lors de la phase d’amorçage. »

Une version 0 de l’espace de données entrera en production en avril. Elle doit permettre de recruter de nouveaux participants et de démontrer sa viabilité avec comme promesse de bénéfices indirects : croissance, économies d’échelle, etc.

Gaia-X, la caution confiance du partage de données

Mais « Pour que cela soit viable, il faut que les coûts opérationnels au quotidien soient très vite équilibrés », avertit le directeur des programmes numériques d’Airbus, pour qui l’équilibre doit être atteint au plus tard dans 4 ans.

La quête de rentabilité se pose aussi pour les tous les autres espaces de données. D’autant que pour nombre d’entre eux, les financements publics obtenus au lancement arrivent à échéance en 2025. Or, il reste encore beaucoup à faire pour démocratiser le partage de données entre entreprises, reconnaît Dominique Epardeau, secrétaire générale d’Eona-X et directrice de programmes Data pour Amadeus.

Pour mémoire, Eona-X est un espace de données pour la filière du transport (biens et personnes), de la mobilité et du tourisme. Les expérimentations ont déjà été amorcées. Lors des JO de Paris 2024, un cas d’usage sur le transport des 60 000 délégués a été mis en place.

« Nous avons pu voir qu’il n’était pas facile de convaincre de partager de l’information, même si les données semblent assez basiques », observe Dominique Epardeau, qui se félicite cependant de cette première étape réussie.

Eona-X travaille lui aussi au volet industrialisation, « notamment en intégrant des modules d’intelligence artificielle pour essayer, avec des agents, de proposer des services utiles pour les voyageurs, dans des domaines comme le tourisme et la logistique. »

La cadre d’Amadeus insiste sur l’apport de Gaia-X « en tant qu’environnement de confiance » pour convaincre des membres d’échanger des données.

« Ce n’était pas facile de convaincre », répète-t-il. « Nous avons progressé, tranchée par tranchée. Grâce à Gaia-X, nous avons disposé d’une caution et d’une crédibilité qui nous a permis d’avancer. Sans Gaia-X, je pense que cela aurait été plus difficile, voire impossible ».

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