Gaia-X et Data Spaces : 2025, année du passage à l’échelle ?
Après avoir posé des fondations et les standards pour les infrastructures cloud de données, Gaia-X se dit prêt pour l’adoption industrielle. L’association et ses hubs appellent donc les entreprises à transformer l’essai sur les espaces de données.
Qu’est-ce que Gaia-X ? La question peut paraître simpliste, mais les contours de l’initiative lancée en 2021 par des organisations françaises et allemandes ont tellement évolué qu’elle méritait d’être posée au moment où se déroulait la 7e session plénière du Hub France de Gaia-X.
Martine Gouriet – directrice transformation numérique, usages et innovation d’EDF (et membre du conseil d’administration de Gaia-X) – y répond en expliquant ce que Gaia-X n’est pas. À savoir : Gaia-X n’est pas un cloud souverain. « C’est une association [internationale à but non lucratif comptant 248 membres, N.D.L.R.] qui veut aider à créer des clouds souverains », souligne-t-elle.
Gaia-X infrastructure de données fédérée et fiable
La mission de l’association est précisée par son président Ulrich Ahle : « Créer la norme de facto pour permettre une infrastructure de données fédérée et fiable, en élaborant un ensemble de spécifications, de règles, de politiques et un cadre de vérification. »
Gaia-X pose les fondations qui permettent, dans un cadre de confiance, de connecter les acteurs des infrastructures et des écosystèmes de données (cf. schéma ci-dessous). Martine Gouriet insiste, les travaux de Gaia-X « n’ont rien d’abstrait » et ne sont pas des gadgets institutionnels inapplicables.
« Nous créons des espaces de données pour l’industrie européenne et mondiale. Nous en avons véritablement besoin ». De fait, des industriels de référence (EDF, Airbus, Renault, Engie et BMW, etc.) se sont associés à des projets bâtis sur les standards Gaia-X (Catena-X, Nuclear-X, Data4Industry-X, etc.).
Le retour de Donald Trump aurait par ailleurs (re)catapulté les enjeux de souveraineté numérique sur le devant de la scène. Gaia-X se veut donc également un instrument au service d’ambitions souveraines.
« La nouvelle donne géopolitique nous rappelle chaque jour l’importance de protéger notre souveraineté numérique », souligne Amandine Reix, sous-directrice spatiale, électronique et logiciel à la DGE.
« Les services Gaia-X assurent une confiance qui s’appuie sur les valeurs européennes et qui contribue ainsi à la souveraineté digitale, qui est devenue un enjeu pour la Commission européenne », confirme Catherine Jestin, vice-présidente exécutive Digital et Systèmes d’Informations d’Airbus.
Des ambitions européennes, mais aussi mondiales
Présidente du conseil d’administration de Gaia-X, elle ajoute que l’initiative a vocation à s’étendre à l’international et à « s’adapter à d’autres régions. Car les chaînes d’approvisionnement de nos entreprises ne s’arrêtent pas à nos frontières. »
« Gaia-X n’est pas infiltré par les GAFAM, comme je l’ai tellement entendu. »
Martine GourietEDF
Alternative potentielle à des solutions proposées par les géants américains de la Tech, Martine Gouriet l’assure, l’association « n’est pas infiltrée par les GAFAM comme je l’ai tellement entendu. » Le « board » de l’association ne compte aucun des GAFAM. Mais, ajoute-t-elle, pour résister à l’infiltration et au lobbying, il importe que les entreprises européennes (fournisseurs IT et industriels) rejoignent Gaia-X.
« Il est important que nous ayons beaucoup de membres et pas seulement des personnes habituées à faire du lobbying à Bruxelles », poursuit-elle.
Chez EDF, en tout cas, la participation à Gaia-X et aux espaces de données ne fait pas débat. L’énergéticien contribue au projet d’espace de données pour l’écosystème du nucléaire : Data4Nuclear-X (en cours d’instruction par Bpifrance). Le Data Space est qualifié de « projet industriel » qui doit passer à l’échelle d’ici deux ans, au sein d’une filière nucléaire qui compte 2 500 entreprises et 25 millions de données échangées par an. Maintenance des centrales, prolongation de la durée de vie des réacteurs, construction des nouveaux EPR et stockage des déchets sont concernés.
Gaia-X « un petit enfant » qui doit vite grandir
« Nous avons besoin que [Gaia-X] grandisse vite et […] passe au niveau de la maturité de manière pragmatique. »
Martine GourietEDF
Pour la membre historique du conseil d’administration de l’association, après 5 ans d’existence, le cap est clair : « Gaia-X est un petit enfant. Nous avons besoin qu’il grandisse vite et qu’il passe au niveau de la maturité de manière pragmatique. » Et pas question de laisser Gaia-X s’attarder « dans ses langes ».
Le « passage à l’échelle opérationnelle » est critique, insiste Martine Gouriet. Cela vaut aussi pour les labels prévus par Gaia-X qui tiennent compte des problématiques de souveraineté.
L’Europe doit encore se mettre d’accord pour savoir si EUCS intégrera la protection contre les lois extraterritoriales (il n’en prend pas le chemin). Mais pas besoin d’attendre un consensus européen selon le président Ulrich Ahle. Le niveau 3 de Gaia-X prévoit justement des dispositions équivalentes, comme l’obligation pour le fournisseur cloud de disposer de son siège en Europe.
Dans l’écosystème Gaia-X, un cadre a aussi été prévu pour contrôler et valider la conformité. Il s’appuie sur des clearing houses – des acteurs qui jouent « un rôle crucial en attribuant les niveaux de labellisation. »
Plusieurs Digital Clearing House Providers (comme Orange Business Services, la filiale ESN du groupe Orange) sont en service et d’autres en cours de déploiement.
2025, année pivot pour les espaces de données
Pour l’association, et après 5 ans de travaux de standardisation, les fondations nécessaires à la fourniture de services cloud labellisés et à la constitution d’espaces de données sont réunies.
Gaia-X recense 180 projets de Data Space en Europe, financés par la Commission et/ou par des États membres de l’UE. Pour les premiers lancés, l’essai devra être transformé en 2025 avec des passages en production, des financements privés et/ou des modèles économiques pérennes.
« La plupart de ces financements [publics] arrivent à échéance en 2025. »
Hubert TardieuAdministrateur de Gaia-X
Comme le note Hubert Tardieu, administrateur de Gaia-X, « la plupart de ces financements [publics] arrivent à échéance en 2025. » L’association prévoit, en collaboration avec l’Université Paris-Dauphine, de fournir aux espaces de données volontaires une évaluation de leur trajectoire pour déterminer leur viabilité.
« Il serait tout à fait fâcheux de voir qu’en 2025 (en même temps que des Data Spaces réussissent) de nombreux espaces s’arrêter, parce que les financements prennent fin », juge l’administrateur. Et ce alors même que « toutes les planètes sont alignées ».
Avec une architecture Gaia-X « définie », des labels « en place et intégrés dans les appels d’offres » et des clearing houses dans différents pays, Gaia-X aurait franchi une nouvelle étape de maturité, se réjouit Cécile Dubarry, directrice générale de l’Institut Mines-Télécom (coordinateur du Hub France)
Pérenniser et passer à l’échelle
« L’enjeu à présent, c’est de pérenniser et de passer à l’échelle. », renchérit-elle.
Mais pour Cécile Dubarry, il tout aussi importe aussi important de créer de nouveaux espaces de données. « On est encore loin de ce qu’il faudrait mettre en place pour l’industrie et les services français. Il y a donc un enjeu d’éducation et d’appropriation ».
Un autre gros chantier est en approche : l’articulation entre intelligence artificielle et espaces de données. Hubert Tardieu rappelle d’ailleurs qu’un « Cloud and AI Development Act » est en préparation.
Ce cadre réglementaire prévoit la promotion de 10 IA verticales. L’ambition est de cibler ces IA sur les secteurs où se développent actuellement des espaces de données afin de concilier données de qualité et IA performantes.
Pour Emmanuel Sardet, président du Cigref, les entreprises « ont besoin d’une grande rigueur réglementaire », en particulier pour se protéger des accès extraterritoriaux. Après des régulations pensées pour les consommateurs (B2C) comme le DMA, il plaide pour une réglementation visant à protéger, cette fois, les entreprises.
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