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L’affaire Volkswagen ? Un plaidoyer pour le logiciel libre

Au-delà des considérations légales voire éthiques, c’est la question de l’accès au code source qui est posée, un accès de plus en plus essentiel pour les libertés alors que les boîtes noires aux algorithmes obscurs se multiplient.

Volkswagen a récemment reconnu avoir mis en place des éléments logiciels permettant à ses moteurs de réduire artificiellement leurs émissions de polluants afin de réussir les tests de l’agence américaine de protection de l’environnement, l’EPA. Pour cela, le constructeur a modifié le logiciel embarqué du module de contrôle du fonctionnement de ses moteurs, l’ECU (ou Engine Control Unit). C’est l’International Council on Clean Transportation (ICCT) qui a dévoilé l’affaire après avoir conduit des tests rigoureux.

Mais pour l’association Transport & Environment, l’affaire Volkswagen ne serait que la partie visible d’un gros iceberg. Dans un billet de blog, elle explique avoir « mis en évidence d’innombrables moyens pour les constructeurs automobiles de manipuler les tests d’émissions tant pour la pollution de l’air que pour les émissions de dioxyde de carbone ». Selon l’association, « les constructeurs reconnaissent certains trucs mais affirment qu’il s’agit de “flexibilités légitimes“ par rapport aux tests obsolètes utilisés en Europe ».

Si le débat qui s’ouvre ainsi risque d’être centré sur les protocoles de test, l’Electronic Frontier Foundation pointe, depuis bientôt un an, dans une autre direction : celle du logiciel embarqué et de l’accès à son code source. En novembre 2014, l’EFF a en effet lancé « une campagne judiciaire » contre la « menace » de la protection de ces logiciels embarqués par le droit d’auteur, via le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) américain, et contre les curieux s’intéressant au logiciel des ECU : « les voitures modernes contiennent des dizaines d’ordinateurs appelés ECU, et le code de ces ECU est potentiellement couvert par le droit d’auteur ». Les constructeurs automobiles s’opposent toutefois à d’éventuelles exceptions autorisant justement l’accès à leur logiciel embarqué, en particulier lorsqu’il est protégé par des verrous logiciels. Et ils sont soutenus en cela par l’EPA.

Mais ce débat n’est qu’une infime partie d’un autre, beaucoup plus vaste, ouvert il y a plus de 30 ans avec l’émergence du mouvement du logiciel libre. Pour l’un de ses pères, Richard Stallman, les libertés d’exécuter un logiciel, de l’étudier, de le modifier, et d’en redistribuer des copies, avec ou sans modification, sont clés : « elles sont essentielles, pas seulement pour le bien d’un utilisateur individuel, mais pour la société dans son ensemble […]. Elles deviennent encore plus importantes alors que notre culture et nos activités sont de plus en plus numérisées ».

La littérature moderne est là pour souligner cette importance à l’heure où les algorithmes présidant à la construction du code source impliqué dans le traitement de données en masse – le fameux Big Data – dominent nos vies numériques. Le moindre changement des algorithmes de Google pour la présentation de recherches peut faire ou défaire des économies. Voire des vies alors qu’est posée la question du droit à l’oubli.

Le livre Black Box Society, de Franck Pasquale, dont la traduction en français est évoquée par Bertrand Lemaire, est consacré à ce sujet. Comme le relève notre confrère, « la principale critique formulée tient au manque de transparence propre à une boîte noire ». Un manque propre à constituer, in fine, une menace pour les démocraties : « il faudrait peut-être parler de datacratie avec les concepteurs d’algorithmes comme nouveaux tyrans ».

Le risque apparaît d’autant plus grand que, de l’autre côté, c’est à une transparence toujours plus grande que sont poussés les individus. C’est le sujet d’un autre livre, The Circle, de Dave Eggers. Celui-ci développe la vision d’un monde où la transparence est promue comme une exigence absolue pour conduire à une société où tout le monde surveille tout le monde. La tendance du quantified self – le soi quantifié poussé par les balances connectées et autres traceurs d’activités – va déjà dans cette direction, malgré son apparente innocence. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les personnages de Dave Eggers commencent leur parcours dans The Circle par l’équipement d’un tel traceur.

Il est plus que tentant de rapprocher ces deux visions pour envisager en définitive un monde pris en tenaille avec, d’une part, une transparence absolue des individus laissant toujours plus de données personnelles aux mains de services en ligne, et d’autre part des boîtes noires dont les algorithmes à l’opacité soigneusement protégée assurent le traitement de ces données.

Le tout concrétisant la vision que confessait Eric Schmidt, Pdg de Google, au Wall Street Journal en 2010 : « je pense en fait que la plupart des gens ne veulent pas que Google réponde à leurs questions. Ils veulent que Google leur dise ce qu’ils devraient faire ensuite ». Quitte à y sacrifier de nombreuses libertés individuelles.

En définitive, l’affaire Volkswagen renvoie à de vastes considérations qui mériteraient probablement un véritable débat de société. Mais comme la question des boîtes noires du renseignement français a été réduite à une simple perspective de sécurité, il est fort probable que celle du code des ECU soit réduite à sa dimension technique. Parce que cela paraîtra suffisamment raisonnable. 

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