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La Barclays essuie les plâtres quantiques

Un des défis de ce « testeur précurseur » d'IBM Q a été de trouver - et de traduire - des problématiques métiers pour qu'elles puissent exploiter le potentiel algorithmique actuel des ordinateurs quantiques. Mais des freins matériels, comme la décohérence des qubits, restent à lever avant que l'ordinateur quantique ne soit réellement utilisable dans la banque.

« L'informatique quantique en est encore à un stade précoce, un peu comme les ordinateurs classiques d'aujourd'hui l'étaient dans les années 1950 », compare Bob Sutor, vice-président de la stratégie et de l'écosystème IBM Q chez IBM Research. « La différence, c'est que les entreprises et les particuliers ont aujourd'hui accès aux prototypes d'IBM Q pour se préparer au quantique et se former au développement d'applications qui tireront avantage à être quantiques plutôt que de tourner sur des ordinateurs classiques ».

En décembre, Barclays a rejoint le IBM Q Network, une communauté d'entreprises du Fortune 500, de start-ups, de laboratoires de R&D et d'universités dédiée à l'informatique quantique. L'adhésion permet à la banque d'avoir accès aux processeurs quantiques d'IBM pour effectuer des tests et de bénéficier des experts techniques et des chercheurs d'IBM.

« Nous sommes enthousiastes à l'idée d'explorer l'informatique quantique en faisant des expériences sur des processeurs quantiques réels, plutôt que d'utiliser des simulateurs quantiques qui fonctionnent sur un processeur classique (NDR : ce que proposent par exemple Atos ou Microsoft) », a déclaré pour l'occasion Lee Braine de Barclays.

Lee Braine, titulaire d'un doctorat en informatique, s'intéresse aux technologies émergentes comme la blockchain et les smart contracts. Il dirige également le programme d'informatique quantique de la banque.

La plus grande partie du travail sur l'informatique quantique s'est jusqu'à présent concentrée sur les aspects théoriques des ordinateurs, note-t-il.  Des algorithmes ont été imaginés pour faire des choses étonnantes (comme craquer la cryptographie d'une blockchain comme bitcoin), mais jusqu'à présent, les chercheurs n'ont pu les exécuter que sur des simulateurs.

L'ordinateur quantique et la communauté d'IBM marquent un nouveau départ pour Lee Brain. Pour lui, la banque doit « collaborer avec les experts qui existent en informatique quantique pour nous aider à accélérer notre apprentissage dans ce domaine complexe ».

Petits pas après petits pas

Les équipes en charge d'étudier le quantique chez Barclays ont commencé par chercher plusieurs problèmes d'optimisation dans le secteur bancaire pour identifier certains défis spécifiques qui pourraient tirer parti de l'informatique quantique.

Ils ont ensuite converti chacun des problèmes en une description abstraite, très simple, pour les classer par leur nature algorithmique. Par exemple, des algorithmes de recherche, de tri, de factorisation ou de résolution d'équations linéaires.

Barclays a ensuite vérifié si un algorithme quantique avait déjà été publié pour résoudre chaque type de problème. Une liste exhaustive est tenue à jour par le National Institute of Standards and Technology (NIST) américain. Elle a permis d'identifier ceux qui pourraient servir de base à des calculs plus complexes.

L'étape suivante a consisté à tenter de construire une version simplifiée de chaque problème qui puisse, éventuellement, être exécuté sur un processeur quantique. Cette étape a aidé Barclays à se concentrer sur quelques défis spécifiques. Un était lié à l'optimisation du portefeuille dans la gestion de fortune. Un autre visait à améliorer le processus d'exécution des transactions sur les marchés de capitaux (le settlement).

La banque a décidé de cibler ce deuxième cas dans le cadre d'une expérimentation plus vaste et prévoit de publier un rapport sur ses conclusions.

Anticiper une menace pour la sécurité

Barclays veut également évaluer le progrès de la menace que représente à long terme les ordinateurs quantiques pour la cryptographie classique. Il s'agit là d'un défi crucial. Les banques pourraient en effet devoir trouver une technologie de cryptage beaucoup plus robuste que le très utilisé algorithme RSA.

L'équipe de Lee Braine tente de déterminer le délai probable pour que les ordinateurs quantiques deviennent suffisamment puissants - et opérationnels - pour pouvoir exécuter des algorithmes quantiques (dont celui de Shor) qui peuvent factoriser les grands nombres - cette factorisation qui est à la base de la plupart des cryptographies (dont le RSA).

« Il y a beaucoup d'opinions différentes sur cette échéance. Elles vont de "cinq ans" à "ce sera dans plus de trente ans". Nous serions donc très contents d'avoir plus d'éléments sur ce sujet et d'échanger avec l'industrie sur ce sujet », confirme le responsable de la Barclays.

Difficile de programmer des ordinateurs quantiques

Les entreprises sont confrontées à plusieurs défis pratiques lorsqu'elles se lancent dans les ordinateurs quantiques. « Le plus grand, pour nous, est survenu lorsque nous avons tenté de construire une version radicalement simplifiée des problèmes candidats à une résolution quantique. Il fallait que cette version reste suffisamment complexe pour conserver l'essence du problème de départ, et en même temps qu'elle soit suffisamment simplifiée pour fonctionner sur un processeur quantique », résume Lee Braine.

Les premières applications des algorithmes quantiques

Pour les applications traditionnelles, les ordinateurs quantiques peuvent fonctionner comme des accélérateurs pour certains calculs, tout comme le font les GPU aujourd'hui.

Cependant, comme l'informatique quantique est complètement différente de l'informatique classique, ces accélérateurs pourraient résoudre des problèmes que les processeurs et les GPU ne peuvent pas résoudre, et ne pourront jamais résoudre.

« L'informatique quantique sera probablement utilisée soit pour accélérer les calculs les plus poussés de Machine Learning ou l'apprentissage profond, soit pour fournir des algorithmes complètement alternatifs et beaucoup plus efficaces », prédit Bob Sutor d'IBM.

Les entreprises commencent à peine à explorer ces possibilités, et les universités commencent à développer des cursus d'informatique quantique très techniques, constate-t-il.

D'après lui, les premières applications du Q System One devraient concerner la chimie et la résolution de problèmes d'optimisation dans les domaines de la finance et de la logistique.

JPMorgan Chase, également membre d'IBM Q Network, travaille avec les scientifiques d'IBM sur les stratégies de trading, l'optimisation du portefeuille, la valorisation des actifs et l'analyse des risques.

Dans la chimie, IBM travaille avec Daimler AG sur des cas quantiques dans le développement de matériaux pour l'industrie et pour les batteries.

Il a notamment fallu créer une meilleure couche d'abstraction pour faciliter la tâche des développeurs et leur permettre d'éliminer ces complexités inutiles. Il a également fallu séparer les parties des solutions qui peuvent être traitées en informatique classique et celle qui seront traitée par l'informatique quantique.

« Tout cela aboutit à un défi intellectuel difficile. Il semble clair que les prochains concepteurs et programmeurs quantiques gagneront à utiliser des frameworks et des composants prédéfinis », prédit Lee Braine.

IBM a construit une plate-forme logicielle open source, appelée Qiskit (Quantum Information Science Kit), pour programmer son système IBM Q. Dans un avenir proche, Bob Sutor d'IBM s'attend à ce que les développeurs travaillent de manière « hybride », c'est à dire avec des outils classiques pour les bases de l'application et avec les ordinateurs quantiques pour traiter des parties de ces applications.

Capacité encore limitée

Un autre grand défi est que, dans les processeurs, le nombre de qubits est actuellement limité à quelques dizaines. Un qubit est comparable à un bit dans les ordinateurs traditionnels mais il a la particularité de pouvoir encoder plus de données.

Les ordinateurs actuels stockent, traitent et déplacent des bits qui sont dans des états binaires (0 ou 1). Les ordinateurs quantiques, eux, codent l'information en utilisant différents phénomènes physiques de la matière à l'échelle subatomique. La superposition quantique permet à chaque bit quantique de coder plusieurs états en même temps (0 et 1). Il en découle que la puissance de calcul dans un ordinateur classique est proportionnelle au nombre de bits (2 x n avec n le nombre de bits) alors qu'elle est en théorie exponentielle avec les qubits (2n).

Ceci étant, l'ordinateur quantique d'IBM ne supporte actuellement que 20 qubits.

« Cela limite les volumes de données qui peuvent être traitées. Il est donc nécessaire de simplifier radicalement les ensembles de données sur lesquels l'algorithme quantique fonctionnera », prévient Lee Braine.

Autre problème, les systèmes d'informatique quantique ne peuvent fonctionner que pendant de brèves périodes avant de perdre des informations par un processus appelé « décohérence quantique » qui met fin à la superposition.

Cette faible persistance limite le nombre d'opérations qui peuvent être effectuées, ce qui implique, aujourd'hui, de faire des programmes quantiques relativement courts.

« Pour que l'informatique quantique soit plus utilisable dans le domaine bancaire, il faudra plus de qubits et que le temps de cohérence quantique augmente », constate Lee Braine qui se montre optimiste du fait que « le matériel quantique s'améliore constamment sur ces deux aspects ».

Certains scientifiques ne sont pas convaincus, les entreprises pleines d'espoirs

Une grande partie du travail sur l'informatique quantique a été menée par des physiciens théoriciens. Pour certains d'entre eux, sa mise en pratique industriel pourrait s'avérer difficile voire impossible.

« La seule chose qu'IBM a annoncée, c'est une énorme machine en verre borosilicaté... Mais ils ne disent rien de ce qu'il y a à l'intérieur de cette machine », regrette le professeur Michel Dyakonov, du Laboratoire Charles Coulomb de l'Université de Montpellier.

Présenté comme le premier ordinateur quantique commercialisable, IBM Q System One est un cube de verre hermétique de 9 pieds de haut (environ 3 mètres)

Pour Michel Dyakonov, la programmation des qubits est un problème extrêmement difficile d'un point de vue pratique. Une bonne analogie serait celle d'un vélo classique. Avec un peu d'entraînement, apprendre à faire de ce vélo ne pose pas trop de problème. C'est, en résumé, la programmation classique.

Mais programmer un ordinateur quantique reviendrait à essayer de rouler sur un vélo avec mille articulations et dont toutes les pièces peuvent tourner autour de ces articulations d'une manière continue.

Malgré les nombreux défis qui restent à relever, Barclays est confiant dans l'avenir de l'ordinateur quantique.  « Nous nous attendons à ce que la capacité du matériel quantique continue de s'améliorer dans les années à venir, tant en nombre de qubits qu'en temps de cohérence quantique », prédit-il.

Le rapport de Barclays sur les premières conclusions de cet essai d'IBM Q sera publié un peu plus tard dans l'année.

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