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Quand l’informatique quantique sera-t-elle opérationnelle ? Ça dépend…

Pour les experts, la date de l’avènement d’une informatique quantique opérationnelle dépend de la manière dont on définit et dont on mesure la notion d’avantage quantique. Mais les premiers cas d’usage semblent se rapprocher.

L’informatique quantique marque une rupture avec l’informatique traditionnelle. Contrairement aux bits classiques, qui ne peuvent prendre que les valeurs 0 ou 1, les bits quantiques (qubits) exploitent le phénomène de superposition. Ils peuvent prendre plusieurs états à la fois (et donc plusieurs valeurs) jusqu’à leur mesure. L’informatique classique repose sur un autre principe, bien établi, mais à l’explication encore imparfaite, l’intrication.

Cette complexité ne se limite pas aux principes fondamentaux de cette nouvelle famille informatique. On la retrouve également dans son marché naissant, et dans la diversité de ses acteurs.

Où en est l’informatique quantique aujourd’hui ?

Par exemple, il n’existe pas de chiffre officiel sur le nombre d’ordinateurs quantiques en service. Les estimations évoquent quelques centaines d’unités à travers le monde. Des entreprises comme D-Wave, IBM, IonQ et Quantinuum figurent parmi les principaux acteurs à avoir déployé des machines quantiques. En France, on peut également citer Quandela, Alice&Bob ou encore Pasqal.

Actuellement, ces « solutions quantiques » sont accessibles soit dans le cloud soit, plus rarement, en installation sur site.

Pour Martina Gschwendtner, consultante chez McKinsey & Co., les entreprises et les industriels utiliseront principalement les infrastructures quantiques cloud à la demande. Inversement, les institutions académiques et de recherche privilégieront des déploiements sur site.

IBM, par exemple, propose un modèle d’accès mutualisé via le cloud. Depuis 2016, Big Blue dit avoir mis en ligne plus de 75 ordinateurs quantiques, dont une dizaine sont accessibles à tout moment, chiffre Scott Crowder, vice-président de l’adoption quantique chez IBM.

L’usage sur site reste plus limité. IBM a installé quelques machines dédiées chez des clients comme Cleveland Clinic, la Plateforme d’Innovation Numérique et Quantique du Québec (PINQ²) et le Riken Center for Computational Science au Japon.

Une autre approche repose sur des systèmes modulaires. Elle permet aux entreprises de composer elles-mêmes leurs « ordinateurs ». C’est la stratégie de Q-Ctrl, qui propose une offre pour automatiser l’assemblage de machines quantiques à partir de composants bruts.

Mais dans l’ensemble, les premières entreprises utilisatrices sont encore dans une phase d’expérimentation et de montée en compétence, souligne Sam Lucero, ancien analyste principal de l’informatique quantique chez Omdia (groupe Informa TechTarget).

Toutefois, les premiers cas d’usage opérationnels sont en train d’émerger. « Ces entreprises pourraient sans doute obtenir les mêmes résultats, voire de meilleurs, avec des ordinateurs classiques, mais elles veulent explorer dès maintenant le quantique », analyse-t-il.

« Les entreprises qui s’étaient préparées [...] étaient à l’aise avec ces nouveaux outils (comme ChatGPT) et elles ont pu avancer beaucoup plus rapidement que leurs homologues qui ne savaient pas de quoi il s’agissait. »
Michael BiercukCEO & Founder, Q-Ctrl

Michael Biercuk de Q-Ctrl fait une analogie entre l’arrivée de l’IA et ce qui se passe actuellement dans le cycle d’adoption de l’informatique quantique.« Avec ChatGPT, de nombreuses organisations ont été prises de court, alors que d’autres avaient déjà expérimenté diverses formes de Machine Learning, d’apprentissage par renforcement et d’IA », compare-t-il.

« Celles qui s’étaient préparées avaient des compétences internes, elles étaient à l’aise avec ces nouveaux outils – comme ChatGPT – et elles ont pu avancer beaucoup plus rapidement que leurs homologues qui ne savaient pas de quoi il s’agissait. » Les premiers à adopter de l’informatique quantique agiraient de manière dynamique pour obtenir un avantage similaire, conclut Michael Biercuk.

Quand l’informatique quantique sera-t-elle vraiment disponible ?

L’informatique quantique est disponible depuis plusieurs années en tant qu’expérimentation technique.

Des machines, basées sur le recuit quantique (quantum annealing), dédiées à la résolution de problèmes d’optimisation, ont été livrées pour la première fois en 2011 (par D-Wave à Lockheed Martin dès 2011).

Les ordinateurs quantiques avec des portes logiques – plus polyvalents – ont suivi. IBM, par exemple, revendique d’avoir été le premier à avoir rendu une technologie quantique accessible via le cloud dès 2016.

« La première étape, c’est de montrer que les ordinateurs quantiques ne relèvent pas de la science-fiction –, ils existent réellement et on peut les programmer », assure Scott Crowder.

La quête de la suprématie quantique

L’étape suivante, plus controversée, est celle de la suprématie quantique ; c’est-à-dire le moment où un ordinateur quantique réalisera une tâche impossible à faire avec un ordinateur classique.

Cette année, D-Wave a affirmé que son ordinateur quantique par recuit surpassait un supercalculateur classique dans une simulation de matériaux magnétiques. Parallèlement, des physiciens chinois ont annoncé que leur prototype Zuchongzhi 3.0 avait atteint cette suprématie quantique.

Mais ces annonces suscitent toujours de vifs débats. « Il y a souvent une annonce : “Nous avons fait x qubits logiques”. Puis, quelques jours ou quelques semaines plus tard, la communauté scientifique nuance ces déclarations », tempère Sam Lucero (Omdia).

L’avantage quantique : une définition floue

L’avantage quantique est une autre étape clé… Mais sa définition varie.

« L’avantage quantique est un objectif mouvant. »
Carl DukatzResponsable du programme quantique, Accenture

En substance, il s’agit du moment ou un ordinateur quantique réalise « mieux » une tâche qu’un ordinateur classique pourrait éventuellement faire. Pour Carl Dukatz, responsable du programme quantique chez Accenture, cette notion est en constante évolution. « L’avantage quantique est un objectif mouvant », résume-t-il.

Pour Sam Lucero (Omdia), il existe deux grands types d’avantages quantiques. L’avantage économique, où une entreprise peut obtenir un gain de coût, de précision ou d’efficacité énergétique par rapport à l’informatique classique. L’avantage computationnel, qui se produit lorsqu’un problème devient impossible à résoudre avec un ordinateur classique dans un temps raisonnable.

Le premier dépend fortement du contexte et du besoin métier de chaque entreprise. « Cela dépend beaucoup de celui qui regarde », constate Sam Lucero. Accenture et le MIT ont ainsi développé un calculateur en ligne pour évaluer si une tâche donnée est plus rentable sur un ordinateur quantique ou sur un ordinateur classique.

Quant à l’avantage computationnel, il dépend fortement de la tolérance aux erreurs des systèmes quantiques. Selon Sam Lucero, cette étape nécessitera des machines capables d’exécuter à très grande échelle des opérations avec seulement une erreur pour un milliard d’opérations. Or nous n’y sommes pas encore. Certains estiment qu’il faudra encore attendre plusieurs années.

Une adoption pratique d’ici 2 à 3 ans ?

Mais d’autres estiment que des avancées concrètes sont proches. Avec une définition plus souple, IBM (ou un de ses partenaires) pense pouvoir faire des annonces dès cette année.

Michael Biercuk (Q-Ctrl) considère pour sa part que l’on atteindra bientôt un seuil où les entreprises choisiront délibérément un ordinateur quantique afin de résoudre un problème, plutôt qu’un système classique. « Ce ne sera plus une question théorique, mais une question de choix pratique », affirme-t-il.

Sa société s’est penchée sur la question. « La surprise pour nous, c’est qu’il apparaît que les machines n’auront pas besoin d’être beaucoup plus grandes que celles que l’on a aujourd’hui », confie-t-il.

Pour lui, 300 à 500 qubits seront suffisants ; or les machines d’IBM n’en sont pas si loin (156 qubits). « Nous parlons d’un horizon de deux à trois ans, pas d’un futur lointain », insiste Michael Biercuk.

Martina Gschwendtner (McKinsey) se montre un peu plus prudente sur la date d’arrivée de l’avantage quantique (ou « Q Day » comme elle l’appelle). Pour elle, ce jour arrivera aux alentours de 2030, à un ou deux ans près.

Quelles avancées pour accélérer l’informatique quantique ?

L’arrivée des premiers avantages tangibles du quantique dépendra évidemment de la rapidité des progrès technologiques

Les hyperscalers – AWS, Google et Microsoft – ont tous lancé récemment leurs processeurs quantiques. Les choses s’accélèrent-elles ?

Pas forcément. Pour Henning Soller, partenaire chez McKinsey, le développement de l’informatique quantique progresse selon les prévisions, pas plus vite, mais sans ralentissement non plus. Et les investissements seraient bien là. « Il n’y a aucun signe d’un “hiver quantique” en termes d’investissement », insiste-t-il.

Parmi les défis à relever figurent l’amélioration des portes logiques quantiques, la connectivité des qubits, et la capacité à les contrôler à grande échelle.

Enfin, le manque de talents qualifiés reste un obstacle. Toutefois, des programmes académiques spécialisés voient le jour. Et selon Martina Gschwendtner, le nombre d’experts sera (là encore) suffisant d’ici 2030.

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