Télécom : le village de Cassen et son périple pour sortir de la zone blanche

Seuils de couverture pas assez bas pour être épaulé par l’état, opérateur qui essaie de doubler son installateur de pylône, procédures administratives qui traînent… Dans les Landes, on aura tout entendu pour avoir le téléphone.

Parcours du combattant pour les zones blanches. Dans les Landes, au village de Cassen, l’adjoint au maire Daniel Saint-Paul est obligé de monter en haut d’une colline pour nous raconter sur son téléphone portable l’enfer des communications mobiles qui ne descendent pas jusque dans sa commune.

« Nous sommes dans un paysage vallonné, à 70 km des premiers contreforts des Pyrénées, au bord de l’Adour, qui se jette dans l’Atlantique près de Bayonne. Notre territoire est agricole, nous y cultivons le maïs, élevons des poulets, chapons, pintades. Ici, le réseau mobile faiblit de plus en plus. Nous n’avons plus que cinq agriculteurs », résume-t-il en expliquant que le paysage est idyllique, mais qu’il attirerait plus de personnes si l’activité commerciale n’était pas entravée par des questions de rupture technologique.

En 2016, encouragée par les plans de communication de l’Arcep, la mairie de Cassen se manifeste auprès des services responsables du Plan France Très Haut Débit, entretemps regroupés au sein de l’Agence Nationale de la Cohésion de Territoires, pour faire reconnaître son statut de zone blanche. Cette administration a notamment une mission France Mobile censée identifier les besoins de couverture et piloter les projets d’aménagement avec les opérateurs. Des aides financières seraient même possibles. Selon le site officiel, il n’y aurait cependant dans ce service que six à huit personnes pour éplucher les dossiers qui arrivent de la France entière.

« Ils sont venus avec des téléphones de tous les opérateurs. Ils ont fait des mesures. Puis ils sont repartis en nous disant que les seuils n’étaient pas assez faibles pour que nous soyons considérés comme une zone blanche. », raconte l’adjoint au maire.

L’installateur de pylônes ATC, acteur pivot des dossiers

Deux ans plus tard, c’est l’installateur de pylônes ATC qui, cette fois, sollicite la mairie de Cassen. Avec TDF et Cellnex, ATC est l’un des principaux fournisseurs d’infrastructures passives sur lesquelles les opérateurs branchent leurs antennes mobiles.

« Nous avons déjà installé plus de 3 000 points hauts en France, qu’il s’agisse de toits-terrasses en ville ou de pylônes en zones rurale et suburbaine. Notre activité consiste à commercialiser un parc de pylônes auprès des opérateurs et notre enjeu est donc d’augmenter continuellement ce parc. C’est pourquoi nous menons régulièrement des enquêtes dans les zones en déficit de couverture », détaille Laurent Benet, directeur Stratégie et Innovation chez ATC France. Il rappelle que, dans le cadre d’un accord avec l’Arcep, les opérateurs se sont engagés à installer ensemble 3 à 4 000 nouvelles antennes par an.

Problème, si le village de Cassen se réjouit de ce démarchage providentiel, il ignore à ce moment-là qu’il s’agit seulement de la toute première étape d’un processus interminable. À la date de l’écriture de cet article, soit deux ans et demi plus tard, aucun réseau mobile n’est encore activé.

« La difficulté de notre activité est que nous devons, d’un côté, obtenir un terrain pour construire un pylône et, de l’autre, convaincre un opérateur mobile d’installer ses antennes dessus. »
Ludovic NouryResponsable Communication & Services aux Occupants, ATC France

« La difficulté de notre activité est que nous devons, d’un côté, obtenir un terrain pour construire un pylône et, de l’autre, convaincre un opérateur mobile d’installer ses antennes dessus. Mais l’un ne va pas sans l’autre », explique Laurent Benet, qui détaille des démarches bureaucratiques compliquées.

« Nous devons commencer par nouer des partenariats avec les mairies, c’est-à-dire franchir une à une les étapes de processus très réglementés. C’est un jeu d’équilibriste. Nous devons identifier les terrains communaux favorables. Il faut régler la question des coûts d’installation qui augmentent à mesure qu’il faut creuser la terre pour installer les fourreaux électrifiant le pylône. Selon la psychologie des mairies, les discussions peuvent durer plusieurs semaines. Ensuite il nous faut obtenir le permis de construire, ce qui prend encore trois mois. Puis passer aux travaux, qui durent plusieurs semaines », détaille-t-il, en expliquant que la seule installation d’un pylône prend, selon son expérience, six à dix-huit mois.

Aussi enthousiaste que pouvait l’être le village de Cassen, il s’est lui aussi heurté à des difficultés psychologiques. « ATC nous a contactés après avoir fait des repérages en vue aérienne. Évidemment, le conseil municipal a tout de suite adhéré à leur projet. Mais le site qu’ils avaient identifié était sur le terrain d’un particulier qui montrait une forte hostilité pour les réseaux mobiles », raconte Daniel Saint-Paul.

« J’ai cherché d’autres emplacements sur le territoire communal. Nous leur en avons proposé deux : un en altitude, qui nous paraissait idéal, ou un autre qui jouxte notre cimetière. Ils ont préféré le cimetière à cause de la proximité du réseau électrique. » Il précise que le concitoyen fermement opposé aux ondes des antennes mobiles n’a plus jamais manifesté sa désapprobation lors des conseils municipaux suivants, lorsque l’emplacement du cimetière était acté.

Quand l’opérateur essaie de doubler l’installateur

« Pendant ce temps, nous démarchons les opérateurs », reprend Laurent Benet. « Eux fonctionnent par plan annuel. Il faut donc leur formuler une offre au bon moment. En tout état de cause, nous ne démarrons pas les travaux tant qu’ils ne nous ont pas passé commande. »

Nous sommes alors au début de l’année 2019. Les négociations durent depuis plusieurs semaines, lorsqu’un beau matin Daniel Saint-Paul a la surprise de recevoir la visite d’un représentant d’Orange.

« Ils voulaient installer leur propre pylône ! », s’offusque l’adjoint au maire, en notant que l’opérateur avait toujours été sourd aux demandes de connexion du village et qu’il aura fallu attendre qu’ATC lui propose de lui louer l’emplacement pour qu’il se manifeste. Daniel Saint-Paul refuse l’offre. Orange insiste. Daniel Saint-Paul fait valoir une convention signée avec ATC. Orange repart.

Quelques semaines plus tard, ATC l’appelle pour lui annoncer la bonne nouvelle : l’opérateur Orange a été enthousiasmé par l’offre d’un pylône à Cassen et a accepté de passer commande. Les travaux vont pouvoir démarrer.

« C’est un pylône de nouvelle génération, plus costaud, qui supporte les antennes MIMO. »
Ludovic NouryATC France

« Le chantier a duré jusqu’au mois d’avril 2020. Ils ont creusé 56 mètres cubes de terre pour couler du béton à la place. Sur ce socle, ils ont installé un pylône de 30 mètres de haut, plus deux mètres encore pour le paratonnerre », observe Daniel Saint-Paul. Parallèlement, l’opérateur d’infrastructure Axians a creusé 2 km de chaussée le long de la départementale pour acheminer la fibre qui connectera les antennes du pylône au relais situé dans le village voisin.

« C’est un pylône de nouvelle génération, plus costaud, qui supporte les antennes MIMO. Les antennes MIMO ont plus d’éléments que les antennes précédentes pour véhiculer les hauts débits de la 4G et de la 5G. Cela dit, elles coûtent aussi plus cher aux opérateurs. À ma connaissance, ce n’est pas le type d’antennes que les opérateurs ont l’intention d’installer à Cassen », commente Laurent Benet.

Des télécoms qui ne communiquent pas et des actes notariaux en attente

Depuis avril 2020, Daniel Saint-Paul voit passer de temps en temps des techniciens. Ceux d’Orange, bien entendu. Mais aussi ceux de Free.

« Oui, une fois que nous avons la garantie qu’un opérateur installera ses antennes sur notre pylône, rien ne nous empêche de louer aussi l’emplacement à ses concurrents », glisse Laurent Benet.

Pour mémoire, Free a investi dans un important parc d’antennes en 700 MHz qu’il installe en mode MIMO2x2. Ces antennes lui servent à proposer un réseau 4G avec un débit inférieur à celui que l’on trouve d’ordinaire en ville, soit 75 Mbit/s au lieu de 400 Mbit/s, mais qui offre une meilleure couverture en zone rurale. Une antenne de ce type permet de communiquer dans un rayon de plus de 8 km alentour et, ce, même sur des terrains accidentés, même au travers des forêts.

« Les opérateurs ne communiquent pas avec la mairie. »
Daniel Saint-PaulAdjoint au maire, Cassens

« Aux dernières nouvelles, Orange n’arrive pas à mettre en service la 4G sur l’antenne qu’ils ont installée. Les techniciens de Free n’ont pas encore mis en place la leur, mais ils m’ont promis qu’ils le feraient en février. Si tout se passe bien, leur réseau pourrait être opérationnel en avril », dit Daniel Saint-Paul, qui regrette de devoir demander aux techniciens eux-mêmes l’état d’avancement des projets. « Non, les opérateurs ne communiquent pas avec la mairie. »

L’histoire serait donc sur le point de se conclure. À quelques détails près : au hasard de cette enquête, LeMagIT s’est aperçu qu’ATC n’avait toujours pas acheté à la mairie le terrain sur lequel il a commencé à construire son antenne en 2019. ATC assurait début novembre au MagIT que cette formalité serait réglée dans les plus brefs délais. Lors d’une dernière entrevue réalisée juste avant la publication de cet article, fin janvier 2021, Daniel Saint-Paul s’est montré optimiste : « manifestement, il leur manquait une copie de notre acte de propriété du terrain pour prendre rendez-vous chez le notaire. Ils viennent tout juste de nous la demander. Ce détail devrait donc être bientôt réglé. »

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